Combien vit l’homme, enfin ?
Vit-il mille jours ou un seul ?
Pour combien de temps l’homme meurt-il ?
Que veut dire « pour toujours » ?
Préoccupé par cette affaire
je me suis consacré à élucider les choses.
J’ai recherché les prêtres savants,
je les ai attendus après le rite,
je les ai guettés lorsqu’ils sortaient
pour rendre visible à Dieu et au Diable.
Ils se lassèrent de mes questions.
Eux non plus ne savaient pas grand-chose,
Ils n’étaient que des administrateurs.
Les médecins me reçurent,
entre une consultation et une autre,
avec un bistouri dans chaque main,
saturés d’auréomycine,
chaque jour plus occupés
Selon ce que j’appris à travers ce qu’ils disaient
le problème était le suivant :
jamais n’est mort tant de microbes
il en tombait des tonnes,
mais le peu qui resta
se révélait pervers.
Ils m’effrayèrent tant
que j’ai cherché les fossoyeurs.
Je partis aux fleuves où ils brûlent
de grands cadavres peints,
de petits morts osseux,
des empereurs recouverts
d’écailles terrifiantes,
des femmes aplaties tout à coup
par une rafale de colère.
C’étaient des rives de défunts
et des spécialistes cendreux.
Quand vint mon tour
je leur posai quelques questions,
ils me proposèrent de me brûler :
c’était tout ce qu’ils savaient.
Dans mon pays les fossoyeurs
me répondirent, entre deux verres :
— « Trouve-toi donc une jeune fille robuste,
et laisse tomber toutes ces sottises. »
Je n’ai jamais vu de gens si joyeux.
Ils chantaient en levant le vin
à la santé et à la mort.
C’étaient de grands fornicateurs.
Je rentrai chez moi plus vieux
après avoir parcouru le monde.
Je ne demande rien à personne.
mais je sais chaque jour moins de choses.
*
Y cuánto vive?
Cuánto vive el hombre, por fin?
Vive mil días o uno solo?
Una semana o varios siglos?
Por cuánto tiempo muere el hombre?
Qué quiere decir «Para Siempre»?
Preocupado por este asunto
me dediqué a aclarar las cosas.
Busqué a los sabios sacerdotes,
los esperé después del rito,
los aceché cuando salían
a visitar a Dios y al diablo.
Se aburrieron con mis preguntas.
Ellos tampoco sabían mucho,
eran sólo administradores.
Los médicos me recibieron,
entre una consulta y otra,
con un bisturí en cada mano,
saturados de aureomicina,
más ocupados cada dia.
Según supe por lo que hablaban
el problema era como sigue:
nunca murió tanto microbio,
toneladas de ellos caían,
pero los pocos que quedaron
se manifestaban perversos.
Me dejaron tan asustado
que busqé a los enterradores.
Me fui a los ríos donde queman
grandes cadáveres pintados,
pequeños muertos huesudos,
emperadores recubiertos
por escamas aterradoras,
mujeres aplastadas de pronto
por una ráfaga de cólera.
Eran riberas de difuntos
y especialistas cenicientos.
Cuando llegó mi oportunidad
les largué unas cuantas preguntas,
ellos me ofrecieren quemarme:
era todo lo que sabían.
En mi país los enterradores
me contestaron, entre copas:
—«Búscate una moza robusta,
y déjate de tonterías».
Nunca vi gentes tan alegres.
Cantaban levantando el vino
por la salud y por la muerte.
Eran grandes fornicadores.
Regresé a mi casa más viejo
después de recorrer el mundo.
No le pregunto a nadie nada.
Pero sé cada día menos.
Déjenme solo con el día.
Pido permiso para nacer.
***
Pablo Neruda (1904-1973) – Estravagario (1958) – Vaguedivague (Gallimard) – Traduit de l’espagnol (Chili) par Guy Suarès.