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Civilizations, de Laurent Binet

Publié le 12 janvier 2020 par Francisrichard @francisrichard
Civilizations, de Laurent Binet

Avec Civilizations, Laurent Binet réécrit l'histoire du XVIe siècle, c'est-à-dire qu'il écrit ce qu'on appelle une belle uchronie. Au lieu que l'Europe découvre le Nouveau Monde, c'est celui-ci qui découvre l'Europe, qui devient donc pour lui le Nouveau Monde.

Dans la première partie, qui en est le prologue, l'auteur fait remonter l'inversion de ce mouvement migratoire aux colons nordiques du Groenland. Quitte à réécrire l'histoire de cette grosse île découverte par Erik le Rouge, il le fait d'ailleurs jusqu'au bout:

En vérité, la terre n'était pas verte mais blanche, la plus grande partie de l'année...

Ce sont des descendants de ces Groenlandais qui mettent cap vers le sud, jusqu'à la contrée où surgira le royaume des Incas, aux ancêtres desquels ils apportent le fer et les bêtes de trait tandis que d'eux ils reçoivent orfèvreries et apprennent la culture du maïs.

Dans la deuxième partie, l'auteur livre au lecteur des fragments du journal de Christophe Colomb qui ne retournera pas en Espagne après avoir traversé la mer Océane, mourra à Cuba, mais aura appris à une toute jeune princesse cubaine la langue castillane...

Dans la troisième partie, les conquérants viennent du Ponant avec à leur tête l'Inca Atahualpa et sa femme, la jeune princesse instruite par Christophe Colomb. Ces originaires de Quito découvrent des Levantins en proie aux guerres, notamment religieuses.

A raison, l'auteur n'est pas tendre avec ces Levantins qui se disputent l'enseignement de leur dieu cloué, qu'il passe au crible d'une critique toute voltairienne. Mais ses conquérants ne sont pas davantage civilisés qu'eux et, une fois victorieux, imposent leur dieu Soleil.

Les Quiténiens l'imposent toutefois de manière plus subtile que les chrétiens, car ils se montrent à la fois très tolérants et les plus forts... Si leur empire ne dure qu'un temps, comme tous les empires, il connaît une prospérité utopique et improbable qui ravit l'auteur.

Car il n'y a pas d'impôts mais des tributs en nature (il y a toutefois de nombreux exemptés...) qui, s'ils ne sont pas utilisés, deviennent des réserves collectives; pas de propriétés mais des attributions en fonction des besoins; pas de misère mais de la redistribution...

Comme c'est utopique, cela ne peut évidemment pas durer. A des prédations originelles succèdent d'autres prédations venues d'ailleurs, si bien que la lettre z qui se trouve dans le titre pluriel de ce roman uchronique ne manque finalement pas d'une certaine ironie.

Francis Richard

Civilizations, Laurent Binet, 384 pages, Grasset


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