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Nsah Mala : Les pleurs du mal

Par Gangoueus @lareus

Nsah Mala : Les pleurs du mal
Il est né dans le Cameroun anglophone et il est l’auteur de quatre recueils de poésie produits en anglais. Nsah Mala m’a envoyé depuis le Danemark son nouveau recueil de poésie en français, Les pleurs de Mal, publié aux éditions SpearsMedia.
On ne remerciera jamais assez Mark Zuckerberg qui, en créant sa plateforme, a permis de faciliter des connexions improbables. Comme d’habitude, je vais vous parler des à-cotés de ma lecture. Comme la réception de l’objet livre par exemple. Une mise en forme engageante. Le livre est bien édité. Une mise en page réussie. Cela peut paraître surprenant, mais j’ai reçu beaucoup de recueils de poésie ces dernières années. Et ce détail manque souvent. La forme. Avant, de savourer un plat dans un restaurant, on apprécie le contexte, la tenue des serveurs, l’entretien des toilettes, la qualité du menu, la décoration… C’est important. 

A l'abordage du recueil

Mais, à un moment donné, il faut manger. Nsah Mala nous annonce les pleurs du mal. Bon. Histoire de se mettre un peu de pression, on fait un clin d’oeil à Baudelaire. Pourquoi pas, mais, le réflexe du lecteur est de lire le poète à partir de cette référence proposée. Nsah Mala aborde plusieurs thèmes trop épars, à mon humble appréciation : la malgouvernance qui englobe la corruption, la gestion apocalyptique de la voirie de certaines villes camerounaises, l’interpellation des élites au pouvoir, la répression violentes des maquisards. Il est aussi question de leadership, de développement durable, de l’homme.
L’homme mérite d’être libre
Mais vidé de la moralité
Et de l’amour en fraternité,
Il devient un atome qui ne vibre.
Il devient un arbre sans branches,
Sous lequel il n’y a ni refuge ni confort.
Il devient un ruisseau devant lequel on a soif.
Et nous voici déjà sur ce chemin!
Ed. Spears Media Press, Les pleurs du Mal. p.23
Nsah Mala explore beaucoup de sujets sans que l’on détecte un thème majeur qui pourrait servir de fil conducteur de sa pensée. On a un sentiment de dispersion du propos de l'auteur. La violence politique qui se traduit par la corruption de certains ou l’indifférence au sort des petites gens aurait pu être un angle d’attaque avec plusieurs applications. Il faut souligner que les poèmes ont été écrits entre 2012 et 2018 en des lieux différents : Mbankolo (Yaoundé, Cameroun), St-Andrews, Perpignan, Dakar. 

De Mbankolo...

On peut observer que l'abord de certains thèmes s'affinent avec le temps et le lieu d'où l'analyse est produite. Si à Mbankolo, la critique des voleurs-dirigeants est assez générale, vague et se pose sous forme d'interrogations. En 2019, on peut surtout toutefois regretter qu’il n’ait pas de mots, dans les Pleurs du Mal à propos de celles et ceux qui souffrent le martyr dans le Noso du Cameroun où la rébellion anglophone continue. 
« Depuis des décennies tu souffres d’une grave infection sociale : tu te bats sous le poids de corruption comme un réfugié sous le fardeau de ses biens ! Où peut-on trouver une solution à cette pathologie ? » p.1 «  Quand les hommes commettent des vols dans les caisses de ce village et quand il entretiennent des envols vers Paris, plongeant ce village dans la misère et la confusion, qui doit assumer le blâme ? »  p.3 ( Mbankolo, 2012). 
Ed. Spears Media Press, Les pleurs du Mal. p.1,3

De Saint Andrew...

Le jeu avec les Evangiles lui permet de continuer d’avancer masqué tout en jouant sur une musique de phrases identifiable comme de le poème L’amour du pouvoir : «  Car le Tyran a tant aimé le pouvoir qu’il a confisqué le trône afin que personne d’autre ne puisse goûter au sucre des détournements, au bonheur des biens mal-acquis; »  Les experts reconnaitront le fabuleux passage de l’Evangile de Jean (chapitre 3, verset 16).   Nsah Mala inverse le discours du Christ, où la seigneurie de ce dernier conduit à une libération et à plus de liberté pour mieux mettre en exergue celle du Tyran que Mala dépeint et qui est l’expression d’un égoïsme assumé et absolu. Dans ces textes écrits à St Andrews, la critique de Nsah Mala est donc plus franche comme dans le poème L’Evangile de Jean-Paul. On pourrait penser qu’il parle de Jean-Paul II, de Saül de Tarse qui deviendra Paul, de l’évangéliste Jean. La référence à Jean nous renvoie selon ma lecture à un autre personnage, le prophète Jean-Baptiste qui apparait au début des évangiles qui appelait ses interlocuteurs à la repentance. Ici, dans Les pleurs du Mal, il est question de repentance politique en opposition avec celle spirituelle qu’invoquait Jean-Baptiste au peuple de Judée et d’Israël. Ici, l’audience faisant les frais de ces méfaits des politiques, c’est la jeunesse noire.
«  Cette jeunesse remplie de talents, mais plongée dans le noir de l’égoïsme.  Cette jeunesse pleine d’énergie, mais nourrissent les poissons de la Méditerranée, fuyant vos règnent interminables.[…] Paul, décolle ces fesses collées sur notre trône. Arrête de devenir Saul » p.19.  
Ed. Spears Media Press, Les pleurs du Mal. p.19
A St Andrews, Nsah Mala gagne donc en clarté de son analyse. Il en appelle au départ de Paul Biya qui est ici la cause de la non résolutions des maux dénoncés.
Comme je l’ai dit, on se disperse malheureusement sur d’autres thèmes, certes importants, comme l’écologie, la liberté et l’accomplissement de soi ou la rencontre de l’autre qu’autorisent les nombreux mouvements de Nsah Mala. 
Nsah Mala, Les pleurs du MalEditions Spears Media Press, première parution en 2019

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