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"Malaise démocratique" de l'Union ? Maladies des démocraties des pays européens...

Publié le 18 juillet 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com
Vendredi, 18 Juillet 2008 10:19

Par Daniel RIOT

Dans sa chronique, toujours stimulante, du « Monde », Thomas Ferenczi   repose une question qui préoccupe les partisans de l'unification du continent depuis...1950 : « Comment rendre l'Union européenne plus démocratique afin d'accroître sa légitimité auprès de ses citoyens ? ».

Sa réponse est imposée par le simple bon sens : « c'est aux Etats membres qu'il appartient de susciter le débat démocratique autour des politiques européennes ». Mais ces Etats le veulent-ils ? Pas sûr...

C'est d'un déficit pédagogique plus que démocratique dont souffre l'Union européenne et les autres organisations paneuropéennes, Conseil de l'Europe en tête.

C'est d'un manque de conscience et de volonté aux niveaux des Etats dont pâtit l'Union. C'est une insuffisance de formation et d'informations sur l'Europe qui ralentit l'avènement de cet « espace public » européen sans lequel la « citoyenneté européenne » restera la « dernière utopie »

Une précision. Jean Monnet n'a jamais privilégié la « légitimité technocratique », comme nombre d'essayistes le répètent sans se référer au contexte dans lequel les « pères de l'Europe » ont ouvert ce fantastique chantier. Comme Schuman, il était réaliste. Il savait que les blessures de la deuxième guerre mondiale étaient encore béantes, que Moscou s'opposait directement et indirectement à toute idée d'unification européenne en dehors de son emprise, que les administrations nationales, Quai d'Orsay d'abord, étaient paralysées par des réflexes corporatistes, que la « construction » européenne allait être d'une complexité logique qui impliquerait un savoir et des compétences de types nouveaux. S'ils n'avaient pas « contourné » les structures nationales, ils n'auraient rien réussi.

Mais la démocratie était pour eux pour qu'un souci et une préoccupation : une motivation.

C'est Schuman qui a imposé aux Britanniques une Assemblée parlementaire au Conseil de l'Europe.

C'est Monnet qui a prévu que la Haute Autorité et le Comité des ministres de la CECA travailleraient de conserve avec une Assemblée composée de représentants des parlements nationaux

Un rappel. La démocratie pluraliste ne se réduit pas à ces modes d'expression « directe ». La doxocratie (comme dit Jacques Juillard) a bien des vices. Ce n'est pas parce que la de la crise de la politique actuelle et générale est d'abord celle de la représentation que la démocratie représentative, indirecte, « parlementaire » est dépassée. La complexité croissance des problèmes, la confusion de plus en plus grande (car favorisée par les médias) entre le « su » et le « cru », le « je sais » et le « je crois », la désinformation galopante qui se cache derrière l'illusion d'une surinformation apparente, la versatilité des humeurs collectives et les pièges du mimétisme de masse devraient rendre indispensable une réhabilitation des « élus », à tous les niveaux.

Il est d'ailleurs dommage que l'on ne profite pas de la réforme des institutions en France pour prendre quelques initiatives qui iraient dans ce sens. 

Cette précision et ce rappel n'ont ici qu'un but ; regretter que la même réforme ne prenne pas en compte la nécessité impérative de faire en sorte que « l'Europe » ne soit plus considérée comme une affaire « extérieure », « étrangère », mais intérieure, « infranationale » (comme dit Morin)

Dans « l'Europe cette emmerdeuse »[1], j'ai fait plusieurs propositions concrètes qui vont dans ce sens. En préconisant notamment des « Conseils des affaires européennes » aux niveaux locaux, régionaux et nationaux. Une restructuration des Commissions spécialisées des Assemblées et des ministères. Et une « européanisation » des programmes scolaires et universitaires, à tous les niveaux et dans toutes les disciplines.

Contrairement aux Etats-nations, l'Europe (qui transcende mais n'efface pas les frontières) ne se « fait » ni pas par la force ni par des circonstances extérieures, mais par une libre adhésion qui doit reposer sur une culture des valeurs qui la fondent et du sens qu'elles prennent par des actions concrètes. Cela nécessite non une « communication », mais une éducation. Si les Européens ont le sentiment que l'Europe se fait sans eux, en dehors d'eux, au-dessus d'eux et parfois contre eux, c'est par ce que courroies de transmission du savoir démocratique ne remplissent pas leur rôle.

En cela, Thomas Ferenczi a raison de faire référence à plusieurs ouvrages récents

<<< Oui, l'Europe apparaît comme une « boite noire » mystérieuse, comme le souligne Thierry Chopin, directeur des études de la Fondation Robert Schuman (Le Bal des hypocrites, Saint-Simon/Lignes de repère, 2008).

<<< Oui, selon Jacques Ziller, professeur à l'Institut universitaire européen de Florence, plus de quarante référendums ont été organisés depuis 1972 sur l'intégration européenne, dont plus du tiers avec un résultat négatif (Trajectoires de l'Europe, sous la direction de Sylvaine Poillot-Peruzzetto, Dalloz, 2008).

<<< Oui, le "malaise démocratique" de l'Union vient en partie du fait que celle-ci ne s'occupe plus seulement d'économie. Le politologue Nicolas Jabko, le confirme dans « Trajectoires de l'Europe ».

Mais Ferenczi  a raison aussi de se référer à un petit livre bien léché au titre paradoxal mais juste : « L'Europe malade de la démocratie » (Grasset, 2008), dans lequel Philippe Riès, ancien chef du bureau de l'Agence France-Presse à Bruxelles, soutient que l'Union européenne souffre plutôt d'un excès de (fausse) démocratie. Avec ces « dérives malsaines » d'une « démocratie d'opinion » que nous dénonçons régulièrement sur Relatio Europe. Des « dérives » qui expliquent en partie que « les intérêts particuliers s'imposent systématiquement à l'intérêt général » et que   le « clientélisme » et le « corporatisme ».

L'Europe en fait ne fait que grossir les défauts non de sa propre construction mais des démocraties qu'elle regroupe. Elle n'est pas la cause ou la responsable de ce « désenchantement démocratique » (ou plutôt politique) qui caractérise tous les pays européens ou presque. Elle n'en est que le reflet, le miroir et le bouc-émissaire. Ne cassons pas le miroir : soignons ce rand corps malade qui s'y reflète...

Daniel RIOT


[1] « L'Europe cette emmerdeuse », par Daniel RIOT, avec Sandrine Kauffer. Préfaces de Bernard-Henri Levy et André Glucksmann, City éditions. Distribution Hachette

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