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Quand Sarkozy et Delanoë se penchent sur le berceau du Grand Paris…

Publié le 27 juin 2007 par Jean-Paul Chapon

Hier, inauguration de Roissy 3 par Nicolas Sarkozy, l’omni-président de la République en profite pour prononcer un discours-programme sur la région Ile-de-France ou plus exactement sur sa vision d’un Grand-Paris. Aspect paradoxalement passé inaperçu de la plupart des médias, mis à part quelques reprises dans le Parisien, les Echos ou Métro, qui ont seulement retenu l’aspect développement durable et transports. Ce discours programme semble marquer un retour en force de l’Etat dans l’aménagement de la Région Ile-de-France. Tout en soulignant le rôle du Conseil Régional, Sarkozy explique : « l’Etat peut-il se priver d’avoir un projet et une stratégie pour la région économiquement la plus puissante d’Europe, qui produit 28% de la richesse nationale de notre pays ? Je ne le pense pas. » Et de conclure sur une annonce de la suspension du processus de SDRIF (Schéma Directeur de la Région Ile de France) : « Je ne souhaite pas que l’on adopte un nouveau schéma directeur de la région Ile-de-France avant d’être allé au bout de ces questions et d’avoir défini une stratégie efficace dans ces domaines. Je propose donc que l’ensemble des administrations concernées soient mobilisées dès l’automne 2007 sous l’œil attentif du Gouvernement pour préparer les propositions d’actions nécessaires dans les champs que je viens d’évoquer, et qu’un comité interministériel d’aménagement du territoire dédié à l’Ile-de-France se tienne fin 2008 pour adopter ce nouveau plan stratégique et le schéma directeur correspondant, ainsi que les textes législatifs ou réglementaires nécessaires. »

Passage en force ou opportunité inespérée d’enfin sortir du blocage dans lequel est enfermée l’agglomération parisienne ? Coup d’arrêt à la décentralisation ou prise en compte de la spécificité d’une métropole région/capitale et du rôle mondial qu’elle doit pouvoir jouer ? En tout cas, bien joué, et il faut reconnaître que - mises à part quelques incohérences et idées discutables en termes d’urbanismes notamment sur l’opposition pavillons/barres - le contenu du discours de Sarkozy développe une série d’arguments que Paris est sa banlieue ne renierait pas, puisque ce sont ceux que ce blogue essaie de promouvoir depuis déjà plus de deux ans ! Pour en finir et sortir de ce blocage, Sarkozy propose sans le nommer une forme de Grand Paris à travers la mise en place d’une communauté urbaine: « il faut enfin agir sur l’organisation des pouvoirs. Paris est la seule agglomération de France à ne pas avoir de communauté urbaine. Alors qu’elle est la plus grande et la plus stratégique des régions, l’intercommunalité y crée des périmètres sans substance réelle. Quant aux départements, qui peut comparer le rôle d’un département de petite couronne et celui d’un département rural, alors qu’ils ont les mêmes pouvoirs, la même fiscalité, la même structure ? »

La réponse du maire de Paris, Bertrand Delanoë est particulièrement intéressante par son à propos et sa subtilité politique. Les habitués de Paris est sa banlieue pourront témoigner que bien que militant PS, je n’ai pas l’habitude de chanter les louanges du maire de Paris de façon systèmatique, mais il faut aussi savoir faire preuve d’objectivité. Loin de l’inanité de la réaction de Jean-Paul Huchon dans le Parisien, arc-bouté sur la région et ne voyant « qu’un effet d’annonce » et « le retour des vieilles lunes gaullistes ». Ainsi dans un communiqué, le maire de Paris écrit : « la municipalité parisienne est disponible pour participer à une telle réflexion qui devra bien entendu associer l’ensemble des collectivités de l’agglomération. En effet, aucune réforme institutionnelle portant sur l’organisation de l’agglomération parisienne ne saurait être envisagée autrement qu’en concertation permanente avec les élus eux-mêmes. » Et de rappeler que lui-même a ouvert la voie dans cette direction avec la création de la Conférence métropolitaine : « Cette même volonté d’échange et de partenariat m’a d’ailleurs conduit à proposer la création d’une « Conférence métropolitaine », opérationnelle depuis un an, et qui a travaillé activement sur la question des déplacements. Sa prochaine réunion est précisément prévue le 6 juillet prochain, autour du thème du logement. Tous les représentants des collectivités concernées ont été invités - par-delà les sensibilités politiques de chacun - ce qui permettra également d’évoquer ensemble les points soulevés aujourd’hui par Nicolas Sarkozy. »

Car les points soulevés par Nicolas Sarkozy sont pertinents. Il cite deux enjeux pour la région : cohésion et croissance. « Retrouver la cohésion, c’est simplement reconstruire une ville équilibrée à partir d’une agglomération en voie d’éclatement. L’éclatement ce sont ces familles qui vont habiter à une heure de voiture parce que le logement est trop cher. L’éclatement ce sont ces quartiers qui ne sont reliés au monde que par un bus qui passe tous les quarts d’heure quand il ne se fait pas caillasser. L’éclatement se sont ces artères démesurées qui libèrent les voitures mais enferment les riverains. » Nicolas Sarkozy semble avoir mis du temps avant de s’approprier ces thèmes de la ville de façon moins réductrice que la vision manichéenne à laquelle nous étions habitués jusque là. Alors ne bondons pas notre plaisir.

Ainsi expliquant la façon dont Paris s’est développé, transformant en boulevards, places et carrefours les enceintes successives, Sarkozy note qu’ « une fois le Périphérique construit, et franchi cette ambition s’est perdue » : ce que l’on construit en banlieue ce ne sont pas des boulevards, mais des rocades. Faisant référence à l’esprit d’Haussmann et de L’Enfant (à l’origine du plan d’urbanisme de Washington), Sarkozy poursuit : « pourquoi ne pas construire une vraie ville dans nos banlieue ? Elles ne manquent pas de l’espace nécessaire, mais de volonté politique et d’une vision coordonnée de l’organisation urbaine, appuyée sur les pouvoirs nécessaires pour la mettre en œuvre. Pour ne pas construire des logements sociaux là où il y a déjà des logements sociaux. Pour ne pas faire passer systématiquement l’intérêt de chaque commune avant celui d’une métropole peuplée de 11 millions d’habitants. »

Un message appuyé sur les infrastructures. Devant un Huchon qui se réfugie dans ses impasses budgétaires pour expliquer que des projets comme Métrophérique ne sont pas réalisables, car trop ceci ou trop cela, mais avant tout trop cher, Sarkozy ironise « on n’est pas là pour gérer à la petite semaine ». Et d’ajouter sur le financement des infrastructures : « ce n’est pas une honte de s’endetter pour cela, car cette dette-là ne finance pas le présent mais l’avenir. Elle représente un passif, mais aussi un actif. Le tout est que la valeur de cet actif justifie celle du passif. » Il est sûr qu’un endettement de la région serait critiqué par la droite, et Sarkozy joue sur du velours, mais justement, il faut le prendre au mot et oser. Car il a raison lorsqu’il dit qu’un pays qui n’a pas de grand projet n’a pas d’avenir. Lorsqu’il dit qu’il ne veut pas d’une « Ile-de-France qui se recroqueville sur elle-même », qui ne doit pas renoncer « à construire les plus hautes tours d’Europe », et « attirer les meilleurs chercheurs du monde », et qui enfin ne « doit pas se laisser distancer par Shanghai, Londres ou Dubai. »

Tout le monde s’accorde sur un constat, Paris est trop petit avec ses 105 km2, le découpage administratif est trop complexe, il y a un empilement communes-départements-région qui empêche toute vision globale pour l’agglomération. Mais personne ne veut soutenir la seule solution cohérente : le Grand-Paris pour gérer les questions qui se rapportent à la ville, et une région forte pour relever le défi international.

Le discours de Sarkozy à Roissy le 26 juin et la réponse de Bertrand Delanoë marquent sans doute une inflexion dans l’histoire du Paris. La conjonction de l’arrivée au pouvoir de la même couleur politique à la région et dans la capitale avait pu un temps faire croire que le temps était favorable à un déblocage de la situation de la métropole parisienne, mais ce ne fut pas le cas. Etonnant, il faudra peut-être un tandem opposé pour faire avancer la situation et au minimum la débloquer. L’approche du discours de Sarkozy est intéressante parce qu’elle se situe à la bonne échelle, internationale, parce qu’elle insiste le besoin d’une vision globale, qui paraissait oubliée depuis le plan Delouvrier et les années 60, parce qu’elle parle de grands projets, qui avec la décentralisation semblent ne plus pouvoir être soutenus car sans promoteurs à la taille de l’enjeu. L’approche de Delanoë est aussi la bonne parce qu’elle insiste sur la nécessité de trouver une solution démocratique, représentative, protégeant les acquis de la décentralisation, et la garantie de la protection des intérêts non pas locaux, mais de chacun des habitants/citoyens de la métropole. La volonté conjuguée d’un Sarkozy de droite et d’un Delanoë de gauche, permettra-t-elle de rallier l’ensemble de la classe politique autour d’un tel projet, au-delà des archaïsmes des petites baronnies et intérêts paroissiaux ? A suivre avec un intérêt et un espoir renouvelés…


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