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Les risques encourus par le marché français du rhum

Publié le 10 février 2020 par Infoguerre

Rhum, L'Alcool, Bouteilles, Banque De Réserve

Même si l’État français veille au grain et la Commission européenne à Bruxelles aussi. En France, le rhum humectant les babas et autres pâtisseries ou plongeant en cascade dans les verres attentifs, pourrait avoir demain un visage et un arôme différents de ceux qu’il affiche aujourd’hui. Les rhums agricoles et industriels français et ceux du monde entier sont plus que jamais sur tous les fronts pour ne pas perdre leur position dominante sur le terrain. Stricts pour les rhums nationaux soumis à une législation et aux normes françaises et européennes, Paris et Bruxelles font preuve de davantage de mansuétude vis-à-vis des rhums importés et restent silencieux sur les tout derniers venus, les rhums épicés.  Si le rhum agricole reste une eau-de-vie obtenue par fermentation et distillation de pur jus de canne frais, son « cousin » industriel (produit très faiblement présent en Outre-mer) est le fruit de la distillation du résidu de la fabrication du sucre appelé plus communément la mélasse. Les rhumiers veulent augmenter la qualité de leur production, contrer la progression constante des rhums épicés (à base de cannelle, de vanille) ou rhums darks (ambrés) qui séduisent tant une clientèle plus jeune, les moins de 35 ans, à l’affût de breuvages, de cocktails reléguant par la-même, les whiskies et aux autres cognacs en seconde division.

La consommation de rhum en France augmente en flèche tout en se diversifiant. Au niveau, mondial, le rhum est classé troisième sur la consommation des spiritueux juste derrière le whisky et le brandy. Chaque année, les Français consomment plus de 48 millions de bouteilles (33 millions sur l’hexagone, 15 millions dans les départements français d’Outre-mer).Dans l’hexagone, les rhums des Outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion) s’octroient, bon an, mal an, plus de 80 % de parts de marché. Mais pendant ce temps-là, les bars à rhum et les événements autour du rhum (Rumfest parc de Vincennes en avril, Fêtes du rhum en Martinique et en Guadeloupe… qui, comme les bars à vins foisonnent) témoignent de la belle diversité mondiale des rhums. De quoi y perdre son palais et ses repères habituels en la matière.

Car les rhums épicés (spiced rums) qui existaient déjà au sortir de la Seconde guerre mondiale, ont repris du poil de la bête, au point d’avoir enregistré une progression notable, 79 % en 2016 sur le marché français. Cette année-là, un rhum épicé fait la course en tête, le Captain Morgan qui a encore fait parler de lui l’été dernier avec un bond de 12,7 % de ses ventes dans les grandes surfaces nationales par rapport à l’année précédente à la même période, semble indétrônable sur ce segment et sert de locomotive aux autres. Ce rhum n’est toutefois pas de nature à ébranler une production française qui écrase encore le marché mais fait sans aucun doute bouger les producteurs français. Avec son étiquette très « pirates des Caraïbes », il raconte une histoire, entre fêtes et aventures lointaines… Le rhum épicé est aujourd’hui de plus en plus associé à l’image de fête à l’instar d’un Absolut ou d’un Jack Daniels.

La bataille de l’image de qualité

Si la production et la consommation de rhum en France sont en partie liées, ils restent encore aujourd’hui une histoire franco-française. Le marché du rhum en France s’apprécie sur la base de trois critères, le prix, la marque et par-dessus tout l’origine. Ce qui fait une équation gagnante à l’arrivée quand on sait que la commercialisation du rhum en France a progressé de 10 % l’an dernier quand sur le même territoire national, celle du whisky n’augmentait que de 2 %.

Dans ce contexte, les rhumiers français doivent soigner de plus en plus leur image, en racontant leur histoire, leur singularité. « Nous n’avons pas le choix, déclare à l’École de guerre économique, Dominique de la Guigneraye, directeur commercial des rhums Clément en France. Notre ADN pour presque la totalité des producteurs de rhum en Outre-mer, c’est la production du rhum agricole avec une histoire plus que séculaire. C’est maintenir et développer l’image de qualité, respectueuse de son environnement. Les salaires, les conditions de travail que nous pratiquons sont sur des standards européens. Idem pour les questions environnementales. Nous ne mettons plus d’herbicides dans nos champs de canne. Nous obéissons, ici, à des critères très stricts contre les pollutions de fumées… Ce qui donne à l’arrivée des coûts de revient plus élevés que dans d’autres pays de la Caraïbe. Oui, nous nous mobilisons pour que l’image ne soit pas en baisse. En créant des événementiels comme la Ti Punch Cup qui associe des cocktails avec du rhum agricole de la Martinique. Le Ti punch est clairement identifié à nos rhums comme peut l’être le Mojito avec un rhum cubain ». Une guerre qui passe par le biais d’une guerre d’image, d’une guerre informationnelle donc, raconter un terroir, faire du spiritourisme comme on le fait en métropole pour visiter une Maison de spiritueux, une marque, redonner à la nature ce qu’elle nous donne. Produire sainement. La marque Neisson, sise dans le nord-ouest de la Martinique, s’est également lancée dans le bio en créant le premier rhum bio des Antilles. C ‘est dire si l’image doit être reliftée et faire rêver.

Une fiscalité avantageuse remise en question

Le rhum français reste bien orienté en 2019. La Réunion, collectivité ultramarine de l’Océan indien voit ses rhums arrangés (rhums avec macération de divers ingrédients dont des fruits et des épices.) de plus en plus prisés pour caracoller en têtes de ventes de ce segment sur le marché hexagonal. Pour cela il est aussi aidé par un vrai coup de pouce de l’État français, avec la bénédiction de la commission européenne, puisque ses rhums agricoles disposent d’un régime de fiscalité avantageux. Ceci dans le but de préserver la filière « canne-sucre-rhum » qui emploie plusieurs milliers de personnes. Pour les rhums des DOM commercialisés en métropole, la TVA et la CSS sont équivalentes aux autres spiritueux, mais le droit d’accise (impôt indirect perçu sur la consommation) est réduit. Mais à partir de cette année, il devrait être réaligné sur celui perçu sur les autres spiritueux en métropole alors même que d’autres productions ultramarines, rhums arrangés, punch en bouteilles auraient bien besoin elles aussi de cette facilité pour défendre leur position face aux rhums importés produits à moindre à coût, qui veulent exister et se développer face à nos rhums et face aux rhums épicés, qu’ils soient de Cuba (Havana Club, du groupe Pernod, ou encore Bacardi), de Porto Rico (Captain Morgan, du groupe Diego) du Venezuela (Diplomatico) et d’ailleurs…

Depuis plusieurs années, La France s’est, comme d’autres pays européens, ouverte à la commercialisation mondialisée du rhum sur son sol. « Les règles de la concurrence sont pour l’instant, saines sur ce terrain-là, reconnaît de son côté Dominique de la Guigneraye ». La répression des fraudes veille. En 2015 et en 2016, elle diligentait une enquête pour vérifier que les boissons spiritueuses importées et ayant le qualificatif de rhum respectaient bien les règles de production et d’étiquetage retenues au niveau européen. Il n’y a eu toutefois que trois marques pour se faire épingler.

Le rhum est  portée aussi par les millénials. Cela consolide les volumes. Mais si demain, il y avait un recul sensible de la consommation au niveau national, les rhums français pourraient être extrêmement fragilisés dans leur business modèle. « Or, prévient Dominique de la Guigneraye, nous avons besoin d’être forts chez nous pour être forts à l’international, » lui qui est dans une maison présente dans 95 pays.

François Thomas

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