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Ces mots qui s'exportent

Publié le 18 juillet 2008 par Savatier

Les voyageurs polyglottes, ou simplement ceux qui prêtent l’oreille à ce qui se dit autour d’eux dans les pays qu’ils visitent, ont certainement remarqué que bien des mots français se sont faufilés dans les langues étrangères. Le mot est un produit d’exportation qui, à l’instar de tous les autres, joue un rôle déterminé sur le « marché » spécifique du langage : le plus souvent, s’il vient d’ailleurs, c’est pour combler avec des fortunes diverses une lacune, en définissant un concept ou un objet nouveau que la langue locale n’avait pu ou voulu prendre en compte.

Il en est ainsi, notamment, dans les secteurs techniques et technologiques : je me souviens de négociations portant sur la propulsion de navires auxquelles j’avais participé il y a quelques années dans le Maghreb ; celles-ci se tenaient en arabe, mais certains termes techniques (moteur, réducteur, chevaux, etc.) étaient empruntés au français, faute d’équivalent.

D’autres fois, des mots français font leur entrée dans le vocabulaire d’un pays pour leur symbolique particulière, souvent riche d’enseignements sur notre image et celle de notre culture. C’est la raison pour laquelle des termes apparaissent de par le monde, dans les domaines de la diplomatie (force majeure, coup d’Etat, impasse, chargé d’affaires, étiquette) ou de la cuisine et de l’art de vivre (hôtel, haute-cuisine, mayonnaise, bouillon, chaud-froid, consommé, de luxe, à la carte, côtelette, première, haute-couture, etc.)

Plus inattendus peut-être – c’est en tout cas une source d’étonnement assez constante de mes auditeurs lorsque je donne un cours de relations interculturelles à l’université ou aux collaborateurs d’une entreprise – beaucoup de termes relatifs à l’amour, aux femmes et à la transgression appartiennent au français (mademoiselle, brunette, petite, tête-à-tête, enfant terrible ou encore… ménage à trois). L’existence de cette dernière expression, surtout présente dans le monde anglo-saxon marqué par le puritanisme, s’explique sans doute par le fait que seuls les Français et leur art du libertinage pouvaient définir une telle situation…

Si les amoureux de la langue de Molière et de Gracq (mais aussi certains déclinologues dont on se demande parfois s’ils ne se confondraient pas plutôt avec les déclinophiles tant ils semblent se complaire dans leur rôle) regrettent, souvent à juste titre, l’entrée croissante dans notre langue de mots d’origine anglaise, ils ignorent ou feignent d’ignorer que l’anglais inclut déjà, et sans plainte des intéressés, environ 30% de mots français, « anglicanisés » ou non.

Par ailleurs, des substituts se font jour, que nous pouvons librement employer en lieu et place du franglais. Un homme d’affaires italien me faisait ainsi remarquer avec une certaine envie que nous avions inventé des mots comme ordinateur, courriel et livrel

tandis que, dans son pays, on ne parlait toujours que de computer, mail et e-book. Cette création de substituts demande parfois très peu d’efforts, un mot français existant déjà depuis des lustres, non utilisé ou tombé en désuétude. Il en est ainsi, dans le domaine de la chanson de variété – où la culture, il est vrai, brille souvent moins que les paillettes – de l’élégant florilège qui pourrait avantageusement remplacer l’agaçant best of, décliné en best of de, suivi du nom de la chanteuse ou du chanteur par des éditeurs musicaux qui n’entrevoient pas, semble-t-il, le ridicule et l’imbécilité de cette expression.

De nombreux mots français sont venus enrichir le vocabulaire de pays aussi divers que le Japon, la Russie, la Grèce ou la Suède, mais en perdant souvent au passage tout ou partie leur sens premier. Parfois même, leur usage a disparu de nos conversations. C’est à la recherche de ces derniers que s’est attaché Franck Resplandy, romancier et lexicographe, dans son ouvrage L’Etonnant voyage des mots français dans les langues étrangères (207 pages, Bartillat, 20€). Avec érudition et une belle dose d’humour, l’auteur les recense et livre la clef de leur glissement sémantique.

Les personnalités célèbres prêtent involontairement leur concours à cet enrichissement. Si « de Gaulle » a longtemps servi de surnom, en Afrique francophone, à l’homme le plus grand d’un village, aujourd’hui Resplandy nous apprend qu’Alain Delon désigne en Roumanie « un trois-quarts en daim avec doublure en fourrure » (par référence au manteau que l’acteur portait dans Rocco et ses frères), tandis que les Russes voient en Alen Delon, et non sans une connotation ironique, « un bel homme présomptueux ». Le sort ne sourit guère davantage à ce Belmondo (Belmonda au féminin) qui symbolise, encore en Russie, « un homme qui se croit beau et irrésistible ». D’autres noms apparaissent dans le livre, qui s’emploient en Pologne, en Italie, aux Etats-Unis, comme Napoléon, Pompadour, Récamier ou Robespierre dans des acceptions pour le moins inattendues.

Parfois, le mot français en vigueur dans un pays n’est guère flatteur. Alfons, version danoise et suédoise du prénom « Alphonse », désigne un proxénète (ailleurs, on dit Madam pour évoquer une tenancière) ; ami, en allemand de Cologne, est un « sale type » ; bonvivant prend, outre-Rhin, le sens péjoratif de « bambocheur », de même que visage se rapproche de notre « sale gueule ». Dans le même pays, grande nation désigne la France, mais avec une ironie qui doit beaucoup aux vestes (sans rapport, cette fois, avec la haute-couture) de 1871 et de juin 1940 ; enfin, embrassons-nous, en Italie, dénonce une « unité de façade » dans le monde politique.

L’après-ski des Anglais et des Allemands ne risque pas d’être recouvert de fourrure de bébé-phoque et de susciter l’ire de Brigitte Bardot (au passage, un bardotka est un soutien-gorge pigeonnant en Russie), puisqu’il désigne de manière un peu snob les activités succédant à la fréquentation des pistes (restaurant, discothèque, etc.). Le chalet échappe aux montagnes, même dans des pays où les reliefs sont présents : en Espagne, il s’agit d’une simple maison individuelle et au Liban, d’un appartement loué pour les vacances. Mayday, signal international de détresse, n’a rien à voir avec une belle journée de printemps mais dérive de l’expression « venez m’aider ». Msear, en cambodgien, vient de « monsieur » et s’utilise pour parler d’un fonctionnaire ; salopp en allemand trompe bien son monde : cet adjectif est synonyme de « décontracté » et « sympathique ». On le voit, les faux-amis abondent, favorisant d’embarrassants quiproquos, comme ce rendez-vous qui, employé par un homme d’affaires français pour rencontrer le plus professionnellement du monde une homologue américaine, risque de lui valoir des poursuites pour harcèlement sexuel, puisqu’il ne s’applique qu’aux rendez-vous galants…

Etrange cas encore que celui de l’homme moyen sensuel, qui qualifie en Angleterre « l’homme de la rue », « l’individu lambda », ou de ce portatif, autre nom, en Grèce, d’une « lampe de chevet » et de ce Ravaillac qui, en Suède, ne désigne pas un régicide, mais un « libertin ». « Henri IV » eut, sans doute mieux convenu… Plus étonnant, le wei (allô) chinois viendrait de notre « ouais », peu élégant, mais très répandu. Nul n’étant prophète en son pays, les dessins animés japonais que nous nommons manga sont appelés anime (prononcer : animé) dans le monde anglophone. L’auteur oublie notamment que le farang de Thaïlande qui désigne tout individu blanc est une déformation de « français », mais on lui pardonnera volontiers, eu égard à la richesse des entrées de son recueil.

Si l’on découvre dans ce livre que, bien souvent, les termes français prennent une connotation valorisante, le chapitre « Mauvaises langues » reprend quelques expressions étrangères qui traduisent plutôt la piètre réputation, justifiée ou non, que nous avons acquise au cours des siècles dans certains domaines. Certes, le French kiss (en italien bacio alla francese,

en grec galiko fili ou en turc fransiz öpücügü) consacre notre art amoureux présumé, mais to take French lessons est moins flatteur puisqu’il signifie « contracter une maladie vénérienne ». Que dire du néerlandais iets met de Franse slag doen qui qualifie un « travail bâclé » ou d’expressions allemandes, slovènes, grecques ou espagnoles (despedirse a la francesa dans cette dernière occurrence) qui, toutes, sont synonymes de « partir sans payer »… Voilà une source intéressante de méditation, alors qu’une étude récente réalisée par TNS pour le voyagiste Expedia classe le touriste français dans le peloton de queue de la popularité, toutes catégories confondues.

On peut bien sûr regretter le recul de l’usage du français de par le monde. L’accroissement des dotations budgétaires des Alliances françaises qui jouent un rôle prépondérant et font face à la concurrence du British Institute ou de l’Institut Goethe permettrait peut-être de limiter ce phénomène. Car de nombreux étrangers souhaitent apprendre le français, qui reste la langue diplomatique officielle et occupe la seconde place des langues étrangères apprises dans la Chine d’aujourd’hui, après l’anglais. En déduire que la langue de Shakespeare bénéficie pleinement de cette situation serait toutefois hasardeux. Certes, l’anglais est devenu, dans une très grande partie du monde, la langue de communication internationale et celle des affaires. Mais à quel prix ! Il suffit, comme j’en ai la chance depuis plus de vingt ans, d’entretenir des contacts avec les milieux d’affaires des cinq continents pour constater que l’anglais parlé à Shanghai, Bangkok, Lima, Le Caire ou Moscou perd en pureté, par pidginisation, pour aboutir à un Business English dans lequel Somerset Maugham eut été bien ennuyé d’écrire.

Illustrations :  Un Français typique (photo Alain Gaysterun) - Vache “Moulin rouge” (photo Spirit of Paris) - Carolus-Duran, Le Baiser, 1868.


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