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Le Japon d’Alexandre Bergamini

Publié le 21 février 2020 par Les Lettres Françaises

Alexandre Bergamini, Cher Alexandre,

C’est l’un de tes plus beaux livres. Le plus poétique, le plus enraciné et le plus aérien. J’ai pris au vol des phrases de ton cru que j’ai soigneusement notées dans un calepin. Un livre d’ombre et de lumière. Ton amour du Japon est très intimement lié à ton histoire. Les tragédies appellent le silence, le frissonnement des arbres, la brise, qui sont les autres voix des morts. Tu ne pouvais que te trouver au Japon, là où est, là  où se fait la meilleure place de Vivian dans ton cœur, là où on le laisse vivre et partir en paix. Loin de l’entropie occidentale. Il y a de la noblesse dans le Japon que tu décris, dans chacun des êtres que tu y rencontres. Je te crois sur parole. Il est possible d’y mourir parce qu’il est possible d’y vivre. A commencer par tous ces rituels, ces silences, ces sourires, ces salutations que tu égraines à travers des pages d’une grande beauté. La mort n’existe pas, il n’y a que la vie qui se termine. Il n’y a pas de « deuils », de « condoléances », tout ce vocabulaire consommé qui nie ces merveilleux hasards que sont les souvenirs et la contemplation : « les rochers sombres entre le sable doux,, l’état primaire du monde avant le langage ».

Dans ce Japon qui n’appartient qu’à toi, le passage du temps (« mon existence s’éprouve avec le temps que je sens passer en moi ») est rendu possible comme le désir (« j’avais oublié que lorsqu’on rencontre son désir, on rencontre également son vertige ») Ton Japon est tien puisque tu sais si bien le saisir, il me rappelle des mots d’Emerson. Emerson qui fait partie d’une grande tradition de poètes américains, qui va de Thoreau à Walt Whitman, de Jack Kerouac à Jim Harrison. Ils réconcilient l’homme avec la simplicité, les éléments, le dépouillement, la restauration de son corps et de son âme avec la Nature, avec sa propre Nature, à laquelle tu laisses toi-même une chance. C’est une attitude rare à l’heure des grandes dénégations, à l’heure d’un nihilisme et d’un cynisme tapageurs et de l’envahissement vulgaire.

Je suppose que tu le peux, que tu es en capacité de laisser à l’Homme une chance (« Il tient un don qui ne disparaîtra pas avec lui, la bonté »), parce que tu as entrepris de grands voyages humains et littéraires, des Roses sauvages à Sang Damné, du Livre de Vivian au Japon. « Un peu d’air frais » c’est ce que tu en ramènes et c’est ce que cherchait le héros d’Orwell à la veille de la guerre.

Cette phrase d’Emerson la voici : « La raison pour laquelle le monde manque d’unité et gît brisé et en morceaux, c’est que l’homme est séparé d’avec lui-même (…) Au plein sens du terme, la pensée est ferveur et la ferveur est pensée ».

Le cloaque s’ouvre sur les plaines de la poésie… C’est l’expérience que j’ai vécu avec ton livre. Sois-en remercié. C’est bon, délicat, subtil, intelligent, merci de nous rappeler que ça n’est pas de la faiblesse…

Régis Duffour

Alexandre Bergamini, Vague inquiétude
Editions Picquier, 160pages, 15 €

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