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Léonard de Vinci. Le Louvre, usine ou musée ?

Par Balndorn

Léonard de Vinci. Le Louvre, usine ou musée ?

Léonard de Vinci, Portrait d’une dame de la cour de Milan,
dit, à tort, La Belle Ferronnière, vers 1490-1497. Huile sur bois
(noyer). H. 63,5 ; L. 44,5 cm. Paris, musée du Louvre,
département des Peintures, INV. 778
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado.

Dix ans de montage. Des tensions diplomatiques. Des œuvres déplacées à travers le monde. Des réservations ouvertes quatre mois à l’avance. Pour ma part, j’ai attendu trois mois avant de visiter enfin l’exposition Léonard de Vinci au musée du Louvre. Et j’ai envie de dire : tout ça pour ça.
On y voit de moins en moins
La presse évoque rarement les conditions de visite des expositions. Et pour cause : elle en fait le tour lors de vernissages organisés généralement la veille. Participer à un vernissage, manifestation culturelle des plus select, n’est pas qu’une manière de se distinguer socialement (ça l’est, bien évidemment) ; c’est une manière radicalement autre, élitiste, d’appréhender une exposition. Ayant déjà eu l’occasion d’assister à des vernissages, je peux témoigner du confort que l’on éprouve en tant que critique d’art pour apprécier au mieux les œuvres présentées, surtout lorsqu’elles sont aussi petites que les dessins de Léonard de Vinci. Néanmoins, il s’agit d’un biais qu’il faut constamment garder à l’esprit lorsqu’on désire partager son expérience au plus grand nombre. Or, quantité d’articles oublient de mentionner l’invivable cohue que suscite une exposition aussi médiatisée que Léonard de Vinci ; le meilleur exemple en la matière restant la critique de CNews, qui cache à grand peine un dossier de presse formaté selon les codes du journal, et dont les photos trahissent la quiétude du vernissage.N’ayant pas obtenu le précieux sésame du vernissage pour cette exposition-ci, j’ai pu voir de près ce qu’engendre un battage médiatique hors-normes. À peine entré·es dans la première salle, ma compagne et moi avons rapidement dû choisir entre piétiner trois heures dans la cohorte des visiteurs défilant devant le moindre dessin ou tracer le parcours à grandes enjambées, en prenant soin d’esquiver les groupes, les selfies et, au passage, en jetant un coup d’œil à quelques œuvres monumentales.Je n’ai jamais mieux compris les propos éloquents du grand historien de l’art Daniel Arasse qu’avec cette exposition :« À force de rendre ces tableaux visibles par le plus grand nombre possible, on les voit de moins en moins. […] On y voit de moins en moins parce qu’il y a plus en plus de monde, et aussi parce que, tant dans les musées que dans les expositions, montrer de la peinture ou de la sculpture, c’est faire du théâtre autour des œuvres d’art, c’est faire de la scénographie. […] Le problème, c’est que la scénographie montre avant tout le scénographe » (Histoires de peinture).En d’autres termes : la monumentalité d’une telle exposition sert essentiellement d’étalage de puissance culturelle (soft power). Qu’on me dise où se trouve la fameuse éducation populaire, sinon critique, d’un parcours dont on a soigneusement retiré le moindre cartel pour laisser les œuvres à nu – si tant est qu’on arrive à les distinguer au milieu de la foule –, auréolées de puissance lorsqu’elles trônent majestueusement dans d’immenses salles ?

Une course aux chefs-d’œuvre sans chefs-d’œuvre
J’avais déjà parlé du caractère blockbuster de l’exposition Delacroixil y a deux ans au Louvre. Elle avait au moins pour mérite – c’était bien le seul – de surjouer le gigantisme de l’artiste romantique. Mais les croquis intimistes de Vinci n’ont rien d’aussi colossaux et se perdent dans la vacuité des pièces. Quant aux pièces monumentales proprement dites, de quoi parle-t-on ? Puisqu’il est impossible, vu leur fragilité et leur valeur financière – à titre d’exemple, le prince saoudien Mohammed ben Salmane a dépensé plus de 450 millions de dollars pour acquérir le Salvator Mundi en 2017, ce qui en fait la peinture ayant coûté le plus cher dans l’histoire humaine – de déplacer les pièces originales, le Louvre recourt à une stratégie détournée : les reprographies. Certes, elles donnent à voir l’évolution des œuvres – du moins lorsqu’on connaît si bien les originaux qu’on décèle les différences au premier coup d’œil –, mais elles cachent mal la misère du procédé. On assiste donc à une course aux chefs-d’œuvre… sans chefs-d’œuvre.Au moins aurait-on pu s’attendre à un renouvellement du discours porté sur l’artiste italien. Mais toujours rien de neuf à l’horizon : le livret distribué à l’entrée se contente de ressortir – en des termes si chics – les clichés sur le génie presque inné de Vinci, dont on mentionne à peine la formation initiale et qu’on isole volontairement du contexte international et matériel dans lequel il produisait. Ce qui donne lieu à des titres aussi creux et pompeux que « Liberté », « Vie », etc.Je pourrais encore longuement parler de ma frustration, mais je préfèrerais poser une dernière question. La culture – officielle, il s’entend – apporte-t-elle vraiment l’esprit critique qu’on lui prête ? ou sous ses dehors émancipateurs, se contente-t-elle, à travers les musées/usines du pouvoir, de produire et représenter la puissance de la classe dont elle provient ?

Léonard de Vinci. Le Louvre, usine ou musée ?

Léonard de Vinci, Étude de figure pour la Bataille
d’Anghiari
, vers 1504. Sanguine sur papier préparé ocre rose.
H. 22,7 ; L. 18,6 cm. Budapest, Szépművészeti Múzeum, inv.
1774 © Szépművészeti Múzeum - Museum of Fine Arts
Budapest, 2019.

Léonard de Vinci (1452 – 1519), au musée du Louvre jusqu’au 24 février 2020
Maxime
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