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De l’amour chez les petits-maîtres

Par Richard Le Menn

De l’amour chez les petits-maîtres

Cette petite maîtresse qui consulte ses charmes, comme le dit la légende de cette gravure, s'habille-t-elle ou se déshabille-t-elle ? Sans doute se déshabille-t-elle, car sa coiffure est encore toute mise. Au sujet de cette dernière, avec une sorte de toupet au-dessus du front, elle rappelle une mode qui perdure pendant des millénaires, depuis les petites-maîtresses de l'Antiquité, avec la lampadion grecque et la lampadium romaine (voir mon second livre sur Les Petits-maîtres du style), en passant par les débuts de la coiffure à la Fontanges de la fin du XVIIe siècle.

Jacques Peletier (1517 - 1582 ou 1583) écrit au début de son Art poétique (1555) : " Qui voudra prendre garde, Seigneur Gaudart [je rappelle qu'en ancien français le verbe gaudir signifie " se réjouir "], aux desseins et affaires des hommes : il trouvera que tout est accompagné d'une certaine volupté : sans laquelle nous serions tous errants et incertains en nos délibérations [examens de conscience] et entreprises [actions]. Même ès [dans les] choses les plus difficiles et laborieuses : la volupté, ou comme j'ai de coutume de parler, l'amour y est inséparable. "

L'amour est un sujet important de la culture française. Elle en offre tous les dégradés, depuis le plus mystique jusqu'au plus charnel. A partir du XIIe siècle, les poètes de la fine amore établissent le lien entre ces deux 'extrêmes' et créent un courant, " art de cour " (" courtoisie "), présent durant tout l'Ancien Régime, bien que se muant au XVIIe siècle en galanterie. J'évoque le domaine de la courtoisie dans l'article sur La bona maneira.

Ce n'est pas pour rien que Jacques Peletier parle d'amour au début de son Art poétique. En amour, quel-qu'il soit, le rythme a une grande importance. Rien n'échappe au rythme, puisque le mouvement est à la base de toutes vies, et même créateur de vie.

L'univers courtois puise ses rythmes dans la terre même et sa danse amoureuse. Comme dans la religion, le fin amant cherche l'harmonie, la symphonie sublime, en empreigne son âme qu'il affine. Je ne devrais pas dire " cherche " mais " trouve ", car c'est un trouveur : un trouvère (de langue d'Oïl, un troubadour en langue d'Oc, mot venant de trobar : trouver). Il n'est pas dans le désir, mais dans le plaisir ; non pas dans un plaisir feint, mais dans l'essence même de toutes choses, ou au moins de ce qu'il peut trouver en son âme de plus fin, beau et bon. Cette harmonie miroite naturellement dans son apparence : son attitude, son élégance, etc. Évidemment, il est des gens qui travaillent d'abord leur apparence afin de faire croire que cela est le reflet de leur esprit... mais il dupent aussi eux-mêmes, ce qui n'est pas le but de la courtoisie bien sûr. Ce que j'apprécie beaucoup chez les petits-maîtres, c'est qu'il y a souvent dans leurs manières quelque chose de faux et toujours quelque chose d'original, de particulier, ce qui fait que l'on ne peut jamais les prendre au sérieux, le sérieux étant selon moi 'très éloigné' du vrai et du bon... le sérieux étant peut-être même à l'origine de la souffrance.

Le XVIIe siècle en offre une gamme très complète. Le libertinage est particulièrement bien représenté avec les libertins et les courtisanes. Contrairement à ces derniers, les coquettes de cette époque ne recherchent pas le plaisir, elles le savourent comme il vient, en s'intéressant surtout à elles-mêmes. Les précieuses, qui représentent à elles seules tout un mouvement culturel, sont parfois coquettes, parfois " prudes ", mais le ton général est celui d'un amour épuré, essayant d'être raffiné à l'extrême, comme " la carte du tendre " en donne un aperçu, finalement surtout intellectuel... suivant les préceptes platoniciens d'une âme se confondant avec l'Idée, l'essence des choses, la sagesse. Même l'amour religieux trouve son petit-maître à travers le courant 'dévot', qui est à la mode à certains moments de ce siècle. L'amour spirituel est, chez les petits-maîtres, avant tout celui des rythmes, du mouvement nouveau et de la beauté.

La courtoisie et la galanterie donnent une part importante à l'amour charnel, mais uniquement dans les rapports entre la femme et l'homme. Si l'homosexualité peut être présente et acceptée (notamment dans la famille de Louis XIV certains sont célèbres pour cela, comme Monsieur frère du roi), elle n'est jamais montrée comme exemple. Au contraire, la culture française est depuis son origine baignée d'un culte de la dame que l'on retrouve dans l'amour fin médiéval (fin'amor), la courtoisie et la galanterie. L'amitié est aussi beaucoup plus présente qu'aujourd'hui, avec des dégradés beaucoup plus profonds, et ceci aussi entre les deux sexes.

Le plaisir n'est pas le désir. Le désir est confronté à l'étroitesse de la matière (post coitum triste), alors que le plaisir savoure le présent, ouvre l'esprit à l'infinité de ses possibilités.


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