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Mes élucubrations de recluse : Le double Jeu de la solidarité

Publié le 21 mars 2020 par Muzard


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J’ai bien entendu la colère oh combien justifiée des soignants déplorant le manque de matériel médical ou celle des chauffeurs routiers ostracisés ou des ouvriers obligés de travailler quand les cadres batifolent à la campagne… mais ces mouvements d’exaspération ne m’ont pas autant touchée que la vague de solidarité qui a gagné notre pays.

La faute à qui ? A la séance de méditation collective en live à laquelle j’ai participé ce matin. Cette pause spirituelle en connexion avec d’autres confinés, a stimulé ma production d’endorphine. Une dose de drogue « home made »  (comprenez bien, secrétée par mon cerveau) ça peut aider à garder le moral, dans une période éprouvante.  

Je ressens un sentiment de gratitude à l’égard de Christophe Detourbet qui a pris sur son temps pour proposer cette méditation à même d’apaiser nos  esprits troublés par l’épidémie. Mais aussi pour l’application Zoom qui a rendu possible au plan technique cette séance live, et ce, gratuitement.

C’est aussi un sentiment de gratitude qui m’anime aujourd’hui en découvrant les initiatives de solidarité qui se sont multipliées en France après la phase de panique.

Des confinés solidaires 

De plus en plus de Français se mobilisent pour aider leurs voisins  en proposant aux plus âgés de faire des courses, et aux jeunes parents de garder des enfants ou de leur donner des cours à distance….

Des supporteurs de clubs de football français se mobilisent pour soutenir le corps médical, certains ont même lancé une cagnotte pour récolter des fonds.

Des célébrités comme  le chanteur M,  ou Jean-Louis Aubert  et Renaud Capuçon, mettent à disposition des « bœufs » virtuels  pour divertir les personnes confinées.  Quand d’autres humoristes publient en ligne des blagues ou des vidéos drôles. De nombreux coach  proposent aux Français confinés des séances gratuites de gym ou de yoga.

Internet et les réseaux sociaux, éternels mal aimés, apparaissent sous leur meilleur jour.

Dès mardi un mot d’ordre est passé, sous le hashtag « OnApplaudit » les citoyens confinés ont été invités à sortir sur leur balcon à 20 H pour applaudir les personnels soignants, un appel largement entendu.

Des plateformes se créent comme « en première ligne » pour faciliter la mise en relation entre voisins, pour que les personnes solidaires viennent en aide aux personnes fragiles.

La loi de la réciprocité

Un élan de générosité qui montre que nous sommes capables de nous affranchir de notre nature primate et reprendre le contrôle de nos pulsions égoïstes de survie ?

Pas vraiment.

"Les scientifiques ont longtemps été réticents à reconnaître l'existence de l'empathie chez des animaux, assumant des motivations purement égoïstes, des explications qui ne collent pas avec ces observations", explique  Frans de Waal, de l'université Emory[1]. Le Primatologue nous rappelle que l’altruisme est présent chez les primates comme d’ailleurs chez de nombreux mammifères.

En tant que primates nous sommes des êtres sociaux,  l’évolution nous a conduit à développer des capacités d’empathie qui contrebalancent notre esprit de compétition. Sans elles, les humains s’entretueraient au lieu de coopérer pour chasser en groupe ou repousser des prédateurs.

Si face au danger imminent, par exemple à la vue d’un lion nos pulsions égoïstes prennent le contrôle de notre cerveau, « chacun pour soi », quand la menace semble moins aigüe, les motivations altruistes regagnent du terrain.

Au plan neurologique, notre circuit de la récompense ( le système dopaminergique est activé, encore une histoire de drogues !)  quand on accomplit un geste de générosité, parce qu’on anticipe un retour en échange de notre geste solidaire ?

En agissant de manière altruiste, nous prouvons à notre communauté que nous sommes aptes à coopérer. Nous allons " obliger les autres". C'est un acte de réciprocité indirecte comme le qualifie le biologiste Dario Maestripiéri dans "À quoi jouent les primates" (2). 

Nos cousins singes sont très regardants en la matière. Ils sont dotés d’un algorithme biologique qui leur permet de comparer la valeur de leur « don » avec celui dont il bénéficie en retour. Sachant que le « don » de retour, peut être différé dans le temps (ils sont dotés d’une bonne mémoire) et se présenter sous différentes formes : l’intervention dans un conflit pour leur porter assistance, ou une poignée de baies sauvages. La réciprocité est une loi qui régit toutes les relations primates, y compris dans les tribus humaines.

En témoigne, la déception voire la colère quand un ami que nous avons aidé dans le passé, ne nous aide pas en retour quand nous le sollicitons.

Ainsi en applaudissant les médecins depuis nos fenêtres ou balcons, on espère inconsciemment en retour les motiver pour qu’ils continuent à nous sauver. Et cela fonctionne comme l’illustrent certains commentaires : « Merci à tous pour ce geste!! C’est émouvant... demain je vais aller soigner le malades avec le cœur réchauffé!!!

Effet d’aubaine pour les entreprises ?

Les entreprises ne sont pas en reste, nombre d’entre-elles ont fait savoir qu’elles participaient à l’effort de solidarité, probablement dans un espoir de réciprocité.

Quand LVMH distribue gratuitement aux hôpitaux des gels hydroalcooliques, il soigne sa réputation. Chez nos amis singes, les membres rechignent à  partager leurs ressources ou porter secours à ceux qui se comportent en  « égoïstes »,  ils les marginalisent. A l’inverse, ils coopèrent plus volontiers avec les personnalités réputées bienveillantes.

En permettant aux téléspectateurs de pouvoir accéder à ses programmes en clair pendant la durée du confinement, Canal + « oblige » les Français, qui représentent autant de clients potentiels. La chaîne qui est plutôt en perte de vitesse, espère peut-être reconquérir certains abonnés. 

Quand l’Oréal distribue aux établissements médicaux et aux acteurs de l'alimentation des gels hydroalcooliques, il suscite un sentiment de gratitude dans l’opinion.  Et quand il soutient financièrement les salons de coiffure, il espère peut-être réduire le risque de faillite de ses distributeurs pour préserver sa future activité.

Dans une société qui attend de ses acteurs économiques qu’ils s’engagent pour améliorer le monde,  les initiatives de solidarité représentent des actions de communication très efficaces. Quand le site de mise en relation entre particuliers, AlloVoisins annonce "mettre sa force de frappe à la disposition du contexte", EUROPE 1 tend le micro à son cofondateur. La Start Up bénéficie ainsi d’une campagne rédactionnelle.

Dès lors que certaines entreprises ont montré la voie de la solidarité, il est risqué pour les autres de se tenir à l’écart de cet élan. Elles seraient montrées du doigt, le name & shame est une pratique de plus en plus courante désormais.

C’est pourquoi la liste des entreprises solidaires, s’allonge chaque jour.

Orange a été le premier lundi à proposer à ses abonnées un accès gratuit à ses chaînes OCS et  Jeunesse afin de divertir parents et enfants dans cette période de confinement. Les autres opérateurs n’ont pas tardé à réagir ;  SFR, en offrant un bouquet de chaînes "Plus Jeunesse"  et  Free en proposant plus de data pour un forfait inchangé.

La gratitude, moteur de la solidarité

Doit-on pour autant considérer ces actions solidaires comme une forme d’opportunisme et accuser les entreprises de cynisme comme certains n’ont pas hésité à le faire quand B Arnault PDG de LVMH a fait un don conséquent dédié à la reconstruction de Notre Dame ?

On aurait tort.

D’abord parce qu’il serait dommage de se priver de ces gestes d’entraide. Et parce que cela remettrait en cause le principe de la réciprocité qui est une des lois les plus efficaces pour assurer la cohésion d’une société de primates.

Enfin parce qu’on ne peut écarter que certains actes soient totalement dénués d’intérêt. Que peut- on attendre en retour quand on fait les courses pour sa voisine âgée ?  

A priori pas de retour d’ascenseur à espérer. Mais il reste que nous y gagnons un sentiment de plaisir.

Nous sommes dotés d’un dispositif de neurones miroirs qui permet à notre cerveau de ressentir les sentiments et émotions de nos proches. Quand ils éprouvent de la gratitude à notre égard, nous sommes gagnés par ce même sentiment.

Un sentiment de bienveillance à l’égard de nous-mêmes (selon un concept tendance dans le domaine du développement personnel) qui active notre circuit de la récompense.  Alors pourquoi se priver du plaisir de faire plaisir aux autres, quand les plaisirs se font rares ?  La solidarité c’est contagieux.

[1] Etude parue en janvier 2016 dans Science


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