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Les palliatifs au manque de grooming -Suite des élucubrations d'une recluse :

Publié le 01 avril 2020 par Muzard

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Le contact physique est pour un chimpanzé le meilleur remède contre l'inquiétude
[1] rappelle l’anthropologue  Véronique Servais.

Nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne en matière de confinement.
En témoignent ces parents qui racontent parfois avec humour la difficulté de vivre et de travailler dans un espace réduit avec des enfants en bas âge ou des adolescents. Mais le confinement pourrait être encore plus éprouvant pour les personnes vivant seules. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le plus dur à supporter pour elles, n’est pas d’être privées de partenaires de jeux sexuels mais de tout contact physique et ce pendant plusieurs semaines.

En effet, en tant que primates, nous partageons avec nos cousins chimpanzés ce besoin fondamental de contact physique avec nos congénères.

Le grooming, rassure et rapproche

Chez les singes ce contact prend la forme le plus souvent du grooming qu’on a longtemps considéré à tort comme un seul acte d’hygiène (retrait de poux et autres parasites) alors qu’il fait partie des actes sociaux les plus pratiqués en particulier dans les espèces les plus proches de nous. A l’exception des bonobos qui privilégient les séances de copulation.

Au plan psychologique, le grooming apparait comme l’un des meilleurs anti-stress chez les primates.[2] Il permet de retrouver le réconfort qu’offrent les premiers soins maternels.

L’attachement maternel est nécessaire au bébé, c’est une question de survie, le cerveau primate (comme d’autres mammifères) s’est adapté afin d’encourager la mère à s’occuper de son bébé.  La pratique « du skin to skin contact » libère des hormones en particulier l’ocytocine [3]qui elle même active le dispositif de récompense et du plaisir celui qu’on ressent quand on déguste un carré de chocolat.  Elle a  donc pour effet de renforcer le lien entre les « partenaires ».

Dans les périodes de crise, en cas de pénurie alimentaire ou de guerres tribales,  les chimpanzés ont tendance à multiplier les « papouilles » car elles réduisent le cortisol,l’hormone du stress.

En quête de grooming

Et chez les humains, qu’en est il ?  L’expression Chercher des poux à quelqu’un qui s’apparente à une déclaration de guerre pourrait laisser penser qu’on s’est affranchi de ce besoin primaire. La réalité est tout autre. Notre cerveau est aussi gourmand en « câlins » que celui des singes.

L’ocytocine réduit L’anxiété et la peur, induit un sentiment de calme et de sécurité, favorise la confiance et le rapprochement entre les individus[4].De nombreuses études attestent des vertus du grooming chez les humains. Un acte social qui se pratique souvent dans sa forme primitive. Quand des enfants se font des « guilis »,  quand des jeunes amis se coiffent mutuellement, se maquillent, se massent ou font la chasse à leurs poils ou leurs points noirs, ils renouent avec les gestes ancestraux de l’épouillage.  De même quand ils s’enlacent, se caressent, s’embrassent ou échangent des poignées de main.

Mais le grooming se pratique à deux au moins. Certains ont la chance (ou malchance ?) d’avoir des partenaires de jeux sous leur toit. Les autres peuvent espérer satisfaire leur besoin de grooming en fréquentant une salle de sport (de nombreux sports se pratiquent avec un partenaire), une boîte de nuit, une église (échange de poignée de main avec les autres fidèles…). Attention seuls les pervers ou les désespérés se tournent vers l’option métro à 8H du matin en espérant combler leur manque de contact par un collé-serré avec d’autres voyageurs.  Il ne faut pas confondre grooming et promiscuité. L’acte de grooming ne s’impose pas, il suppose le consentement préalable des deux partenaires.

Le succès des sites de rencontres n’est pas sans rapport avec notre besoin de contact physique. Ainsi il est possible grâce à Tinder par exemple de rentrer en contact avec des inconnus et de pouvoir organiser dans l’heure qui suit une séance de grooming à la manière chimpanzé sans être obligé de prendre l’option copulation à la manière des bonobos….

Les humains ont aussi pensé à leurs aînés et aux personnes handicapées en manque de grooming.  Ils proposent des alternatives que les chimpanzés pourraient nous envier : le recours à des professionnels du toucher.

Monique Carlotti, Formatrice au sein d' Établissements médico sociaux accueillant des personnes en grande vulnérabilité l’explique bien :

Dans une société fragmentée par le divorce et les nouvelles modalités du vivre ensemble-séparé, une société où la carence en toucher est évidente, le développement des centres de thalassothérapie, des cabinets d’esthétiques et de massages, l’usage des hammams qui s’étend à d’autres culture que celle de son origine n’est pas un hasard mais une réponse marchande à ce besoin fondamental.

Pour certaines personnes âgées isolées, la séance de kiné, ou de manucure …. Est l’une des rares occasions de grooming qui leur sont offertes.

Ceci étant, le grooming présente quelques effets secondaires.

Chez les singes, il diminue la vigilance, et le temps de repos et expose aux maladies 2

Chez les humains, la densité de la population renforce le risque de contamination.

L’épidémie de coronavirus est venue nous rappeler que le grooming pouvait s’avérer mortelle.

Alors comment ne pas sombrer dans une dépression, quand nous sommes privés de tout contact physique pendant plusieurs semaines ?

Les palliatifs au manque de grooming

Les humains font preuve d’inventivité quand il s’agit de trouver des palliatifs à leurs manques. Ainsi nous avons domestiqué certains animaux afin qu’ils nous procurent des câlins.

Ceux qui sont entourés par leur chien ou leur chat sont mieux lotis en temps de confinement, c’est sûr. A New York, épicentre de l’épidémie aux USA, dans les 15 derniers jour, les refuges pour animaux ont reçu 10 fois plus de demandes d’adoption de chiens ou de chats que d’habitude[5] .

Mais en l’absence de nos amis à poil, nous expérimentons d’autres formes de compagnie.

C’est ainsi que Monique Carlotti rappelle que nombre d’EHPAD proposent à leurs résidents   la Dollthérapie, elles mettent à leur disposition un poupon grandeur nature et du poids d’un bébé dont la personne âgée peut prendre soin, qu’elle peut bercer, avec laquelle elle peut dormir.

Les Japonais quant à eux ont recours de plus en plus souvent à des robots qui conversent, voire prennent soin de personnes âgées ou handicapées.

Mais le contact avec le plastique (poupée) ou le métal (robot) ne rivalise pas avec la chaleur d’une poignée de main…

Plutôt que de chercher à leurrer notre cerveau par des contacts avec des objets inanimés, mieux vaut explorer le moyen de secréter des hormones du plaisir autrement que par le toucher.

Privés de lien physique, nous pouvons multiplier les contacts à distance, téléphoniques ou par Skype. Plusieurs études ont montré qu’après une période stressante (ex après un examen) le taux de cortisol (un des indicateurs du niveau de stress) diminuait dans le sang après un coup de fil passé à un proche réconfortant - même si cette baisse était moins significative qu’après un contact en face à face-.

On peut aussi maintenir les liens sur les réseaux sociaux, mais les études sont plus dubitatives, le niveau de cortisol ne serait guère moins élevé après un échange sur Facebook que sans échange du tout !

Partager des émotions fortes (sentiment de gratitude, colère, rire…) par exemple quand on applaudit ensemble au balcon le personnel soignant,  c’est bon pour notre cerveau. Mais on reviendra sur ce sujet passionnant ultérieurement.
En outre, apprendre le piano, une nouvelle recette, réussir une énigme ou franchir un niveau sur LOL procurent des satisfactions qui rivalisent avec un « hug » sur l’échelle du plaisir.

Ne boudons pas non plus les « petits bonheurs » faciles, à la portée de tous, comme déguster un bon plat, ou un polar, se dorer au soleil ou s’esclaffer devant une vidéo. Nul besoin de gravir une montagne pour doper nos endorphines !

Autres options, visionner un film d’horreur, lire des récits dramatiques, permet de cristalliser sa peur.  Un peu comme les enfants qui s’endorment apaisés après avoir écouté un conte de Perrault. Rassurés de ne pas avoir été abandonnés par leurs parents comme le Petit Poucet, ou d'avoir échappé à la belle-mère de Cendrillon… Quel soulagement de ne pas être menacé par le serial Killer de Scream, de quoi nous faire apprécier notre état de confiné.  

Enfin, on peut se projeter dans le futur, à la fin du confinement (si, si, ce jour arrivera !)  en imaginant des scènes de retrouvailles avec nos proches. Cette représentation mentale peut suffire à provoquer une libération de la « cuddle hormone » tout comme on salive à l’idée de déguster un fondant au chocolat. Pourquoi se priver du plaisir d’anticipation ?

[1] Véronique Servais Oct 1993

https://journals.openedition.org/terrain/3073#tocto2n5

[2] Shutt et al., 2007 ; Kaburu et al., 2012 https://oatao.univ-toulouse.fr/14126/1/Cheyssac_14126

[3] https://www.medscape.com/viewarticle/806325_3

[4] https://lecerveau.mcgill.ca/flash/i/i_04/i_04_m/i_04_m_des/i_04_m_des.html

[5] https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-03-25/newest-shortage-in-new-york-the-city-is-running-out-of-dogs?


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