Paul Vallée – Je regrette : un bilan

Je regrette
De ne pas avoir étranglé mon voisin du dessus
De ne pas avoir baisé davantage de femmes esseulées
De ne pas les avoir délaissées plus tôt
D’avoir fait d’Arthur Rimbaud un dieu
De ne pas avoir saboté TOUTES mes relations
D’avoir épargné quelques amis
Je regrette
Je regrette de ne pas m’être suicidé à vingt ans
Alors que j’avais encore du temps devant moi
De ne pas avoir blessé davantage de gens
De ne pas en avoir insulté davantage encore
D’avoir cru à l’amour
Comme les chiens
D’avoir eu du cœur
Moi qui en ai jamais eu
D’avoir écrit de la poésie
Au lieu d’aller jusqu’au bout
Et de buter quelqu’un
De rage de désespoir
De ne pas avoir traîné
Celle-là par les cheveux ou cette autre
Pour coups reçus et blessures subies
D’avoir fait euthanasier mon chien
Lui qui ne voulait pas me quitter –
Je me souviens de son regard déchirant
Qui m’implorait de le laisser vivre –
D’avoir volé ma mère
De l’avoir abandonnée à son sort
D’avoir tout détruit tout saccagé autour de moi
Et d’en avoir éprouvé du remords
D avoir été un sale type
Sans jamais en porter le titre
D’avoir été aimé par quelques femmes
Moi qui ne les ai jamais estimées
De ne pas avoir apprécié suffisamment
L’état de supériorité morale dans lequel les autres se drapaient
Toujours
Devant moi
Pour mieux les exécrer
De ne pas avoir assez trahi jeté
D’avoir eu des sentiments de nature esthétique
D’avoir été un monstre sans projet ni idéal

Je regrette…

Ma naissance
Quel gâchis !
Mais j’ajoute aussitôt :
Quel gâchis les autres !
Quel gâchis oui !

Il n’y aura jamais de pacte entre nous
Il n’y en aura jamais

Nul doute que le néant me fera bon accueil !

Puisque l’enfer pour des hommes comme moi
N’existe pas !

***

Paul Vallée (Ayer’s Cliff, Québec 1970-2002) – Autodestruction