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La fille qui partait chasser la courge bio du Chichiquetzal dans les forêts primitives de Gael-Paimpont

Par La Chose

La fille qui partait chasser la courge bio du Chichiquetzal dans les forêts primitives de Gael-Paimpont

Depuis le début du confinage, je suis pas fière d’avouer que j’ai pas trop fait les courses.
C’est pas que ça me déplaît, parce que moi j’ai toujours aimé avoir des relations sociales avec les autres personnes qui vont chez Hyper U pour acheter du pain congelé, des tomates chimiques et des céréales au bisphénol.
C’est plutôt que Loutre aime pas trop que j’y aille, rapport à mon manque de prise de conscience écologique, politique et aussi éthique.
Loutre aime acheter des paquets de n’importe quoi, du moment qu’il y a la photo d’un monsieur avec un bonnet péruvien et une flûte de Pan ou d’une dame africaine très souriante avec un bébé accroché dans le dos.
Moi j’ai rien contre, c’est juste que ne trouve pas beaucoup de paquets de chips ou de barres chocolatées fourrées à la cacahuète avec ce genre d’image dessus, je sais pas trop pourquoi.

Loutre, je vois bien que les jours qui passent et qui se ressemblent, ça lui pèse beaucoup.

Moi, je m’occupe pas trop mal vu que j’ai des « plaisirs simples » (c’est Loutre qui dit ça): j’ai envahi quinze fois Berlin, rasé Stalingrad huit fois, éviscéré 13670 morts-vivants, tué le dragon Alduin sept fois et vidé le tombeau d’Hillgründ quatre fois au passage (à force, ça fait un peu comme de visiter un deux-pièces à Barbès entre midi et deux au mois d’août, après avoir bu trois verres de gros rouge chez Momo, qui est le bar qui fait l’angle avec la rue Pierre Budin).

J’ai aussi pris trois kilos et quinze centimètres de hauteur capillaire (je t’ai expliqué ici), revu Alien et Les Goonies cinq fois, ouvert ma bouche pleine de nourriture quatorze fois à table pour faire rigoler Phlegmon (et pris quatorze calottes sur la tête parce que Loutre trouve que c’est MAL), relu Shining et Sa majesté des mouches deux fois, et j’ai aussi cassé deux fenêtres en essayant de faire de l’exercice dans le jardin avec une balle de tennis.

Du coup l’autre jour, j’avais quand même très envie de me pendre ou de regarder n’importe quoi avec Roger Hanin à la télé, ou les deux en même temps, et Loutre faisait sa tête de personnage de roman de Jim Harrison (celui avec la quatrième de couverture qui explique que c’est l’histoire « d’un homme à la quête de lui-même, qui se défie de son sang, se lançant dans la cartographie, souche par souche, des arbres coupés par sa famille », et après le héros passe 673 pages à pêcher à la mouche en comptant des troncs d’arbre avant de trouver la paix intérieure suite à sa rencontre avec un daim borgne au fond des bois).

Alors j’ai eu l’idée du siècle, et j’ai proposé d’aller faire les courses à sa place.

– NON.
– Mais enfin POURQUOI ?
– Tu vas être capable de ne pas traiter tous les clients d’enculés ? Parce que je te préviens, le supermarché en période de pandémie, c’est plus fréquenté que la toison d’une fille de joie polonaise contaminée par les phtirius pubis dans un bordel de Kazimierz en 1876.
– …
– Et tu vas pouvoir te retenir d’acheter de la MERDE ? Si je te fais une LISTE précise avec des produits précis, tu vas pouvoir t’y tenir ?
– …
– Et tu vas réussir à ne PAS passer par le rayon « techno » et te passer de tes jeux vidéos pour débiles profonds?
– …
– Tu m’écoutes ?
– C’est quoi, phtirius pubis ?

Ce manque de confiance me blessait profondément dans le dedans de moi, mais quand même j’ai réussi à convaincre Loutre que j’allais pas faire de bêtises, que je saurais me tenir et que de toute façon, c’était couru d’avance que des vraies choses à manger y’en aurait plus, vu que les gens de ma campagne c’est souvent des dames un peu grosses avec des enfants qui ont des strabismes divergents et qui se ressemblent bizarrement un peu tous, et des messieurs en combinaisons couleur fiente qui se ressemblent beaucoup entre eux aussi, et que c’est pas eux qui vont dévaliser le rayon bio rempli de produits avec des noms scandinaves qui ont des Ø et des Ö partout (par contre les chips et les barres chocolatées fourrées à la cacahuète, je savais que j’allais devoir me les carrer bien comme il faut).

Quand je suis rentrée, j’étais très fière de moi, rapport à toutes les choses vertes qui ont un goût de vomi que j’avais ramenées (elles étaient sur la liste, avec à côté le plan mal dessiné des allées où il fallait que je passe très précisément pour éviter les rayons sataniques et éthiquement méprisables) (et aussi Loutre avait écrit dans le coin de la feuille « Si tu passes à moins de douze mètres du rayon des sucreries, tu SENTIRAS comment le phtirius pubis se nourrit de sang humain en perforant la membrane cutanée de sa victime avec ses PINCES et ses DENTS. »).

J’ai tout bien rangé les graines, les feuilles, les boites de choses qui ne font pas de mal à la planète, les produits naturels à base d’urine de yack pour nettoyer la maison, le pain qui coûte douze balles les 300 grammes et le dernier bouquin de Thomas Mac Guane (qui est né à Wyandotte, c’est très pratique pour gagner au Scrabble) (c’est parce que Jim Harrison est décédé en 2016 et que Loutre a du trouver une nouvelle source d’inspiration, mais ça se passe toujours dans le Montana, sauf que là c’est l’histoire d’un médecin qui est accusé d’avoir euthanasié Tessa, son premier amour de quand il était jeune, mais en fait non, c’est Cody, le mari violent et l’assassin de l’une de ses patientes, Clarice, qu’il a euthanasié, et après ça part un peu en sucette).

J’étais tellement fière que j’ai pas pu m’empêcher d’aller vite vite poster un statut sur Facebook.

Et là, ça a encore fait des histoires.


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