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Rions un peu en attendant la fin du monde (13)

Publié le 19 avril 2020 par Powwow
Il est chiant cet éditeur, je me demande s'il connaît son boulot. Tout l'après-midi suivant, j'ai fait le tour de toutes les jardineries du département.  J'ai eu de la chance, il faisait beau.  Il aurait plu remarque, c'était pareil, parce que je dispose d'un véhicule de transport autonome motorisé à carburant pétrolifère qui possède la particularité de pouvoir vous transporter d'un endroit à un autre, sans avoir besoin de marcher, et ce dans l'aisance la plus totale, je sais pas si vous connaissez. Moi j'en ai un.
-Bonjour Mademoiselle, excusez-moi de vous déranger mais il fait beau on a de la chance j'ai un véhicule à carburant pétrolifère, est-ce que vous pourriez m'indiquer où se trouve le rayon du terreau à rempoter ? Dans des sacs. -Bien sûr Monsieur, suivez-moi...Tenez voilà, vous avez toutes sortes de terreaux différents. -Excusez-moi, j'ai pas dit s'il vous plaît, je ressors et on la refait. -Mais non c'est pas la peine Monsieur, et je suis très occupée vous savez. -Oui mais c'est pour un livre, il faut refaire la scène, faut que ce soit carré pour aérer, déjà la lumière est bonne, le son est bon, on y retourne, bougez pas. dès que je crie "Moteur action" vous bougez comme dans la vraie vie OK?  -Mais non enfin, j'ai pas que ça à faire ! C'est pour quoi votre terreau au juste ? -Pour rempoter. -Ah, du terreau de rempotage, c'est par ici. Et c'est pour rempoter quoi ? -L'adhésion...j'ai pas compris. -Pardon ? -Pour de l'adhésion, c'est ce qu'on m'a dit, alors ça doit exister j'imagine. Auprès du plus grand nombre qu'on m'a dit. C'est quoi le plus grand nombre d'après vous ? Y faut que je rempote auprès du plus grand nombre, vous trouvez pas que c'est un genre d'énigme comme du père Fouras vous ? -Je ne comprends rien à ce que vous dites, je suis désolée. -Moi non plus je ne comprends rien, c'est mon éditeur qui m'a dit ça, c'est lui qui veut que je fasse un livre c'est pas de ma faute, moi à la base je suis dessinateur, je sais pas faire des livres, et lui il m 'oblige à en faire un, avec des chapitres en plus, et vas-y que chte donne des ordres, et vas-y qu' y faut faire des chapitres, je sais pas comment lui dire non, à part lui dire non, mais c'est trop simple, c'est la solution de facilité, c'est l'arme des faibles. Je préfère de loin la circonlocution, j'en ai besoin, puis je vais prendre deux pots de géraniums là-bas pendant que j'y suis, merci, sinon. -Oui je...écoutez, très bien, je vous souhaite une bonne journée alors. -Vous êtes gonflée vous alors ! Il est déjà seize heures et vous me souhaitez une très bonne journée ! Vous n'êtes pas très commerçante vous alors!  C'est un monde tous ces commerçants qui vous agressent. On jurerait qu'on les dérange. C'est que le monde a bien changé.  De par rapport aux périodes où il changeait moins.  Je sais pas, quand j'étais tout petit, vers un ou deux ans j'ai pas compté, je me souviens que je me disais que le monde n'avait pas tellement changé, en un ou deux ans j'ai pas compté.  J'avais peut-être un repère de temps différent tu me diras. Oui tu me diras rien je sais, toi tu lis c'est tout. T'as le boulot le plus fastoche. C'est toujours les mêmes. C'est vrai que je trouvais que le temps ne passait pas vite quand j'étais tout petit, je passais devant une glace, je me voyais tout le temps en couche à quatre pattes, un long filet de bave traînant derrière moi, j'étais désespéré et inquiet car je ne voyais pas de progrès, je me demandais si je n'avais pas un retard et ça m'angoissait.  Je me disais que je n'allais pas pouvoir passer ma vie en couche à quatre pattes comme ça, je me donnais généralement encore un mois ou deux pour réagir et rebondir, me prendre en main et devenir un homme.  Et je craignais de décevoir fortement mes parents qui avaient sûrement dû avoir d'autres attentes me concernant, c'était légitime, eux ils avaient fait un enfant pour qu'il fasse des études et ils se retrouvaient avec un gros haricot rose avec une seule dent qui mangeait les miettes sur la moquette et qui bavait. J'imagine la déception. Dire que pendant des années, j'ai poussé, mes parents croyaient que j'avais envie de faire caca mais non, je poussais pour essayer de grandir, je ne savais faire que ça à l'époque il faut bien l'avouer, je ne connaissais que cette technique d'expression, mais ça ne marchait pas.  Par contre je finissais par faire caca quand même. Ce fut un terrible apprentissage de la vie, un de ces trucs qui te font devenir adulte, à un an et demi, toi t'es encore dans ton monde imaginaire et tout à coup tu prends conscience. Que la vie ce n'est pas ce que tu imaginais.  Tu pousses en espérant qu'il en sortira quelque chose de positif, de merveilleux, tu pousses parce que c'est l'instinct qui te le dicte, c'est une loi universelle du haricot rose qui débute dans la vie, tu as l'impression que tu es né pour pousser et que ton avenir sera rose si tu pousses bien comme il faut.  Et puis non, tu pousses en croyant faire quelque chose de bien et ça donne un truc complètement loufoque qui sent mauvais.  Ton idéal de vie rêvée et ton génie créateur en prennent un sacré coup, et pour finir tu te rends compte alors que tu n'es qu'un genre de bête machine, un genre de bête moteur à trois temps, dont tu ignores la finalité. Tu manges tu pousses tu dors. Tu manges tu pousses tu dors, tu manges tu pousses tu dors. Tu ne le sais pas encore, mais ça préfigure ta vie future.  Métro boulot dodo.  Nous sommes configurés pour avoir une existence mécanique, nous ne sommes que des robots de chair et d'os.  De la viande rythmée oscillant à telle fréquence, du steak gigotant.  Quel est le sens de tout ça, sa finalité, son objectif, son intrinsèque but ? Faire chier ses voisins. À suivre...

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