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Polémiques autour du détournement des subventions de la PAC

Publié le 24 avril 2020 par Infoguerre

Brexit, Europe, Grande Bretagne, Eu, La Politique

La PAC constitue l’un des piliers historiques de la politique européenne et propose système d’orientation, de régulation et de soutien aux agricultures et aux agriculteurs des pays membres de l’Union Européenne. Elle représente environ 40% du budget européen, c’est le plus le plus grand poste budgétaire du budget de l’Union Européenne (408,3 milliards d’euros pour la période 2014-2020) et l’un des plus grands programmes de subventions au monde, il est déterminé pour une période de sept ans.

Deux instruments financiers du budget : le FEAGA et le FEADER

Le budget de la PAC est distribué aux agriculteurs selon deux piliers :

  • – Le premier, Fonds européen agricole de garantie (FEAGA), plus des deux tiers du budget, concerne les paiements directs aux agriculteurs qui respectent un certain nombre de normes (protection de l’environnement, sécurité alimentaire ou encore bien-être des animaux). Le montant des paiements de ces aides est lié au nombre d’hectare de l’exploitation.
  • – Le second, Fonds européen agricole pour le développement rural, (FEADER), concerne entres autres la modernisation des exploitations agricoles, certaines aides à l’installation, l’agriculture biologique et des mesures dites agro-environnementales, on parle de « verdissement » des pratiques.

Chaque Etat membre est tenu de publier annuellement un certain nombre d’informations relatives aux bénéficiaires des aides de la PAC mais ces données ne permettent pas toujours de savoir quelles exploitations sont subventionnées, comme dans le cas de sociétés écrans. Des que 80 pour cent de l’argent des subventions va aux 20 pour cent des bénéficiaires les plus importants. Et certains de ceux qui sont au sommet ont utilisé cet argent pour amasser du pouvoir politique.

Des détournements des subventions dénoncés par les lanceurs d’alerte : les cas de la Hongrie et de la Tchéquie

Sujet latent depuis quelques années, ces dérives avaient déjà été dénoncées en 2012 par José Bové et le LMP (formation politique membre observateur du Parti vert européen) ou encore en 2018 par le média hongrois Direkt36. Un article du New York Times publié en novembre 2019 et repris par des médias européens, fait état de détournements d’une partie des subventions agricoles de la PAC (environ 59 milliards d’euros pour l’ensemble de l’UE). Ces derniers profitant aux oligarques et politiques des pays comme la Hongrie et la Tchéquie, par le biais d’attribution de terres et de conflits d’intérêts.

Rapport du fort au faible : l’annexion des terres pour récupérer les subventions 

 En Hongrie, le Premier ministre hongrois, Viktor Orbàn, populiste et eurosceptique est accusé d’utiliser les subventions de la PAC pour enrichir ses proches à qui il attribue des terres. Le pays a hérité des régimes communistes de gigantesques structures de plusieurs milliers d’hectares désormais privatisés. Les ventes aux enchères gouvernementales des terres au prix bas ont immédiatement rendu les nouveaux propriétaires (alliés politiques, amis, oligarques locaux et membres de leur famille) éligibles à d’énormes subventions européennes.

Les petits agriculteurs sont ainsi écartés et redevables à de grands propriétaires fonciers politiquement connectés au pouvoir.

Deux dispositions de la PAC ont permis ces mécanismes accaparement ou de captation frauduleuse du marché foncier agricole :

  • La marge de manœuvre dont chaque Etat-membre dispose pour attribuer les fonds des subventions
  • Les subventions de la PAC indexées sur la taille des exploitations

Viktor Orbàn profite et détourne ces fonds mais fait volte face quant à sa communication envers la population hongroise, affirmant que l’UE souhaite retirer l’aide agricole et l’utiliser pour attirer des migrants et que lui seul peut arrêter. En quête de reconquête de la souveraineté nationale, il instaure un climat délétère dans les campagnes qui fait le lit de l’extrême droite.

Marge de manœuvre faible des auditeurs et opacité de l’UE

Andrej Babiš, symbole des conflits d’intérêts dans le système d‘attribution de subventions 

Agrofert, entreprise créée par le Premier ministre tchèque Andrej Babiš, a collecté plus de 40 millions d’euros de subventions en 2018. Babis a construit son empire par de multiples acquisitions de fermes, de sociétés d’engrais, de fournisseurs de tracteurs et de silos. Dans une industrie dominée par de grands acteurs, son entreprise, Agrofert est la plus importante. La réglementation tchèque limite les agriculteurs à une seule demande de subvention par an, une entreprise comme Agrofert, qui compte des centaines de filiales nationales, peut donc postuler plusieurs fois.

Les audits de la CE, un rempart à la fraude ?

La Commission européenne réalise régulièrement des audits, en cas de suspicions de fraude, l’exécutif européen en réfère à l’OLAF (office européen de lutte contre la fraude), pour une enquête plus approfondie. L’OLAF enquête sur les fraudes au détriment du budget de l’UE, sur les affaires de corruption et les fautes graves commises au sein des institutions européennes. Il élabore également un plan de lutte antifraude pour la Commission européenne.

Les auditeurs doivent travailler avec les autorités locales pour mener la plupart de leurs enquêtes. Ils peuvent recommander des accusations mais ne peuvent pas les déposer eux-mêmes. Les procureurs nationaux n’agissent sur ces recommandations que 36% du temps, ce qui laisse peu de marche de manœuvre. Selon un rapport de la Cour des comptes européenne de 2018, le taux d’erreur sur les aides directes dans le cadre de la PAC est de moins de 2%. La position de l’UE reste neutre quant à la réelle volonté de sanctionner certains fraudeurs, la guerre de l’information par le contenu pourrait être une stratégie d’influence en ce sens.

La réaction du parlement européen sur fond de réforme de la PAC

Le 10 avril 2020, les députés européens ont confirmé le conflit d’intérêt du ministre tchèque Andrej Babiš. Un groupe de députés européens, dirigé par la présidente de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen Monika Hohlmeier, s’est rendu à Prague en février 2020, pour enquêter sur le sujet. L’objectif étant de mieux comprendre l’usage des subventions de la PAC en Tchéquie.

Dans leur rapport, les députés incitent l’Etat tchèque à mettre en place des mécanismes fiables et efficaces pour identifier des conflits d’intérêts. Selon le rapport d’audit de la Commission européenne, Andrej Babis exercerait toujours une influence indirecte sur son Groupe en dépit du placement de ses actifs dans des trusts, en vue de ne pas contrevenir à la loi sur le conflit d’intérêts.

Un parquet européen est en cours de création en 2020 pour traiter de telles affaires, bien que certains pays, comme la Hongrie, aient choisi de ne pas participer. Viktor Orbàn indiquant que les poursuites doivent être laissées aux gouvernements nationaux.

Des manifestations de puissance au cœur de l’UE : lobbyistes, conflits d’intérêts et ONG

Des lobbyistes acteurs de la Commission européenne

L’amendement Babis, parrainé par Maria Noichl membre du Parlement européen n’a jamais abouti. Cet amendement a été présenté afin d’interdire aux politiciens qui distribuent des subventions agricoles de l’UE de recevoir les fonds eux-mêmes.  La moitié des membres du comité avaient des liens avec l’industrie agricole. L’amendement a donc été refusé. Un changement majeur reste difficile lorsque tant de lobbyistes, de législateurs et de responsables agricoles ont tout intérêt à garder le système intact.

Les conflits d’intérêts dans toutes les entités européennes

Le règlement européen sur les conflits d’intérêts a été mis à jour en mai 2019 juste avant les élections européennes, mais reste vague sur certains points, les dirigeants n’ont pas pris position sur la question de savoir si les membres peuvent voter et recevoir des subventions.

En effet, les lois sur les conflits d’intérêts ne s’appliquent pas aux ministres qui votent sur la législation.  Les membres du Parlement européen ne sont pas interdits d’écrire les lois pour les subventions mêmes qu’ils reçoivent. Les membres du Conseil de l’Union européenne, ne sont pas soumis à une politique de conflit d’intérêts. Il comprend des ministres des 27 pays qui votent la législation. Les membres du Conseil sont présumés représenter leurs gouvernements nationaux. Cela signifie qu’un ministre pourrait voter sur la politique de subventions même si un membre de sa famille dirige une entreprise agricole figurant parmi les plus grands bénéficiaires de subventions.

Trois instances de décision prennent part à l’élaboration de la réforme de la PAC : la Direction Générale Agriculture de la Commission européenne, le Conseil des ministres de l’Agriculture et le Parlement européen. La Commission agriculture – COMAGRI – au sein du Parlement européen se charge de négocier avec le Conseil des ministres et la Commission européenne avant les débats en plénière. Cette dernière influence donc grandement les débats.

Liens de l’industrie au sein de la COMAGRI du Parlement européen

Une enquête de Greenpeace datant de mai 2018, concernant les liens agricoles des membres de la COMAGRI soulève la question des intérêts de l’industrie agricole qui seraient privilégiés par rapport à la santé publique et à l’environnement, et au détriment de nombreux agriculteurs européens. L’enquête a révélé qu’une majorité de membres du comité AGRI ont des liens solides avec le secteur agricole, et quatre autres députés ont des liens plus lâches. L’expertise agricole est nécessaire dans la réforme de la PAC mais ne devrait pas évincer l’apport d’autres experts. L’agriculture ayant un impact sur l’environnement, la santé publique, le changement climatique, l’économie et d’autres secteurs. Il n’est pas opportun d’empêcher les experts dans ces domaines de jouer un rôle significatif dans la réforme de la PAC.

Le poids des lobbyistes agricoles parmi les plus influents d’Europe

Ils ont un accès privilégiés aux dirigeants gouvernementaux, comme le Copa-Cogeca. Fédération européenne des syndicats d’exploitants agricoles, elle tire en partie son influence des syndicats agricoles nationaux (bêtes noires du pouvoir politique quant à la capacité à faire des actions coup de poing), et soutient plutôt les intérêts de certains gros exploitants plutôt que la majorité de la profession. Ce puissant lobby domine de manière écrasante nombre de groupes de travail et de groupes consultatifs agricoles de la Commission et n’hésite pas à faire entendre sa voix via des communications récurrentes comme cette lettre du 15 mai 2019 à destination des élus de la Commission pour maintenir la PAC ou encore ce Communiqué de Presse de février 2020, faisant état de leur désaccord quant à une proposition de budget européen « inacceptable au vu des ambitions de l’Union »  .

L’Europe face à ses contradictions

Les divers réseaux d’influences autour et au cœur de l’Europe, ont façonnées les successives orientations des PAC. La prochaine réforme en cours (2021-2027) laisserait plus de marge de manœuvre aux États membres, ce qui leur permettrait de décider au niveau national, des critères et indirectement de l’allocation de ces aides. La polémique sur les détournements des subventions de la PAC n’est que l’arbre qui cache la forêt. Les rivalités de certains pouvoirs politiques, les conflits d’intérêts au sein même de l’UE, les questions de souveraineté nationale, les divers intérêts économiques, illustrent le jeu de ces réseaux dans cette guerre de l’information. Un vrai travail de fond est nécessaire, si l’Europe souhaite (ré)affirmer son identité, rétablir un climat de confiance et rayonner.

Carole Guillaume

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