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Midsommar. On ne voit que ce qu’on veut bien croire

Par Balndorn
Midsommar. On ne voit que ce qu’on veut bien croire
Dès sa sortie qualifié de « film d’horreur » d’un nouveau genre, Midsommarne mérite pourtant pas cette appellation. Car au lieu de le mettre en valeur, elle se contente de ranger sagement le dernier film d’Ari Aster dans une catégorie bien rôdée, alors que l’œuvre s’amuse précisément à brouiller les frontières.
Mise en scène de l’évidence
Depuis que Steve Rose, critique de cinéma du Guardian, a développé le concept de « post-horror movies » à propos de It Comes at Night (Trey Edward Shults, 2017), The Witch (Robert Eggers, 2016) et A Ghost Story (David Lowery, 2017), trois productions estampillées A24 Films, la critique reprend l’expression à chaque nouvelle fournée fantastique de ce jeune studio indépendant. Certes, il est vrai que les œuvres sorties de la firme forment un tout cohérent, avec une patte artistique bien sensible. Néanmoins, regrouper sous un même vocable une mosaïque de films de genre en ôte leur singulière portée.Le cas de Midsommar en est assez emblématique. Comme la plupart des critiques l’ont noté, le film ne cherche pas à susciter la peur chez son public, puisque en choisissant de tourner dans la pleine lumière estivale du solstice suédois, Ari Aster se prive délibérément du hors-champ, ressort principal du genre horrifique. Le Mal – s’il faut encore parler de « Mal » – ne se dissimule jamais ; au contraire, il tire toute sa force de son exposition au grand jour.Midsommartranspire l’évidence. Il faut prendre au premier degré les mots des habitants de la petite communauté de Harda : lorsque Ingemar (Hampus Hallberg), l’un des jeunes hommes du village, fait le geste de se trancher la gorge pour raconter ce qu’il advient des personnes de plus de soixante-douze ans, il ne plaisante pas le moins du monde. À vrai dire, le film dévoile très rapidement l’intégralité de son intrigue, lorsque la caméra s’attarde longuement sur une tapisserie à teneur mythologique.  
Midsommar. On ne voit que ce qu’on veut bien croire
Voir ne suffit pas pour croire
Mais cela ne pose pas de problèmes, car l’histoire n’est pas l’enjeu majeur du film. En effet, les récits qu’il sème tout du long ne fonctionnent pas de la même manière que les indices d’une intrigue policière, s’éclairant d’un jour nouveau lorsque le détective rend l’ensemble cohérent. C’est qu’en réalité, ce qu’on pourrait appeler le « régime de foi dans l’image » diffère grandement entre le genre policier – et plus généralement, une bonne partie du cinéma de genre – et Midsommar. Le premier suit le précepte de l’apôtre Thomas : puisque on ne croit que ce qu’on voit, alors on croit ce qu’on voit. Or, Midsommar met en doute la causalité de ce raisonnement. Voir quelque chose ne suffit pas pour y croire, car tout groupe humain possède un ensemble de croyances – de pré-jugés, de pré-visions – qui détermine la perception qu’on a du monde, et non l’inverse.Tout le film tourne autour de cette impossibilité – pour le groupe de touristes étrangers – de croire aux rituels auxquels ils assistent. Empêtrés dans un système moral qui sacralise la vie d’une personne, alors que la communauté de Harda place l’unité collective au-dessus des aspirations individuelles, ces jeunes gens récusent en bloc – exceptée Dani (Florence Pugh) – les pratiques sociales de leurs hôtes.
Convertir le regard
On retrouve là le motif classique du cinéma d’aventure – par exemple King Kong– dans lequel un groupe d’aventuriers blancs se confronte aux pratiques radicalement autres d’un peuple indigène. Ce type de films aboutit en général à deux conclusions : soit l’extermination du peuple en question au nom de la justice humaine, soit la séparation pour revenir à la situation quo ante. Or, à ce moment du film, Aster fait le pari d’emprunter un nouveau chemin : celui de la conversion religieuse.Dani, qu’on présentait comme isolée, voire inadaptée, dans le régime individualiste de ses camarades états-uniens, s’épanouit, passées ses terreurs initiales, dans la société collectiviste de Harda. À la manière du cinéma anthropologique, Aster choisit de filmer ce bonheur naissant en s’attardant sur les gestes rituels. La litanie des chants et les montages parallèles associant souvenirs et émotions transforment plusieurs séquences du film en authentiques moments de transe au cours desquels Dani s’imprègne, corps et âme, de la spiritualité de Harda.En somme, se contenter de voir en Midsommar l’étude de réactions apeurées ne suffit pas. Ceci correspondait davantage à It Comes at Night, The Witch et Hérédité (2017), premier long-métrage d’Aster. Or, son nouvel opus – comme The Lighthouse, le nouveau de Robert Eggers, également produit par A24 – propose une synthèse, un dépassement de la peur suscitée par l’inconnu. Désormais, il s’agit de bâtir de nouveaux mondes et de nouvelles façons d’y exister ; aussi bien dans le fantasme océanique (The Lighthouse) que dans la lumineuse chaleur humaine (Midsommar).
Midsommar. On ne voit que ce qu’on veut bien croire
Midsommar, Ari Aster, 2019, 2h27
Maxime
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