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Nimrod : pour une littérature chlorophyllienne

Publié le 29 avril 2020 par Africultures @africultures

Dans le nouveau roman de Nimrod, La traversée de Montparnasse, publié chez Gallimard (coll. Continent noirs) en février 2020, Kouassi, un jeune ivoirien aspirant écrivain se ballade d’une pensée à l’autre en empruntant la marche comme métaphore existentielle. Sibylline et secrète, cette œuvre n’a pas fini de nous interroger.

Déroutée. Voilà le mot qui définit le mieux mon état d’âme après avoir fermé ce livre. Une ballade déroutante à travers le quartier parisien de Montparnasse et les symboles qu’y sont cachés. Pourquoi perçoit-on des ambiguïtés, des jeux de mots, des totems renversés ? Parce que. Mais les semailles de Nimrod ne sont pas de celles qui permettent une récolte facile. Une lecture déconcertante d’autant plus que quelque part, on a la possibilité de se reconnaître dans le protagoniste, cet étudiant étranger qui raconte son cosmopolitisme, faute de l’entendre par la bouche des autres. Mais ne tardons à planter le décor. Paris, à une époque « contemporaine » non précisée, un groupe de trois hommes et leurs rêves, mesquineries et non-dits. Le protagoniste : Kouassi, vingt-cinq ans, et ses velléités littéraires. Kouassi le jeune de la bande, celui qui ressent de la gêne. D’ailleurs il devient presque sa propre gêne. Il trimbale son être dans un monde qui lui demande de rendre des comptes, Noir entre les Blancs, noble parmi les bourgeois, visible quand il voudrait être invisible, en dissolution au moment où il tente d’affirmer sa matière, innocent là où il se voudrait coupable. Kouassi essaie de trouver une maison dans les rues de Montparnasse et il y arrive grâce à la nostalgie des paysages ivoiriens, lui qui court toujours vers le passé pendant que le présent s’impose.

En mesure de faire coexister ces deux mondes, il sait également être deux personnes à la fois, parce qu’attentif aux codes des sociétés. Mais pourquoi son visage menace-t-il de « se décrocher », comme il dit, de sa face ? Pourquoi est-il opaque ? De quel droit ses « amis » émettent-ils des jugements ou des attentes qui le plombent ? Dès le début, on attend la fin de la gêne, ou son apothéose, mais surtout, son explication, qui se manifeste petit à petit, pour éclater au grand jour dans un épilogue intitulé, justement, « Le dernier repas ». Le sentiment qui longe son errance est celui d’usurper quelque chose, mais n’est-il pas le reflet du regard des autres qui le hante ? Pourquoi est-il convaincu que ces autres rayonnent sans ne rien faire de particulier alors que pour lui il ne suffit pas d’être simplement lui-même ? Nous ne connaissons que des bribes de sa vie privée, de son adoption, de sa famille, de ses histoires d’amour. Là ne semble pas être l’essentiel, qui se niche plutôt dans les rues parisiennes, où il se cherche en se remémorant l’oubli historique du faste africain, des razzias et déshumanisations des siens au point de ne plus pouvoir prouver qu’ont existé, jadis, des  » civilisations d’un raffinement inconnu de l’Asie et de l’Europe« . Pour cela il admet amèrement que : « comme dit le proverbe, il n’y a plus d’arbre pour raconter notre histoire. Même dans ma Côte d’Ivoire natale, la forêt menace de disparaître« .

Kouassi a besoin de laisser une trace sur ce monde qu’il parcourt d’un pas hésitant, c’est un fait. Il panique sur les trottoirs, convaincu de ne pas aller avec le paysage, hanté par un sentiment d’insignifiance. Tantôt proche de l’effacement, tantôt prêt à vandaliser une vitrine pour se voir enfin surgir et, grâce à cette modification de l’environnement, exister, il s’engage dans multiples ballades qui sont sa tentative d’en être : « De même que l’essence du rossignol est de chanter, de même l’essence de la marche est de déplacer le monde« .

Kouassi me fait penser à un personnage d’une nouvelle que j’avais écrite il y a plusieurs années, où un vieux monsieur raconte à son neveu qu’étant jeune il rêvait de faire partie du monde, mais qu’il avait désormais appris une grande leçon : c’est la réalité qui entre dans les habitudes et les pensées des individus, et non pas le monde qui deviendrait une forteresse les reconnaissant ou non comme ses légitimes habitants. Kouassi, dans l’œuvre de Nimrod, est un jeune vieux qui finit de vieillir, précipitamment, à Montparnasse. A-t-il jamais été jeune d’ailleurs ? Les flashbacks sur son passé ne nous rassurent guère à ce propos.

Malgré le mal être de ce personnage, son échec dans la volonté de ressentir la complicité d’une quelconque lumière sur sa personne, on est rassuré : quand son passé teinté de chlorophylle le traverse et se transforme dans son présent citadin, nous comprenons que rien n’est perdu. Mais ne le savions pas déjà, depuis le début ? L’épigraphe du roman, deux phrases du romancier Patrick Modiano, nous avaient bien avertis : « Il n’y a jamais eu pour moi ni présent ni passé. Tout se confond, comme dans cette chambre vide où brille une lampe, toutes les nuits« . Cette lampe, pour l’écrivain sibyllin qu’est Nimrod pourrait être l’écriture. Une écriture poétique et raffinée, somptueuse, où les descriptions de la nature sont des étincelles sublimes ponctuant les pensées et les pas de Kouassi. Et pour ce dernier, justement ? Et si l’idée d’une supériorité chlorophyllienne, d’un monde intérieur caché comme une forêt était sa lumière, nullement visible par son entourage ? Le débat reste ouvert !

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