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S'il n'en reste qu'un...

Publié le 20 juillet 2008 par Sarah Oling
On ne m’a pas autorisé à sortir ce matin, pas plus qu’hier, d’ailleurs. J’aurai tant voulu la voir, Elle. Pour qu’elle me rassure, qu’elle me chante cette chanson en swahili qu’elle avait appris, pour me réconforter, lorsque je suis arrivé ici, pour la première fois.  Aujourd’hui, je me sens perdu, ma mère me manque. Mon pays aussi. Fort. Je me souviens de mon enfance au bord du fleuve d’Ewaso Nyro, des cris des chimpanzés qui s’amusaient sur la rive à se lancer des petits poissons argentés. Nous étions nombreux alors, chez moi, là-bas, au nord du Kenya, à nous regrouper à la nuit tombante,  pour boire l’eau brûlante du soleil qui l’avait épousée pendant les heures sèches.  Puis ce fut la fin de l’enfance. Je n’ai plus jamais vu les nuages de poussière soulevée par la course folle des autruches bleues, ni l’envol des merles après un piqué sur le fleuve. Plus ressenti l’ivresse des chevauchées joyeuses en compagnie de mes frères. J’avais fini par oublier. Enfin, je croyais que j’avais oublié. Mais il s'est passé cette chose épouvantable, cette chose qui fait qu’on ne me laisse pas aller voir dehors, prendre la mesure de l’absence, de leur absence. Peu de temps après mon arrivée ici, dans cette savane en miniature, d’autres sont venus, aussi apeurés que moi à leur sortie de leur cage de bois. A chaque fois, Elle était là, chantant la même mélopée rassurante en swahili. Nous avions fini par reformer une famille, petite, mais soudée, mes quatre compagnons et moi. Nous avions même réussi à  trouver la compagnie des gnous et des girafes plaisante, même si notre espace de vie n’avait rien à voir avec notre vie d’avant. Mais il y avait l’eau pour se regrouper, les lémuriens dans les arbres, les flamands roses et les canards moqueurs. Puis soudain, ce fut l'horreur. Si vite que je n’ai pas vraiment compris ce qu’il se passait. L’un après l’autre, mes presque frères sont morts. Celui qui prend soin de nous n’a rien pu faire. Les yeux tristes, il est venu les chercher.  Moi, je suis resté à l’intérieur, réfugié dans le foin, à attendre qu’Elle vienne aussi, pour moi, pour me remettre dans une cage en bois et que je me réveille enfin chez moi, zèbre libre au bord du fleuve d’Ewaso Nyro, bercé par le babillement des merles.  Alors, si vous la voyez, dites-lui, s'il vous plait, qu'Elle ne tarde pas.

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