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Un calembour français poissonneux de Richard Wagner

Publié le 19 mai 2020 par Luc-Henri Roger @munichandco

Un calembour français poissonneux de Richard Wagner

Une truite pour le druide

 
   Les Français se gaussent volontiers de l'accent teuton des Allemands qui parlent notre langue. Je trouve les Allemands plus courtois en la circonstance : lorsque nous nous essayons à parler la langue de Goethe, ils trouvent la plupart du temps notre accent tout à fait charmant, et même parfois adorable.
   Richard Wagner disposait d'une bonne connaissance de la langue française qu'il parlait avec un accent allemand (saxon?) prononcé, déformait avec des mots de son cru (des wagnérismes?) et écrivait avec une " syntaxe naïve ". Il s'essaya ici et là aux jeux de mots en français mais parfois avec une certaine lourdeur que n'ont pas manqué de relever les journaux français à diverses époques. à L'occasion, il sortait un calembour ; nous en avons déjà, lors d'un précédent post, évoqué un calembour qu'il commit en 1861 à Paris. Nous vous proposons aujourd'hui le récit d'un calembour qu'il fit pour réjouir le trio des époux Mendès (Catulle et Judith, née Gautier) lors d'un déjeuner à Brünnen, sur les rives du lac des Quatre-Cantons, à l'été 1869.
   De nombreux journaux ont reproduit cette histoire que nous croyons véridique, car Judith Gautier la raconte elle aussi dans son Troisième rang du collier, des souvenirs que nous tenons pour fiables. Nous vous proposons les petits articles que lui ont consacré les Débats et le Gil Blas, que nous faisons suivre du texte de Judith Gautier, moins féroce à l'égard du compositeur qu'elle adulait et qui allait devenir son ami.
Le Journal des Débats du 28 août 1899
   Nous citions hier, en respectant sa syntaxe naïve, une lettre de Richard Wagner qui témoigne que le grand musicien ne savait le français que d'une façon très imparfaite. On en a, du reste, un grand nombre d'autres preuves. Mais cette demi-ignorance ne l'empêchait pas de prendre beaucoup de plaisir à parler notre langue et à risquer même des calembours français. « Le calembour, a dit Victor Hugo, est la fiente de l'esprit qui vole. " Le vol de Richard Wagner était assez sublime pour lui permettre quelques licences. Or, un jour, l'auteur de Lohengrin, réfugié alors à Triebschen, sur le lac des Quatre-Cantons, reçut la visite de Villiers de L'Isle-Adam et de quelques-uns de ses amis. Il leur fit le charmant accueil qu'il réservait à tous les wagnériens français, et il les retint à déjeuner. Les convives étaient à peine à table que Wagner, les regardant avec un bon sourire, courtois, affable et flatteur, leur montra une superbe truite saumonée qui reposait, dans un plat d'argent, sur un lit de persil
   — Gombadriode ! dit-il.
  Les convives, étonnés et muets, l'interrogeaient des yeux.
  — Gombadriode ! répéta Wagner. Druide, brêdre gaulois !
 Et le musicien s'esclaffait d'un rire inextinguible, tandis que ses invités, venus là en pèlerins, songeaient que les dieux diffèrent bien de l'image que s'en font leurs fidèles.
Le Gil Blas du 28 août 1899
   Un calembour de Richard Wagner : L'auteur de Lohengrin aimait à rire, nous dit l'histoire; mais son rire était épais et lourd, comme celui de presque tous les buveurs de bière d'Outre-Rhin.Tandis qu'il était en villégiature à Triebschen, sur le lac des Quatre-Cantons, il reçut un jour la visite de Villiers de l'Isle-Adam et de quelques-uns de ses amis.    Il leur fit le charmant accueil qu'il réservait à tous les wagnériens français, et les retint à déjeuner. Les convives étaient à peine à table que Wagner, les regardant avec un bon sourire, courtois, affable et flatteur, leur montra une superbe truite saumonnée qui reposait, dans un plat d'argent, sur un lit de persil :  Gombadriode ! dit-il. Les convives, étonnés et muets, l'interrogeaient des yeux. Gombadriode ! répéta Wagner.  Druide, brêdre gaulois !  Et le musicien s'esclaffait d'un rire inextinguible, tandis que ses invités, désolés, pensaient, à part eux, qu'on peut être tout à la fois un musicien sublime et un causeur sans esprit.
Le troisième rang du collier
   Rien n’indiquait une auberge, mais le Maître connaissait les êtres, et, tandis que nous gagnions, au premier étage, une chambre, meublée seulement d’une table ronde, de quelques chaises et d’un vieux piano, il alla conférer avec le propriétaire et combiner le menu.
   Il revint triomphant et s’écria :
   — Nous aurons un druide de l’ancienne Gaule !
   Le sens de ce terrible calembour ne fut pas tout de suite saisi ; le fou rire nous tint longtemps quand nous eûmes compris qu’il s’agissait d’une truite !
   Deux fenêtres de la pièce où nous étions faisaient face au lac ; une troisième, latérale, était ouverte et donnait sur une cour, où un forgeron travaillait.
   Wagner écoutait le choc vibrant du marteau sur l’enclume. Tout à coup, il ouvrit le piano et se mit à jouer le motif de Siegfried forgeant l’épée. Aux mesures où la lame est heurtée, il s’arrêtait, et c’était le forgeron qui, sans le savoir, avec une étonnante précision, frappant le fer, complétait le thème.
   — Vous voyez, disait le Maître, comme j’ai bien mesuré le temps et comme le coup tombe juste !
   Mais « le druide » fit son entrée et il fallut lui rendre les honneurs qu’il méritait.


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