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L’Expresso – Les films de Jean Painlevé (1927-1982)

Par Le7cafe @le7cafe

Sous l'océan, sous l'océan.

Continuons notre odyssée du cinéma documentaire en faisant un détour par le cinéma scientifique. J'ai envie aujourd'hui de m'intéresser à un pionnier de ce genre en France, qui a participé à l'institutionnalisation du documentaire et à la défense du film éducatif ; le réalisateur et biologiste Jean Painlevé (1902 - 1989). Durant sa longue carrière qui s'étale sur plusieurs décennies, il a su créer des œuvres au format court avec un style caractéristique, imprimant sur pellicule sa vision de la nature qui nous entoure. C'est pourquoi ce n'est pas un film en particulier auquel je consacre cet Expresso, mais bien sa filmographie toute entière !

Extrait de son film le plus célèbre, L'Hippocampe (1934). Plusieurs de ses films sont disponibles en intégralité sur la médiathèque MUBI, qui avait produit le film Ashes dont je parlais récemment.

Dès sa jeunesse, Jean Painlevé fut passionné par la nature. Déjà au lycée, il préférait sécher les cours de ses professeurs de Louis Le Grand (où un autre pionnier du cinéma français, Georges Méliès, avait d'ailleurs fait ses classes) pour aller explorer le Jardin d'Acclimatation de Paris, où il assistait au soin des animaux. Après deux ans d'études de médecine, il préféra se tourner vers la biologie, condamnant le traitement cruel réservé aux patients par les docteurs enseignant dans son école. Sa nouvelle vocation lui permit de rencontrer dans une station scientifique en Bretagne sa future compagne et co-réalisatrice, Geneviève Hamon, ainsi que d'être introduit dans le milieu surréaliste par le biais de militants communistes.

C'est par le biais des surréalistes que Painlevé se prit d'intérêt pour le 7ème Art, et particulièrement sa capacité de retranscription de la réalité tout en lui octroyant une esthétique poétique grâce aux moyens techniques permis par le cinéma - ralentis, montage, grossissement... C'est ainsi qu'il réalisa en 1927 son premier métrage, L'œuf d'épinoche : de la fécondation à l'éclosion.

Équipé d'une caméra de son invention, qui avait la double capacité de pouvoir être submergée et d'effectuer les mêmes grossissements qu'un microscope optique, le scientifique devenu homme de cinéma emmène le spectateur sous l'eau à la découverte de nombreuses créatures marines, communes et moins communes, de quelques centimètres à moins d'un millimètre, extravagantes, étourdissantes, extraordinaires. Il ne consacra pas la totalité de sa filmographie au monde du silence (on notera notamment son dernier film, Les Pigeons du Square, consacré aux volatiles de la capitale) mais la mer reste son grand amour et le lieu de ses plus nombreuses et plus belles réussites artistiques.

Comme un Jamy des temps anciens qui aurait troqué le camion klaxonnant de C'est pas Sorcier ! pour un sous-marin, brandissant avec fierté son slogan " La science est fiction ", Painlevé envisage à la fois d'instruire et de divertir, présentant avec intelligence et précision les bestioles qui s'agitent sous le regard de sa caméra, tout en n'hésitant pas à souligner son propos d'humour bien senti et de personnification des animaux - on retiendra la séquence du Bernard-l'Ermite où, constatant l'intérêt des crustacés pour une petite boule de liège, il décide de carrément leur monter un terrain de football miniature.

Tout ceci sans jamais oublier un travail artistique d'une grande beauté, d'abord dans un somptueux noir et blanc jusque dans les années 60 puis en couleur, révélant alors une autre facette du monde marin. Ses documentaires ont ce charme de l'ancien, cette désuétude qui les caractérise mais restent encore aujourd'hui absolument fascinants et incroyablement pertinents quand on sait à quel point nos océans sont menacés.

Le bestiaire de Painlevé est d'une formidable diversité ; oursins, crabes, polypes, poulpes, méduses, diatomées et autres crevettes se donnent en spectacle, dévoilant au spectateur émerveillé les secrets de leur petit monde aquatique. De l'ensemble, on pourra relever quelques modestes chefs-d'œuvre du genre et créatures remarquables :

  • L'Hippocampe (1934), son film le plus célèbre, dont le sujet est assez évident.
  • Comment naissent des méduses (1960), un documentaire charmant qui s'intéresse au bourgeonnement des polypes et à la naissance de toutes petites méduses d'un demi-millimètre. Difficile de ne pas fondre, d'autant plus que les méduses sont mes animaux préférés !
  • Acéra, ou le Bal des Sorcières (1972), consacré à cet animal incongru qu'est l'acéra, sorte de ver des sables difforme au grotesque inénarrable, qui se déplace par petits soubresauts absurdes - que Painlevé compare le temps d'une image subliminale à la Danse Serpentine - et se reproduit à 3, 4 ou 5 individus à la fois tout en mangeant de la boue, avant de pondre 3000 œufs d'un coup. Oui oui.
  • Hyas et Sténorinques, crustacés marins (1929), l'un de ses premiers films et pourtant à mes yeux le meilleur, consacré à deux espèces de crabes méconnues et intrigantes, qui combine des images magnifiques comme l'éclosion d'un ver spirographe, et des informations réellement passionnantes.

Jean Painlevé aurait dit un jour qu'il n'aimait rien de plus au monde que patauger dans les mares laissées par la marée descendante dans les roches des côtes bretonnes. Ayant grandi en me consacrant à la même activité à quasiment toutes les périodes de vacances au bout du Finistère, je ne peux que trop bien le comprendre ; et je retrouve dans ses documentaires le même émerveillement ressenti lorsque l'on part à la découverte de ces éphémères et constamment changeants écosystèmes miniatures. La mer, ah, la mer...

- Arthur


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