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Le Pr Abderrahmi Bessaha, économiste : «Il faudra 2 à 3 ans à l’économie mondiale pour revenir à la situation de 2019» "Les causes et les effets de la pandémie vont faire réfléchir les décideurs à travers le monde"

Publié le 03 juin 2020 par Ouadayazid1
Le Pr Abderrahmi Bessaha, économiste : «Il faudra 2 à 3 ans à l’économie mondiale pour revenir à la situation de 2019» "Les causes et les effets de la pandémie vont faire réfléchir les décideurs à travers le monde"


Abderrahmi Bessaha : La pandémie de COVID-19 a entraîné le confinement de près de 4 milliards de personnes et la fermeture de pans entiers de l'économie (notamment ceux qui sont basés sur le contact humain) au niveau mondial. En conséquence, ce choc sur l'offre a induit (i) des dommages considérables sur le plan économique et financier. A fin avril 2020, la croissance au niveau mondial a considérablement chuté (entre 5-6 % par comparaison à la même période en 2019) : (ii) un chômage considérable affectant, selon l' OIT, environ 300 millions de travailleurs (dont environ 30 millions aux États Unis, 60 millions en Europe, 60 millions en Asie et 150 millions pour le reste du monde) : (iii) l'effondrement, en partie, du prix du pétrole et la baisse significative des prix des autres produits de base ; (iv) le reflux de 100 milliards de dollars des pays émergents les plongeant dans la précarité ; (v) la fragilité du système financier mondial qui ploie sous le poids des dettes ; et (vi) un énorme un choc sur la demande. La contraction économique sera encore plus prononcée pour le second trimestre, avec des projections de recul de l'activité en glissement annuel autour de 15-20 % en fonction des niveaux de développement des pays. Les observateurs économiques sont d'avis que la crise sanitaire du covid19 avec ses ramifications multiples est la plus grande récession mondiale depuis celle de 1929.
Quelles ont été les actions prises par les pays à travers le monde pour faire face aux conséquences de la pandémie ?

Les actions prises à ce jour sur le court terme par les pays dans le cadre de plans cohérents de lutte contre les effets immédiats de la pandémie. De très nombreux pays ont établi des feuilles de route claires qui intègrent des mesures cohérentes pour la phase d'urgence et la phase post-urgence et ont inscrit toutes ces mesures dans un cadre budgétaire à moyen terme. Sur le plan budgétaire, jusqu'à présent, d'après les données du FMI, les pays ont pris des mesures budgétaires d'un montant voisin de 8 000 milliards de dollars pour protéger les populations et les travailleurs et limiter les dégâts économiques causés aux entreprises.

Ces mesures ont été intégrées dans des cadres budgétaire à moyen terme qui incluaient des phases post-urgence pour préparer la reprise. Parmi les mesures d'urgence prises au niveau mondial figurent une augmentation des dépenses et des pertes de recettes ($3300 milliards), des prêts et des injections de capitaux du secteur public ($1800 milliards) et des garanties ($2700 milliards). $7,800 milliards ont été engagés par les pays avancés et les pays émergents du Groupe des Vingt. Un appui budgétaire est également assuré par les stabilisateurs automatiques, à savoir les éléments du système d'imposition et de prestations sociales qui stabilisent les revenus et la consommation, notamment les impôts progressifs et les prestations d'assurance chômage. Les $1000 milliards sont engagés par de nombreux pays en développement et émergents affaiblis. Sur le plan monétaire, les grandes banques centrales à travers le monde ont procédé à des injections de liquidités massives s'élevant à plus de 6 billions de dollars dans le contexte d'une coordination internationale substantielle afin de mettre des liquidités à la disposition des grands pays. Sur le plan des échanges internationaux, des mesures sont à l'étude pour le maintien du commerce et de la coopération au niveau international, qui sont essentiels pour vaincre la pandémie et optimiser les chances d'un redressement rapide. Cependant, compte tenu de la gravité de la crise, d'importants efforts supplémentaires seront nécessaires. Et la reprise demandera des ressources pour la soutenir et limiter les dégâts économiques.

Parallèlement, des initiatives multilatérales ont été engagées pour financer les dépenses imprévues et alléger la dette des pays vulnérables. Dans ce sens, il faut noter deux initiatives internationales pour aider les pays les plus vulnérables en fournissant un financement accru ainsi qu'un allégement des services de la dette, créant ainsi un espace pour les dépenses urgentes en matière de santé et en atténuant l'impact économique de la crise. En premier lieu, il faut citer le FMI, la Banque Mondiale et l'Union Européenne) qui se sont dotés de ressources importantes s'élevant à 100, 150 et 16,4 milliards de dollars, respectivement pour financer les dépenses d'urgence des pays qui ne disposent pas de moyens nécessaires. De plus, le FMI a également exhorté ses membres à ne pas hésiter à monétiser les déficits au cours de cette période d'urgence. L'aide financière du FMI intervient dans le cadre du mécanisme d'urgence est fournie sous la forme d'achats directs sans besoin d'un programme de réformes au préalable ($1 à $2 milliards pour notre pays) mais le pays est tenu de coopérer avec le FMI pour s'efforcer de résoudre ses difficultés de balance des paiements et de décrire les politiques économiques générales qu'il se propose de suivre. Des actions préalables peuvent être nécessaires lorsque cela est justifié. Plus de 100 pays ont demandé l'appui du FMI au cours de cette phase d'urgence. En second lieu, il faut citer l'initiative du G20 afin d'alléger le fardeau de la dette des pays les plus vulnérables en repoussant les échéances de la dette de 6 mois. De plus, le FMI a fourni un allègement de la dette équivalent à 213 millions de dollars à 25 pays éligibles leur permettant de couvrir leurs obligations pour les 6 prochains mois.
Quelles sont les perspectives pour l'économie mondiale en 2020 et 2021 ?

Pour ce qui est de la croissance, les économistes utilisent les lettres pour imager les reprises économiques en fonction de leur rythme et dans ce contexte, 6 formes se détachent, les plus rapides (V, W, Z) et celles qui sont plus lentes (U, W et L). Le rythme de retour est fonction de la profondeur et nature de la crise, du facteur confiance des agents économiques, des politiques publiques mises en place et de la qualité de l'environnement international. Pour la récession en cours, et en l'absence d'un vaccin, le déconfinement se fera graduellement, accompagné d'une attitude de prudence à reprendre une activité normale.

Avec un déconfinement plus lent, des effets d'entrainement plus marqués entre les différents secteurs d'activités, une certaine lenteur à réactiver les chaînes d'approvisionnement mondiales, des niveaux d'épargne en baisse, des rythmes de normalisation asynchrones à travers le monde, et une reprise éventuelle des tensions commerciales entre les États Unis et la Chine, le choc macroéconomique pour 2020 sera lourd et il faudra 2 à 3 ans avant de revenir à la situation de 2019. La reprise aura donc une forme en L. L'économie mondiale devrait se contracter fortement de -5 % en 2020 au moins, ce qui est bien pire que lors de la crise financière de 2008-2009. Pour 2021, une certaine reprise est à attendre mais elle sera modeste, pouvant se situer aux environs de 1,5 %, y compris avec l'appui de politiques publiques appropriées. Sur le plan des prix, le débat est ouvert : allons-nous vers une inflation ou déflation ? d'un côté, les risques d'une poussée inflationniste sont à considérer compte tenu du surendettement du G7 (environ 140% du revenu national), des injections massives de liquidité des banques centrales pour financer les dépenses publiques et de l'effondrement de la production de toutes sortes de biens. De plus, certaines normes sanitaires vont désormais peser sur les coûts des agents économiques. D'un autre côté, on ne peut exclure les risques d'une déflation du fait de la chute considérable des prix du pétrole, un intrant important pour l'économie mondiale, qui fera baisser les coûts de production au niveau mondial au moment où le facteur emploi est bon marché vu la montée du chômage. De plus, le lien entre base monétaire et offre de monnaie n'est pas linéaire tout comme le montre l'assouplissement quantitatif de 2008 -2018 qui n'a pas déclenché une vague d'hyperinflation après la crise financière de 2008. Donc, cette nouvelle impression monétaire électronique ne le fera probablement pas cette fois non plus. L'effondrement des dépenses des consommateurs et des entreprises produit une force compensatrice en réduisant la demande de crédit bancaire qui constitue l'essentiel de la masse monétaire. Il faut donc s'attendre à une période de faible progression des prix à la consommation pour les 3 prochaines années. Il est prévu que les taux d'inflation au niveau des trois pôles de croissance do monde se situent à 1% ;
Cette pandémie a mis sur la table un certain nombre de problèmes et beaucoup pensent que demain sera différent. Quels sont vos points de vue?

Les causes et les effets de la pandémie vont faire réfléchir les décideurs à travers le monde. Cette pandémie est survenue à un moment où la mondialisation était déjà gravement menacée par la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine et l'incertitude croissante quant à l'avenir du libre-échange en général. De plus, les faiblesses des chaînes d'approvisionnement mondiales conçues pour maximiser l'efficacité et les profits sont apparues au grand jour, y compris une dépendance excessive à l'égard de fournisseurs situés en Chine et en Inde et la vulnérabilité d'un système dont tous les éléments ne fonctionnent pas comme sur des roulettes. Que verra-t-on ? Pour les chaînes de valeur, les impératifs de coûts vont continuer de dominer le système des échanges mondiaux et si certains biens stratégiques seront relocalisés, les pays avancés ne vont jamais rapatrier la fabrication de produits à faible valeur ajoutée. La résilience aura ses limites.

Le réchauffement climatique sera au centre des préoccupations de la planète même si la chute du prix du pétrole peut poser un risque de ralentissement du processus de décarbonisation de l'économie mondiale. Il faut s'attendre en outre à de nouvelles flambées infectieuses. Ce sera donc l'opportunité de réfléchir à des politiques de santé et d'éducation plus proactives afin de protéger les populations. Sur le plan économique, il y aura deux gros problèmes majeurs auxquels devront faire face les pays à travers le monde, Le premier, c'est la dette publique nette qui était en augmentation avant la crise sanitaire et a depuis atteint des niveaux importants, car les contractions économiques ont poussé les déficits budgétaires bien au-dessus des niveaux records de la crise financière (9,9% du revenu national) et en conséquence aggravé l'endettement international qui atteindra 85,3% du revenu national en 2020. Cela suscite des inquiétudes quant à la volonté du secteur privé de financer les gouvernements. En outre, une fois les confinements levés, des emprunts supplémentaires seront nécessaires pour "faciliter la reprise" et s'adapter aux nouvelles normes sanitaires. In fine, les pays devraient mettre en place des impôts plus élevés et freiner les dépenses publiques. Le second problème est l'emploi. Si une deuxième vague de contagion se matérialise, des pertes d'emplois additionnelles pourraient frapper les économies développées, endommageant davantage un marché du travail fortement ébranlé. En outre, il y a des incertitudes sur le nombre de personnes qui pourront retrouver leur emploi, ou en trouver un nouveau, une fois que l'économie aura rouvert totalement.


Entretien réalisé par : Liesse D.


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