en pensant à Georges Perec
Il est temps que la pierre veuille fleurir
que le cœur palpite pour l’inquiétude.
Il est temps qu’il soit temps.
Il est temps.
Paul Celan
trad. Valérie Briet
Ne pas oublier
de retenir
la nuit,
même si une lettre
est absente,
une lettre
est absente
pour presque dire
le secret
de leur absence,
leur disparition.
Nous revenons
sur l’oeil
de cette lettre
pour retenir
la nuit
dans l’approche
de quelques mots,
en bas,
eux aussi un temps
disparus,
eux disparus,
je n’ai pas de souvenir d’enfance,
que ces mots déchirent les pages, tracent leurs sillons noirs dans la vie même, mots brûlants d’une vertu qui ne s’éteindrait jamais. °
Nous retrouvons
leurs vies,
sa vie
en lisant
l’oeil
de la lettre,
l’approche
de la lettre,
l’air
qui leur manqua,
le talus
de la lettre
comme de ciel
à terre,
une lettre,
un mot peut-être
touchés
de mort,
ostinato,
reste un chant
de deuil,
un alphabet
inouï,
amuï,
e,
noir sur blanc,
de leur voix
déjà à l’approche
du silence.
La lettre
absente
est la vie secrète
du silence.
Nous reste
la typographie
de la lettre absente
(…)
une espace °°,
un blanc,
puis d’autres lettres,
d’autres mots,
peu,
comment nommer
un trou de mémoire
tout contre l’oubli,
le manque,
l’insupportable.
La typographie
est
renverse du souffle,
contrainte de lumière.
Nous revenons
lire
les sillons noirs
dans la vie même.
8 mars – 20 avril 2020
avec des mots de Paul Celan, Georges Perec, Sabine Huynh
en écoutant Kaddish de Maurice Ravel
° Georges Perec, noté sur une feuille blanche, 10 novembre 1968
°° En typographie, on parle d’une espace (au féminin) pour signifier un blanc entre deux lettres ou deux mots.
© tous droits réservés