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Les derniers jours de Colette. ( Jean Cocteau )

Par Jmlire

Les derniers jours de Colette.  ( Jean Cocteau )

" ... Retournons à la chambre du Palais-Royal où Madame Colette nous recevait couchée. Un petit pont de bois lui servait d'écritoire. Sous ce pont elle paraissait couler immobile comme certains fleuves. Le courant était fait de linges, de châles et de la houle des jambes qu'elle ne savait où mettre pour en moins souffrir. Pendant des jours et des jours, alors que j'avais vu jadis le buste combatif de la comtesse de Noailles lutter contre la mort et jaillir de ses draps pour essayer de la vaincre, j'ai vu Madame Colette couler doucement vers la sienne, sous ce petit pont sur lequel s'entassait, comme sur le Rialto ou sur l'arche de Florence, un gracieux désordre. Fruits, fleurs, bouquet de stylographes et montagne de paperasses où elle se perdait, cherchant en vain ce qu'elle voulait nous montrer, appelant son mari au secours et embrouillant les feuilles bleues sous la lampe bleue qui faisait dire aux spectres du Palais-Royal : "Disparaissons. Colette travaille."

Entre le nuage de poussière de sa chevelure et la cravate de foulard nouée autour de son cou, il y avait, dans cette figure triangulaire à nez pointu et à bouche en accent circonflexe, en chapeau de gendarme, les yeux d'une de ces lionnes du Zoo qui de spectacle devinrent spectatrices, observant qui les observe, les pattes croisées l'une sur l'autre, immobiles, avec un souverain dédain.

C'est ce regard de fauve pensif que Madame Colette réservait aux personnes qui venaient devant sa cage, cage que sa jambe malade avait construite autour d'elle, et comme ces personnes, une fois leur curiosité satisfaite, ne savaient que dire, les rôles se renversaient, et c'est la lionne qui leur jetait les friandises de quelques paroles, jusqu'à ce que le gardien Maurice apparût et les dirigeât vers la sortie...

J'ai parfois assisté à une de ces visites absurdes... Rien n'était plus drôle que l'espèce de ronron aimable que Colette combinait avec une main furieuse sur le bec de sa canne et, à mon adresse, un regard de naufragé appelant au secours... "

Jean Cocteau : extrait de " Colette, éloge" 1955. Discours de Jean Cocteau prononcé lors de sa réception à l'Académie Royale de Belgique, succédant à Colette, qui elle-même avait été nommée en succession de la comtesse de Noailles.

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