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Alix Le Méléder, les visages en suspens

Publié le 23 août 2020 par Les Lettres Françaises

Alix Le MéléderQu’est-ce qui se manifeste si intensément dans le travail d’Alix Le Méléder qu’il puisse émouvoir au point d’effrayer, de faire reculer ? Vers où nous entraîne-t-il qu’on réagisse si violemment, qu’on soit fasciné ou qu’on s’enfuie ?

Sur les œuvres de ce cycle qu’elle nomme les « quatre » : taches oblongues, rouges puis colorées, quatre corpuscules sur les bords d’une toile blanche. C’est la structure commune. Évider des formats carrés (deux mètres sur deux pour les plus grands) est une gageure. C’est oser peindre le vide. Et peindre le vide revient à tenter de peindre la conscience. Ou peut-être l’ouverture graduelle à ce qui est sans visage, mais qui se manifeste comme un visage.

L’œuvre d’Alix Le Méléder requiert notre abandon, et qu’on accepte le risque de se laisser emporter, dériver, rejeter puis saisir. Remis du trouble initial, on perçoit dans ces toiles quelque chose de lancinant. Comme la pulsation d’une douleur. L’artiste aurait-elle l’ambition de peindre une équation matricielle où le vertige enfante la présence au monde ?

Quelle concentration, quel dépouillement il faut pour parvenir dans la peinture à ces ouvertures subtiles de la conscience. On admire la hauteur que prend l’artiste ; elle impressionne : c’est que cette exigence nous concerne et réclame ; on sait qu’il est beaucoup attendu de nous, qu’on sera toujours insatisfait, que ça échappera sans cesse, que ça fera de plus en plus souffrir de ne pas tout donner. Pour qui veut écouter le chant de l’être, pour qui veut se rendre perméable à lui et le connaître de cette connaissance des mystiques et des voyants, mieux vaut n’avoir rien à perdre. Et endosser un détachement qui ne soit ni repoussoir ni contemption : condition du travail pour accéder à ce moment où ça se fait sans qu’on fasse rien.

Répétant une technique et une structure invariantes, Alix Le Méléder donne forme à des entités vivantes. La répétition n’est pas reproduction, rappelle-t-elle, pour qui il n’est sans doute question que de vie. Et on reste stupéfait qu’une structure si simple, si apparemment répétitive, puisse engendrer une telle diversité de personnes. Faut-il rappeler la pauvreté des éléments constitutifs du vivant et leurs infinies possibilités d’associations ? Devant ces œuvres, on est face aux représentants d’un autre peuple, moins faciles à distinguer peut-être, parce qu’on est mal accoutumés à lire les différences sur les visages de l’ailleurs.

Avec le blanc non travaillé et ces taches, il ne s’agit pas pour l’artiste de mettre en place les éléments picturaux d’un espace qui converserait avec le vide, pas plus que d’interposer devant nous un écran de contemplation : il s’agit que surgisse un vide habité. On sait que cela ne se donne pas aisément ; ou au contraire avec une étonnante familiarité à qui a traversé la douleur et été conduit au-delà – on ne sait où.

Ces toiles nous acheminent peut-être au seuil de ce lieu sans lieu de l’effroi qui vient de survenir. Lieu de la vision sans vision après que quelque éclatement a soufflé tout ce qui se reconnaît. Lieu du vide turbulent qui se manifeste et réordonne après l’irruption térébrante de l’inattendu. Et pourtant ce n’est pas la tourmente qu’on y éprouve. Son œuvre nous place en attente, au bord d’une révélation inachevée. Esquisserait-elle la roue qui, par degrés, mène de la nudité à l’expansion d’une conscience où l’être se transmute ? Alix Le Méléder peindrait-elle ainsi le processus qui de la douleur du néant entrevu fait une source, et du vide vertigineux des visages en suspens ?

Patrick Autréaux

Alix Le Méléder. Peintures. 
Château de Tours (en partenariat avec le Jeu de Paume) 
Du 28 août au 15 novembre 2020

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