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Colonialisme vert, ou comment sauver l'Afrique des Africains. (Guillaume Blanc)

Par Jmlire

Colonialisme vert, ou comment sauver  l'Afrique des Africains. (Guillaume Blanc)Parc national du Simien, Éthiopie, Bernard Gagnon 2012

"... La vision et la gestion de la nature sont différents en Europe et en Afrique. Il existe environ 350 parcs nationaux sur le continent africain, et dans la plupart d'entre eux les populations ont été expulsées pour faire place à l'animal, la forêt ou la savane. La violence subie entraîne des ravages sociaux. Dans les parcs encore habités, l'agriculture, le pastoralisme et la chasse sont interdits, punis d'amendes et de peines de prison. C'est le cas du parc éthiopien du Simien, situé entre 2800 et 4600 mètres d'altitude, et classé au patrimoine mondial de l'Unesco. Le paysage montagnard y ressemble pourtant beaucoup à celui des Cévennes, mais dans le parc français, également classé au patrimoine mondial, l'objectif est tout à fait contraire : il s'agit, selon l'Unesco, de sauver les "systèmes" agropastoraux", de "les conserver par la perpétuation des activités traditionnelles", de valoriser l'harmonie de l'homme et de la nature... Au Simien, "les menaces pesant sur l'intégrité du parc sont l'installation humaine, les cultures et l'érosion des sols..."

Cette idéologie est véhiculée par les grandes organisations internationales comme l'Unesco, le WWF ( World Wildlife Fund ) ou l'UICN ( Union internationale pour la conservation de la nature). Alors que l'homme européen saurait façonner l'environnement et s'adapter à la nature, l'homme africain ne pourrait que les dégrader et les détruire... Cette vision inégalitaire traduit un nouveau genre de colonialisme : le colonialisme vert. L'intention n'est plus la même qu'à l'époque coloniale, mais l'esprit reste identique : le monde moderne doit continuer à sauver l'Afrique des Africains, on légitime le contrôle de l'Afrique par une théorie environnementale décliniste... Celle d'un monde africain sauvage et vierge, en voie de dégradation, qu'il faudrait à tout prix protéger. Ce fantasme d'Afrique, qui n'a bien sûr jamais existé, hante nos représentations, d'hier à aujourd'hui... Un Éden mythique, originaire, composé de faune, de flore et de panoramas, mais vidé de ses hommes... Le cliché colonial fait de l'homme africain un braconnier affamé, tuant l'animal avec cruauté, à l'arc et à la lance, auquel s'oppose la vision aristocratique du bon chasseur blanc civilisé.

Colonialisme vert, ou comment sauver  l'Afrique des Africains. (Guillaume Blanc)
Un village dans le Parc national du Simien, Éthiopie; B.Gagnon, 2012

Dans le parc du Simien, connu pour son espèce de bouquetin, le Walia Ibex, les experts ont associé la possible disparition de cet animal - que démentent pourtant les chiffres - à la présence humaine et justifié ainsi les déplacements forcés de population... Il faut arrêter de nier l'évidence : ces populations expulsées ne participent aucunement à la crise écologique. Elles se déplacent à pied, n'ont pas d'électricité, n'achètent quasiment pas de nouveaux vêtements, ne mangent presque jamais de viande ou de poisson, et contrairement à deux milliards d'individus, elles n'ont pas de smartphones. Si l'on voulait résoudre la crise écologique, il faudrait vivre comme elles! En revanche, une visite dans le parc du Simien, qui compte environ 5500 touristes par an ( ce qui est peu par rapport aux grands parcs du Kenya ou de Tanzanie qui abritent des safaris générant chaque année des dizaines de millions de dollars), a un coût écologique élevé: les randonneurs ont des bâtons en aluminium fabriqué à partir de l'extraction de bauxite, des vestes en polaire, à partir de résidus de pétrole, des chaussures en Gore-Tex, avec du Téflon, etc. Ils sont venus en avion, et un vol Paris Abeba émet au moins 0,5 tonne de CO².

L'exploitation des ressources induites par la visite d'un parc national équivaut à détruire les écosystèmes qui y sont protégés. L'argument de la biodiversité ne tient donc pas. En mettant sous cloche des espaces prétendument naturels, on s'exonère des dégâts qu'on cause partout ailleurs. On se dit qu'on peut continuer ce mode de vie puisqu'on préserve ici ce qu'on continue à détruire là-bas. Les parcs sont un trompe-l'œil qui cache le vrai problème : la destruction de la nature à l'échelle de la planète. La lutte économique doit être globale, portée contre l'exploitation mondiale des ressources et non contre des agriculteurs et des bergers qui vivent d'une agriculture de subsistance. "

Guillaume Blanc : extrait d'un entretien accordé à Télérama n°3587 du 9/09/2020

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