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Du storytelling pour les programmes de concerts

Publié le 15 octobre 2020 par Dangelsteph
Du storytelling pour les programmes de concerts

On ne parle pas ici d'utiliser du storytelling pour écrire de jolies histoires sur les traditionnels leaflets distribués à l'entrée des salles de concerts. Non, non, non... On va plus loin. C'est carrément de la structure du programme des concerts dont je veux parler : oui, le directeur artistique, le chef d'orchestre (ou la, bien entendu) conçoit le concert comme une histoire.

Et là ça me fait un peu sourire, quand je repense à Christian Salmon, auteur de "Storytelling, la machine à formater les esprits", et sa conclusion en forme de "les artistes vont sauver le monde de cette calamité qu'est le storytelling !". Nada, quedechi : ils se sont emparés de l'outil pour l'utiliser à des fins d'amplification créative de leur art. Bref, passons.

Une étude universitaire sur le sujet :

Je me base, pour écrire cet article, comme j'aime souvent le faire, sur un travail de recherche universitaire récent. Il s'agit d'un travail d'Emilie Marie Bertram, de l'Université du Colorado aux Etats-Unis, achevé en 2020. C'est tout chaud, donc. La chercheuse est une doctorante et du coup je me pose une question. Comment se fait-il que, très souvent, les travaux de recherche les plus originaux sont l'oeuvre d'étudiants, et non de chercheurs confirmés ? Je veux bien qu'une thèse doit offrir un regard neuf, mais les chercheurs d'expérience ne devraient pas interpréter trop littéralement la petite phrase connue dans ce milieu : "un travail de recherche, c'est 95% de répétition de savoirs existants et 5% de nouveauté". Osez, les amis !

Bref, passons là aussi...

Toujours est-il que la chercheuse s'est plus particulièrement penchée sur les concerts avec choeurs. Ce n'est pas ce qu'il y a de plus simple pour les concepteurs d'un tel storytelling, puisqu'il faut à la fois donner des rôles à la voix et à la musique dans l'histoire. Elle remonte jusqu'aux années 1970, et arrête ses recherches aux années les plus récentes, aux Etats-Unis. A noter : la chercheuse, Emilie Bertram, est elle-même chef de choeur et compositrice.

Les enseignements de l'étude sur le storytelling dans les programmes de concerts :

Mettons-nous d'accord dès le début : l'objectif d'une programmation de concert, c'est de remuer le coeur et l'esprit de l'auditoire. Et précisions-le de suite aussi : il ne s'agit pas de jeter à la poubelle toutes les autres façons de concevoir un programme de concert. Le storytelling est juste une manière de faire supplémentaire.

    Qu'est-ce qui a amené les programmes à devenir plus narratifs ?

- la diversification des programmes : en mixant différents genres, époques, un besoin de cohérence accru des concerts a émergé

- la place de plus en plus grande des oeuvres contemporaines dans les programmes : moins familières, plus difficiles à décrypter pour le public

- des créations narratives par nature : par exemple un concert intitulé "Alzheimer's Stories", dont les textes sont réalisés à partir des paroles de proches de malades, ou encore un concert inspiré par l'histoire de migrants et réfugiés

- un auditoire dont les pratiques ont évolué vers une attention moins soutenue, incluant, dans d'autres contextes culturels, le zapping -une histoire comme parade contre le zapping, du fait de l'engagement plus grand qu'elle est sensée amener (et dont de nombreuses études valident la réalité)

- des publics identifiés, aux attentes différentes : une étude a identifié des segments différenciés de publics caractérisés par la fascination, la résonance émotionnelle, la stimulation intellectuelle, l'enrichissement esthétique, le lien social. Autant de profils, qui sont en même temps des histoires. Et d'un autre côté le storytelling, qui a la capacité de transcender les différences -sociales et culturelles, ici

    Des exemples de concerts narratifs :

Tous ces concerts sont réels et ont été analysés par la chercheuse. Pour faire simple, je n'ai pas indiqué les titres des oeuvres (qui, d'ailleurs, pour les non spécialistes, ne disent pas grand chose). Si je dis par exemple qu'il y avait du Aaron Copland et du Nicola Porpora... OK, pareil pour moi.

- Exemple 1 :

3 oeuvres d'auteurs différents composent le programme. Dans la première, un être cher s'engage dans une voie dangereuse, avec une issue incertaine. Dans la deuxième, une femme pleure la perte de l'amour de sa vie. Dans la troisième, adaptée d'une légende inuit, les étoiles sont des fenêtres à travers lesquelles nos chers disparus veillent sur nous. Voilà une belle structure d'histoire, très classique dans sa construction.

- Exemple 2 :

12 morceaux répartis en 3 parties : "De la jeunesse", "Epreuve et triomphe", "Au delà du voyage". Très narratif rien que dans les titres. Dans la première partie : la célébration de la vie, l'apprentissage de ses erreurs, le besoin de se sentir bien. Bref, la vie ordinaire, avec ses défis du quotidien. La deuxième partie explore les dangers auxquels les êtres humains doivent faire face dans leur vie. La solitude, le besoin d'être fort face à l'adversité, l'espoir même dans les moments les plus noirs, et finalement la victoire, le triomphe. La troisième partie décrit le passage de la Terre au paradis. Biblique, presque. Narratif, complètement.

- Exemple 3 :

Ah, cette fois je donne des noms : Purcell et Bach sont dans le programme. 2 parties dans ce programme, intitulées sobrement "Set 1″ et "Set 2″ (Ensemble 1, ensemble 2). Le concert débute par une phrase : "l'espoir, c'est voir la lumière au milieu des ténèbres". Rien de fou, mais c'est déjà une histoire : une situation, un problème, une résolution du problème. Le reste (7 morceaux figurent au programme) est une montée en puissance de l'espoir, jusqu'à la victoire finale. Ce concert est articulé autour d'un conflit entre la pénombre et la lumière, très classique aussi. Très narratif, également.

Que retenir de cette étude ?

- aucun secteur n'est incompatible avec le storytelling. Ici les programmes de concerts. Moi, je fais par exemple du storytelling en utilisant le Haka (une autre forme de concert vocal !). C'est très intéressant pour faire du team building

- pas besoin de faire dans la complexité : les programmes de concerts, aussi sophistiqués soient les morceaux de musique, sont des histoires très classiques, simples. Et cela fonctionne !


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