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La presse est morte, vive la presse

Publié le 06 novembre 2020 par Pascal Boutreau

Capture d’écran 2020-11-04 à 18.36.57Cette semaine, le mensuel Triathlète a annoncé que le 396e numéro d'une histoire entamée il y a près de 35 ans serait son dernier. Une victime de plus dans le monde de la presse magazine. Cette semaine encore, même si nous le savions depuis plusieurs mois maintenant, le trimestriel Jours de Cheval a lui aussi annoncé que l'aventure s'achevait. Il y a quelques semaines, j'ai appris que le mensuel Mondial Basket, là où j'ai fait mes premiers pas de journaliste au début des années 90, avait lui aussi cessé de paraitre en début d'année. Trois exemples qui me touchent particulièrement puisqu'ils ont fait partie de mon histoire personnelle, comme journaliste ou "simple lecteur", trois exemples parmi tant d'autres de cette presse qui se meurt. 

Bien sûr, pour quelques titres disparus ces dernières semaines, la crise sanitaire a donné le coup de grâce que le scandale Presstalis avait déjà amorcé. Mais il serait un peu simple, voire simpliste de tout lui mettre sur le dos. Les causes de ces disparitions sont bien plus profondes. L'évolution de notre société où la culture (ou le culte) de l'instant a pris le pas sur l'analyse et le recul a engendré un nouveau modèle, une nouvelle approche de ce métier.  

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Comme je le répète souvent aux étudiants auprès desquels j'interviens, notamment du côté de Paris School of Sports, il n'est pas question de tomber, ou même devrais-je dire de sombrer, dans le "c'était-mieux-avant" qui donne le sentiment de basculer dans la catégorie des "vieux cons". Non, pas sûr que c'était mieux, avant. La seule certitude c'est que c'était différent. Comme le décrit habilement le film de Woody Allen "Midnight in Paris", à chaque période, nombreux sont ceux qui s'avouent nostalgiques des années d'antan pensant souvent que l'époque était bien plus belle et plaisante. Avant de comprendre qu'à cette époque, les gens étaient eux aussi nostalgiques des années précédentes. Mouvement perpétuel. Les années défilent et abandonnent en route les moeurs et les pensées de leur époque, aussitôt remplacées par de nouvelles... différentes.

Aujourd'hui, la disparition de nombreux titres témoigne d'un manque d'adaptation à ces évolutions. Parce que de simples retouches ne suffisent pas à suivre le rythme effréné imposé par nos sociétés. Le salut ne passe plus par l'évolution mais par la révolution. Révolutionner sa façon de faire mais surtout sa façon de penser. Se projeter encore et encore. C'est un des messages rabâché à mes étudiants : "servez-vous de notre expérience, à nous les vieux. Servez-vous en, respectez tout ce qui a été réalisé avec les codes de notre époque, mais bâtissez l'avenir, créez, imaginez, inventez ! Nous et nos méthodes sommes le passé, momentanément le présent mais de moins en moins l'avenir. Alors à vous de jouer !" Au 19e siècle, l'homme politique Adolphe Thiers (à moins que ce ne soit le patron de presse Emile de Girardin... on ne sait pas trop à qui attribuer la paternité de la formule) a dit un jour "gouverner, c'est prévoir. Ne rien prévoir, c'est courir à sa perte". Or aujourd'hui, avoir un coup d'avance ne suffit plus toujours. Mieux vaut en avoir deux ou trois. S'adapter permet de survivre... parfois. Anticiper permet de vivre.

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Comme l'écrit Thierry Dekatelaere, patron de Triathlète, dans son "Au revoir" qui clôt le prochain et donc dernier numéro : "Nous avons essayé de nous adapter le mieux possible à l'évolution du marché de l'information mais hélas, nous n'avons pu trouver de modèle économique viable." Malgré toute l'énergie déployée, malgré toutes les réflexions entamées, et surtout, malgré toute la passion des journalistes et de ceux qui ont fait ces titres (qu'ils en soient infiniment remerciés), toutes les adaptations n'ont malheureusement pas suffit. 

De nouveaux acteurs ont pris le contrôle des médias. Avec leurs méthodes souvent plus radicales, avec une approche nouvelle que ce soit au niveau économique, sociologique et même, soyons fous, philosophique. Heureusement (en tout cas en ce qui me concerne), certains résistent encore et encore. Le succès du numérique pour des titres comme Le Monde par exemple permet d'entretenir l'espoir. Le quotidien a su adapter son côté très "traditionaliste" (au sens propre) de la presse en reprenant les codes égrainés par les réseaux sociaux tout en gardant une profonde expertise et un respect de valeurs que certains voudraient considérer comme surannées. Le suivi "live" (puisqu'on ne dit plus "direct") des élections américaines fut un pur bonheur, un modèle de ce qu'une presse de qualité peut encore offrir.  

Ce constat pour la presse écrite vaut aussi pour la télévision où ce qui passait comme novateur il y a encore peu est déjà obsolète pour beaucoup. Les nouveaux formats, plus courts, plus rythmés sont devenus la norme, le "voilà-ce-qu'il-faut-faire". Hors période de confinement, le temps de la réflexion ou de l'analyse est réduit à peau de chagrin. Bien sûr, il y aura toujours des "résistants" tant du côté des producteurs de l'information que de celui des consommateurs.  Et fort heureusement. Avec un peu de naïveté peut-être, pouvons-nous même encore nourrir l'espoir que la tendance s'inverse un jour.... ou pas. Mais à l'exception des experts de tout et surtout de rien qui ont annexé les plateaux tv des chaines "d'infos" (les guillemets sont importantes), quels que soient les sujets et qui ont toujours un avis (souvent définitif) sur tout (avis qu'ils changeront en fonction du sens du vent avec toujours la même arrogance), on n'en sait strictement rien... et ça, c'est génial ! 


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