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Poésie, modulations de l’existence

Publié le 28 novembre 2020 par Les Lettres Françaises

Chronique poésie

Chacun y va de sa phrase, l’une incisive, l’autre ciselée, directe à l’uppercut  ou stylisée, c’est la rentrée. Et le gros du bataillon littéraire cultive sa force de vente, à coups de griffe. On ne voit que des romans. L’édition poétique avance à flux détendu trois semaines derrière le lancement officiel, qui suffisent à rappeler son absolu bienfait. Absente au présentoir des meilleures scores de la quinzaine, la fonction sacrée se combine jusqu’à la composition du livre, l’obligeant à d’autres règles formelles. Gérard Haller, Claude Ber, Laurent Albaracin, Jacques Demarcq, Régis Lefort, Maulpoix, Giovanoni, Edith Azan sont quelques noms dans cette rentrée.

« Modulation » pour dire l’oiseau vif, moteur interne de tout poème en lisière de la littérature. Furtivement étrangère à tout ce qui pense, la modulation chante. Ou change, corrigera l’électronicien : la modulation transforme un signal, c’est sa loi. Pour Merleau Ponty, la poésie est modulation de l’existence, quand le roman s’attache aux événements inter-humains. Jacques Demarcq change et chante, reste sur sa branche mais s’autorise des voyages, fait entrer éléphantes crabes ou phacochères dans les vies volatiles de son titre, chez « Nous ». L’édition se fait réédition d’exploits et d’empreintes. Livre constellé, illogique & calligraphique, carnet de voyages, collages, méditations et traductions d’oiseaux. Autre chant autres mœurs. D’où qu’on les prenne, ses oiseaux nous cueillent. La Vie volatile est un achèvement à n’en plus finir des Zozios (2008), à propos desquels Jacques Demarcq dit qu’à la manière d’un alcoolique il a arrêté. L’oiseau serait ce qui rend la poésie plus interessante que de la poésie, pour paraphraser Fillioud. « Les oiseaux sont une chance à saisir à l’égal de l’amour. Leur prêter attention amplifie la vie. »

Gérard Haller, Menschen
Gérard Haller nous apparaît comme un auteur sensible qui aurait choisi la poésie pour couper court à la sensiblerie. Analyste concentré, recourant aux voix par un seul fil d’écriture faisant chœur. Gérard Haller s’adresse aux hommes comme au ciel. Suppliante est la première voix, coryphée de nos noires inquiétudes. Le grand unique sentiment paru en 2019 aux éditions Galilée se grandit d’un geste éditorial sublime et simple avec Menschen.  On en tourne les pages longtemps après l’avoir lu, faisant chœur à ses appels et ses listes rythmées. Un tel enchantement d’intelligence semblait nous avoir quitté depuis Histoire(s) du cinéma de Jean-Luc Godard. Livres dont les vignettes, illustrations et photos ne veulent pas nous abstraire du texte, les sens jouent en circulation, hors rêveries et volutes. On aurait choisi la poésie pour se guérir la sensibilité, qu’on ne voudrait pas d’autre auteur. Sujet unissant « Heim » le natal, la patrie du poète, avec l’horreur de l’Extermination. Menschen est prière ou prolongement des morts il faut partir de cet appel/ chaque fois qui vient/ avec les morts tel est l’enjeu, offert au chant et à la scène. Avec cette réécriture d’une première version pour le festival d’Avignon 1987 nous revient Gérard Haller, auteur de m’bo (2018) le plus beau poème épique sur la disparition des espèces. On trouvera aussi sur Youtube « Nous qui nous apparaissons », lecture de l’auteur dans la série « Philosopher en temps d’épidémie ».

L’affaire Panthéon est en passe de se régler. On sait que des bandes adverses s’y frottaient et ce sont les gardiens du lieu qui ont trouvé la solution sous la forme monumentale d’un tombeau pissotière modèle Alcide Bava à la mémoire des Vilains Bonshommes. Cela fait défaut à l’actuel bâtiment et pour les restes des deux illustres, leur valeur générique suffit à les valoriser : Arthur & Verlaine gamme créative, accessoires et paletots gays. Un coin buvette, pourrait y être adjoint pour une absinthe verte et naturelle, donnant avec la récupération des urines une façade écologique et néanmoins délinquante au futur projet. Surtout, pas question de léser Charleville, son cimetière, où l’on raconte que Rimbaud reçoit encore une moyenne de deux lettres par mois. Au Panthéon, les graffitis seraient permis, conservés et classés.

Jacques Bonnaffé



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