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Insurrection au sein d’une banque mutualiste française

Publié le 30 novembre 2020 par Infoguerre

Pension, Figurines, Retraités, Déambulateur, Décision

La guerre fait rage au sein de la Confédération Nationale du Crédit Mutuel Français (CNCMF) depuis cinq ans.

Lors du conseil d’administration de 2015, la confédération proposa, parmi les résolutions, la modification de ses statuts d’association de loi 1901 à une société coopérative à capital variable. Évènement majeur suffisant à révéler au grand jour la fracture qui opposait l’organe central au Crédit Mutuel Arkéa. L’affrontement symbolise la lutte contre la centralisation des pouvoirs décisionnels. En effet, deux protagonistes s’affrontent :

  • Le CNCMF, un groupe bancaire mutualiste représentant 5 groupes régionaux et 19 fédérations.
  • Une de ses filiales, le groupe régional Arkéa regroupant lui-même le crédit mutuel de Bretagne, le Crédit mutuel du Sud-Ouest, le crédit mutuel du Massif central et une vingtaine de filiales spécialisées.

En devenant une société coopérative à capital variable, le CNCMF rebat les cartes et change les règles. Jusque-là les fédérations fonctionnaient en respectant une identité propre à chacune et leurs accordaient une autonomie assez large. Or, dans le nouveau schéma proposé le pouvoir décisionnel serait proportionnel au chiffre d’affaire, ainsi la fédération CM11-CIC (Crédit Mutuel Centre Est Europe et CIC) serait majoritaire. L’autre point de discorde est la présence des agences bancaires CIC sur tout le territoire ; ce qui est contraire aux statuts mutualistes qui interdisent le développement extérieur de sa fédération.

La réaction d’un collectif de salariés à une « OPA agressive »

Concrètement, pour Arkéa le projet fut perçu comme une « OPA agressive » générant la crainte d’une perte d’autonomie et du transfert de son siège social brestois vers Paris ou pire le grand Est. Pire parce que la transformation statutaire renforcerait le pouvoir du principal concurrent d’ARKÉA : le CM11-CIC.

A cette agression, la réponse de l’agressé fut rapide et efficace pour alerter l’opinion publique, les pouvoirs politiques, les médias, le tissu économique local et territorial et les salariés du groupe. Les dirigeants d’Arkéa ont informé par communiqué que les emplois, environ 4500 postes sur environ 10 000, étaient menacés. Aussitôt, un collectif de salariés s’est formé sous la dénomination « Vent Debout » pour défendre les intérêts du groupe et de ses salariés.

La première offensive de « Vent Debout » a été d’organiser en janvier 2016, une manifestation à Brest, siège social de l’entreprise, où il a réuni environ 15 000 personnes portant les couleurs du groupe crédit mutuel Arkéa coiffées de bonnets rouge et gris fournis par Armor Lux. Le pavé était jeté dans la marre, la première bataille avait eu lieu et personne ne pouvait plus l’ignorer.

La réussite de cette action a été totale car les dirigeants d’Arkea n’ont pas été obligés de mener une guerre frontale contre le CNCMF. Ce sont une partie de leurs salariés et le patronat économique local qui ont mené la lutte informationnelle à leur profit. Dès lors,

Les différents niveaux d’affrontement

Les actions judiciaires, de lobbyistes et par le biais des médias menées de part et d’autre ne feront que s’enchaîner en prenant à partie pouvoirs politiques, syndicats, organes régulateurs (le Trésor, la Banque Centrale Européenne, la Banque De France, l’Autorité Des Marchés Financiers, La Cour Européennes de Justice), et les collectifs. Rapidement les médias se sont emparés de cette guerre intestine avec des titres accrocheurs comme : « Astérix contre l’invasion romaine », « David contre Goliath », « le rebelle breton contre le pouvoir centralisateur.

Cette « guerre de l’information par le contenu » a évolué en deux étapes :

Arkéa domine le débat

  • Mai 2016 Arkéa dépose une demande formalisée d’indépendance auprès de sa confédération.
  • Octobre 2016 la confédération, la banque de France et le trésor déboute la demande d’Arkéa. En réponse Arkéa fait voter les présidents de ses 331 caisses locales et obtient 96,4% des votes pour le projet d’indépendance.
  • 2017 Arkéa est déboutée par les autorités régulatrices (Autorité de la concurrence, Conseil d’Etat, Cour de justice européenne).
  • En 2018 Arkéa change son logo et les ronds prennent la forme de la triskèle en rappel à l’identité bretonne.
  • Janvier 2018 les syndicats se réveillent et s’opposent au projet d’indépendance
  • Avril 2018 : offensive du groupe Arkéa avec l’obtention de 94% des votes des 2900 administrateurs (représentant 1,5 millions de sociétaires).
  • Mai 2018 : manifestation du collectif vent debout à Paris (6000 participants) en faveur de l’indépendance.
  • Courrier de quatre députés bretons en faveur du projet d’indépendance adressé à Monsieur Bruno Le Maire Ministre de L’économie.

La contre-offensive du CNCMF

  • En août 2018, le CNCMF passe à la contre-offensive par la création de l’association « Restons Mutualistes » présidée par Marylise Lebranchu, ancienne députée du Finistère et ancienne Ministre.
  • La Banque Centrale Européenne rappelle à l’ordre Arkéa et demande une négociation apaisée.
  • Juillet 2019 le Tribunal Administratif refuse à Arkéa de changer de nom.
  • Juin 2019 mise en pause du dossier par la Banque Centrale Européenne.
  • Septembre 2019 dissension entre Arkéa et la Fédération Du Massif Central.
  • Février 2019 démission du directeur général du groupe Crédit Mutuel Arkéa Ronan Le Moal, nomination d’Hélène Bernicot.
  • Octobre 2020 Reprise des négociations.

A la lecture de cette chronologie, il est notable que jusqu’en 2018, le groupe Arkéa semblait avoir gagné plusieurs batailles telles que celle de la motivation des troupes, de leur implication et de leur occupation de l’espace médiatique.

Il n’avait toujours pas obtenu l’aval des autorités de régulation ni celle de Bercy, donc la guerre n’était pas gagnée mais l’horizon semblait prometteur. Parallèlement, l’organe central ne paraissait pas prendre au sérieux leur volonté d’indépendance. Ils étaient en mode défensif répondant aux attaques, déboutant les demandes. Puis, à partir de 2018, le CNCMF change d’approche et devient plus offensif, plus incisif par voie de presse et auprès de Bercy. On voit émerger un collectif nommé « Restons tous mutualiste » présidé par l’ancienne Ministre et Députée bretonne Marylise Lebranchu. 

Les protagonistes et leurs appuis

Le clivage qui oppose, encore à ce jour, les deux adversaires est multiple. Il prend racine en premier lieu sur le profil de deux énarques que tout sépare, notamment leur parcours. D’un côté, Il y a Nicolas Thery président du CNCMF et du CM11-CIC, lillois, strauss-kahnien, ancien secrétaire confédéral chargé des affaires économiques à la CFDT. De l’autre côté, il y a Jean-Pierre Denis président du groupe Crédit Mutuel Arkéa et du Crédit Mutuel de Bretagne, quimpérois, chiraquien, ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée sous Jacques Chirac, administrateur de Kering et Nexity.

Ensuite, l’identité des deux groupes est très différente. Le groupe breton se présente comme indépendantiste, agile et innovant. Jean-Pierre Denis s’est appuyé très fortement sur son bras droit le directeur général Ronan Le Moal jusqu’au départ de celui-ci en février dernier. Il est celui qui propulse le groupe vers l’investissement auprès des start-ups et vers les nouvelles technologies. Dès sa nomination en 2008, il a mis en place avec son président la stratégie de la banque tournée vers l’innovation. La direction a bénéficié de nombreux appuis très variés. Rares sont les occasions où patrons et employés se retrouvent liés et unis pour une même cause.

L’exception bretonne

Mais, l’exception bretonne est connue et reconnue depuis les bonnets rouges. Aussi, personne n’est surpris de l’intensité de l’engagement de la quasi-totalité des salariés du groupe Arkéa. Ils ne défendent pas seulement leur entreprise ni même leur emploi, mais avant tout la décentralisation et l’identité des territoires. Le collectif « Vent Debout » s’est engagé très activement via les réseaux sociaux (#JeSoutiensArkéa, Youtube, @ventdebout). Il a été l’instigateur entre autres de deux rassemblements, l’un à Brest et l’autre à Paris. Il a permis à Arkéa d’occuper le devant de la scène médiatique, d’être très prolifique et présent sur les réseaux. Les patrons Bretons n’ont pas été en reste non plus. Ils ont très rapidement manifesté leur soutien par des actions concrètes.

Pour rappel, dès la première manifestation organisée par Vent Debout, Armor lux leur a fabriqué des bonnets aux couleurs du groupe, rouge et gris. A l’initiative de 450 personnalités bretonnes dont le Club des Trente, la pétition « Avis de tempête sur la Bretagne ! Mobilisons-nous pour sauver Arkéa ! » est lancée sur la plateforme « change.org ». Ils ont récolté environ 50 000 signatures.

La position des médias

Les orientations politiques des journaux plutôt de centre et de droite ont mené une ligne éditorialiste orientée en faveur de l’indépendance du groupe Arkéa. Parmi ceux-là, on retrouve le Ouest France pour une couverture locale, et la Tribune, Le Figaro pour la presse nationale.

Quant aux appuis politiques, ils sont venus surtout des députés bretons avec notamment l’envoi d’un courrier communs de quatre députés bretons adressé au Ministre de l’économie Monsieur Bruno Le Maire. Cependant, malgré le clan politique de Bruno Le Maire (LR), la demande a été déboutée.

Quant au CNCM, ses appuis se sont manifestés surtout à partir de 2018. Un collectif en faveur du groupe de l’Est « Restons Tous Mutualiste » présidé par Madame Marylise Lebranchu est créé en Août 2018. Son logo n’est pas sans rappeler celui de la marque déposée « produit en Bretagne ». L’association lance à son tour une pétition contre la scission sur la plateforme « change.org ». Elle recueille environ 20 000 votes. Elle est présente sur les réseaux sociaux comme twitter et Facebook mais très peu active avec très peu d’abonnés (@restonsmutualistes, #RestonsMut). Le site internet (https://restonsmutualistes.fr) est fluide avec une revue de presse abondante, un agenda de débats organisés et la rubrique témoignage des salariés. Les syndicats se sont alliés au groupe de l’Est. Leur action s’est limitée à intervenir dans la Presse essentiellement et aux assemblées. Les médias orientés politiquement plus à gauche comme Médiapart ont fait le choix très net du groupe mutualiste de l’Est. Par contre, le journal Les Échos qui serait à priori plus libéral apparaît au travers des articles publiés sur le sujet plutôt en faveur de Monsieur Théry.

Enfin, l’un des plus grands soutiens reste celui de Bercy. Le Ministre de l’Économie Michel Sapin a clairement, dès l’origine, signifié sa position contre la sécession des deux groupes. L’article paru dans le Télégramme le 29 mars 2016 reprend les mots de Michel Sapin sur la raison de son approbation des nouveaux statuts de la confédération (ceux de la discorde originelle) :

« Invité à la matinale de Patrick Cohen sur France Inter ce mardi matin, Michel Sapin a justifié son approbation de la réforme des statuts de la Confédération du Crédit Mutuel, très contestée en Bretagne. »

Les enjeux

Comme les clivages, les enjeux sont multiples.

Enjeux économiques 

Du point de vue de l’organe central l’enjeu économique porte sur la perte d’une de ses plus grosses fédérations en termes de résultat net, de sociétaires et de clients. De celui de Jean-Pierre Denis, Arkéa risque de voir son développement économique régresser s’il perd son autonomie décisionnelle sur la stratégie d’investissement et de financement.

Enjeux Sociétaux 

L’enjeu sociétal, du point de vue du collectif « Vent Debout », se situe clairement sur le risque de licenciement massif à cause de doublon de poste avec le CIC. A l’opposé, pour l’association « Restons mutualiste » et des syndicats, le risque est de mettre en danger le groupe et de facto ses salariés s’il se sépare de la maison-mère. La solidité financière de la mutualité est mise en avant comme argument pour la protection sociale.

Enjeux politiques 

L’enjeu politique pour Monsieur Thery, hormis celui d’assoir son autorité, est avant tout de ne pas créer de précédent afin d’éviter tout risque de contagion sur les autres fédérations. Celui de Bercy est de ne pas faire germer la même idée chez les autres groupes mutualistes français. L’intérêt pour les politiques de proximité, notamment les députés bretons, est de défendre le principe de décentralisation, cher au territoire breton et à leur électorat.

Les stratégies de guerre informationnelle

Au travers des différents évènements, articles de presse, deux périodes distinctes se révèlent. La guerre informationnelle est clairement utilisée par le groupe Crédit Mutuel Arkéa. Tous les événements sont induits par les actions directes des dirigeants ou par leurs appuis. La communication dans les médias, les communiqués de presse, les manifestations, les réseaux sociaux sont très nettement investis par les sécessionnistes. Ils occupent l’espace publique et laisse que peu de place à leur adversaire. La presse relaye le projet, et de manière quasi consensuelle donne plutôt le sentiment que le divorce sera prononcé sous peu. En parallèle, la direction gère le judiciaire et rencontre les organes régulateurs (la Banque Centrale Européenne, La Banque De France, le Trésor, …) pour avancer sur le côté réglementaire de la mise place de la séparation. Elle a le soutien de ses administrateurs et le prouve par vote qu’elle rend publique. Jusqu’en 2018 on parle du projet et non des hommes qui le portent.

La spécificité d’Arkéa : la maîtrise d’information

Le groupe a beaucoup communiqué sur l’identité territoriale, la disruption bancaire, l’emploi, la décentralisation, la création de valeur humaine et économique. Cette stratégie de communication a rassemblé des appuis d’univers variés autour d’un projet commun. Par ailleurs, la banque crédit mutuel de Bretagne est très ancrée sur le territoire et très investie dans le développement des entreprises de proximité. Ainsi, le patronat local pourrait avoir beaucoup à perdre également si Arkéa venait à perdre la guerre.

Puis, la confédération sort de son silence pour passer à l’offensive. A son tour, elle exploite tous les ressorts de la communication et déploie tous ses contre arguments. La presse charge, de plus en plus, l’équipe dirigeante d’Arkéa. Son président et son directeur général sont accusés publiquement de se verser des salaires exorbitants qui seraient par les statuts mutualistes jugés illégaux. Les attaques sont axées très régulièrement sur la personne, et, peu sur la faisabilité financière et réglementaire du projet. La démission de Ronan Le Moal fait la une des journaux avec des titres dignes de la presse people comme « le bateau coule, les rats quittent le navire ». Il est sous-entendu que le directeur général aurait démissionné à cause de l’illégalité de son salaire.

L’usage offensif des rumeurs

Des rumeurs sont, de plus en plus, répandues. La presse suppute que la recapitalisation de leur filiale d’assurance Suravenir serait due à une mauvaise gestion et au coût de la fronde ; que son président Bernard Le Bras se serait mis en retraite anticipée ; que le président d’Arkéa se retirerait doucement et enfin que le projet serait en passe d’être définitivement enterré. Monsieur Nicolas Théry a mis en place le jeu de ses relations pour maîtriser l’information à son tour. Les liens sont assez faciles à mettre en évidence. En effet, son parcours professionnel lui a procuré des liens au sein de la CFDT, de Bercy sous l’égide de Monsieur Dominique Strauss-Kahn. Ce dernier est du même bord politique que Michel Sapin. Quant à Madame Marylise Lebranchu, elle a elle-même collaboré avec Monsieur Sapin. Ainsi, la collusion entre les divers soutiens de Monsieur Thery permet une autre analyse sur certain choix et certaines implications.

De façon, quasi, concomitante, le groupe Arkéa, sa direction, l’association font silence. Les rares interventions de la nouvelle directrice générale Madame Hélène Bernicot sont factuelles et portent exclusivement sur les chiffres et la collaboration active avec la Banque Centrale Européenne et l’autorité Des Marchés Financiers. Du côté de chez Arkéa, on ne commente pas les informations de la confédération, on n’infirme pas, on ne confirme pas les rumeurs. On leur oppose un silence quasi monacal. Ne serait-ce pas une nouvelle stratégie de communication ? Certaines pratiques réthoriques1 mettent en exergue les qualités d’un silence maîtrisé, surtout lorsque celui-ci s’oppose au bruit. Le silence renvoi à deux significations divergentes : soit il véhicule une image négative, celle de l’inertie, du consentement, de la honte (les proverbes étayant ces idées : « il n’y a pas de fumée sans feu », « qui ne dit mot consent », …etc.) ou à l’inverse, le silence évoque le travail, la sérénité, le pouvoir (« la parole est d’argent, le silence est d’or », « Il y a les diseux et les faiseux », …etc.).

Il est légitime de se poser la question du sens de ce revirement ? Serait-ce les prémices annonçant la fin de la guerre fratricide ? Est-ce le calme avant une nouvelle tempête ? Les rappels à l’ordre successifs et l’intimation de traiter le dossier dans le calme et l’apaisement de la part des autorités de tutelles sont-ils tout simplement à l’origine de ce silence ? Dans tous les cas, les rares communiqués de Madame Bernicot laissent percevoir un esprit déterminé mais serein en martelant que le « dossier suit sont cours et que les pourparlers avec les autorités compétentes sont toujours d’actualités ».

Aussi, pour le moment, il y a qu’une option possible : suivre l’évolution sur les prochains mois, seul le temps finira par désigner le vainqueur.

Claire Maritée

1Le Breton remarque que le goût de la plupart des sociétés pour l’éloquence n’empêche pas la « valeur de la parole (de prendre) sa mesure dans l’enrobement du silence qui l’accompagne » (1997, p. 75).

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