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Willy Ronis musicien

Publié le 01 décembre 2020 par Les Lettres Françaises

Willy Ronis, NuesSous le titre Nues, les éditions Terre bleue ont réuni une soixantaine de photographies en noir et blanc de Willy Ronis consacrées au nus féminins. Dans la préface de l’ouvrage, Philippe Sollers écrit : « Ces photos sont des partitions. Ronis voulait être musicien, il l’est, avec le cadrage, la lumière, l’ombre, les attitudes, les gestes. Il faut écouter ses photos si on veut les voir. » Qu’entend-on ? La caresse des peaux, le froissement des étoffes, le murmure des draps mais aussi le crépitement d’une cheminée ou le tintement de l’eau versée dans un broc. Une musique solaire, heureuse, sensuelle. Un chant d’amour à la beauté du corps des femmes.

Né à Paris le 14 août 1910 et mort dans cette même ville le 11 septembre 2009, Willy Ronis fut un des principaux représentants avec Robert Doisneau, Izis ou Sabine Weiss de ce courant que l’on nomme la photographie humaniste. Certaines de ses œuvres sont devenues des icônes de l’art photographique. Je pense, par exemple, au Petit Parisien de 1952 qui montre un bambin en culotte courte, sourire au vent, courant en portant une baguette de pain qui semble plus grande que lui. Les amoureux de la Bastille (1957) montre un couple sur un balcon qui domine Paris, avec au loin la tour Eiffel, Notre-Dame, des toits et des coupoles. L’homme murmure à l’oreille de la femme.

Communiste, Willy Ronis a aussi illustré les luttes de son temps. Le 14 juillet 1936, il suit le défilé célébrant la victoire du Front Populaire. Il en tirera une autre icône : une foule de femmes, d’hommes et d’enfants qui tendent le poing, un drapeau tricolore avec un bonnet phrygien et, sur les épaules de son père, un petit garçon au regard grave qui, lui aussi, tend le poing et porte la coiffure des sans-culottes. Le 25 mars 1938, il photographie la grève dans un atelier féminin des usines Citroën, montrant une femme debout sur une table haranguant ses collègues en levant le bras. Chacune de ces images est, comme l’écrit Philippe Sollers, « un chapitre de roman fantastique, une nouvelle après un rendez-vous d’amour, une sonate, une fugue, une leçon d’histoire, la vie qui ne passe pas, du passé tenace ».

Parmi les photographies iconiques de Willy Ronis, il y a Le nu provençal pris en 1949. Il a lui-même raconté comment il a réalisé cette œuvre. Écoutons-le un peu longuement pour découvrir sa méthode de travail :

« J’informe Rapho, en juillet 1947, que nous passons le mois d’août dans le Midi. Ça tombe bien : il y a un reportage à faire sur le peintre André Lhote et ses écoles cosmopolites d’été. Après m’être rendu seul dans celle de la Drôme, j’emmène à moto ma femme dans celle du Vaucluse. Le village nous fascine et nous y trouverons une ruine, l’année suivante, pour les vacances futures. L’été 1949 fut particulièrement torride. Je bricolais dans le grenier. Vincent, neuf ans, dormait dans sa chambre. Pour chercher en bas un outil qui me manque, j’emprunte l’escalier de pierre qui passe par notre chambre. Marie-Anne, qui émerge de sa sieste, se rafraîchit avec l’eau de la cuvette, car l’eau courante, c’est au lavoir qu’elle se trouve. Je lui dis : « Reste comme tu es », et, prenant l’appareil sur le bahut, je remonte quelques marches et je déclenche trois fois ; puis j’oublie, car il y a eu beaucoup d’autres photos durant ces vacances tout juste commencées. Ce fut une bonne surprise, une fois rentré à Paris, lorsque je tirai les contacts ; mais la destinée de cette photo m’étonne encore. Le négatif, par erreur, surdéveloppé, posait de gros problèmes de tirage. J’ai réalisé un cliché contretype qui remet les choses en ordre. »

On retrouve bien sûr ce Le nu provençal dans le livres Nues, qui contient d’autres chefs d’œuvres. La douceur de la lumière, l’élégance intimiste des cadrages, le naturel et la liberté des poses caractérisent ce travail qui oscille entre une sensualité légère et un érotisme pur. Je pense par exemple à la photographie de Chantal prise à Gordes en 1971. La scène se situe dans une chambre avec, à gauche, un lit tiré surmonté d’une bibliothèque et, à droite le battant d’une fenêtre ouverte. On respire l’air frais. Pratiquement au centre, une femme se tient debout, la tête légèrement inclinée tandis qu’elle brosse sa longue chevelure qui cache un sein tandis que l’autre se donne à voir petit mais ferme. Au-dessus de ses cuisses fermés se dessine le triangle broussailleux de la toison pubienne. Ce pourrait être Diane au bain, mais une Diane qui ne se refuserait pas au regard admiratif d’Actéon.

Rose-Marie, prise à Paris en 1970, présente un torse d’une femme enlevant un vêtement qui cache ses épaules, ses bras, son cou, son visage. Philippe Sollers parle d’une « extraordinaire femme au maillot marin, qui n’est pas la même que celle dénudant son buste au milieu de la végétation. Ici, nous sommes nulle part et partout, fond blanc très légèrement ondulé, sable ou océan, sans limites. C’est la libération des seins, l’affirmation puissante, la négation de tous les voiles, volonté de la tête emmitouflée le temps d’enlever ce doux et confortable vêtement de coton (vous êtes forcé de toucher l’étoffe) ». Toutes ces magnifiques œuvres stimulent tous les sens, magnifient la beauté du corps de la femme. « La photographie, c’est l’émotion », disait Ronis : comment ne pas être ému par ces nus ?

Franck Delorieux


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