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Pourquoi Londres a-t-il conclu son premier accord commercial « stratégique » post Brexit avec Tokyo ?

Publié le 11 décembre 2020 par Infoguerre

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Le 23 octobre 2020, en pleine crise avec l’UE, Londres conclut un accord commercial bilatéral post-BREXIT avec Tokyo. L’accord nippon-britannique a été signé lors d’une brève cérémonie en présence de la ministre britannique du Commerce international Liz Truss et du ministre japonais des Affaires étrangères Toshimitsu Motegi. « Nous avons repris le contrôle de notre politique commerciale et nous continuerons à prospérer comme nation commerçante en dehors de l’UE », s’est réjoui le Premier ministre britannique, le conservateur Boris Johnson. « Il va bien plus loin que l’accord existant avec l’UE », a souligné la ministre britannique du Commerce international, Liz Truss. « Il sécurise aussi des gains majeurs qui seraient impossibles avec une appartenance à l’UE », a encore insisté Londres. A la lecture des réactions, Londres montre non seulement que les Britanniques n’ont pas besoin de l’UE pour conclure des deal tout en maintenant une pression sur leur propre deal avec l’UE.

Le Japon : allié stratégique du Royaume-Uni

De tous les pays européens, c’est avec le Royaume-Uni que les Japonais ressentent la plus grande proximité culturelle. Etats insulaires souverains, monarchies constitutionnelles avec multipartisme où alternent 2 partis principaux, tradition commune pour des régimes conservateurs-libéraux, expérience commerciale tournée vers l’international, consensus social relativement stable dans les 2 pays, conduite à gauche, autant de points communs pour construire un partenariat industriel particulièrement efficace depuis 40 ans.

L’arrivée des Japonais au Royaume-Uni en 1980 coïncide avec leur recherche de nouveaux relais de croissance dans les secteurs automobiles et de l’électronique, et le soutien de la politique thatchérienne aux investisseurs. L’industrie automobile Britannique est dépassée, ses marques historiques MG, Austin, Morris, Rover, Triumph ne font plus recette. Les Japonais ne se contentent pas de joint-venture et optent pour des participations à 100% avec des créations de greenfield sites, nouveaux sites de production où dominent la technique et l’organisation japonaise.

Entre 1988 et 1995, la part de marché des constructeurs automobiles japonais dans le marché communautaire européen de l’automobile va s’élever de 11,8% à 18%. Les Îles britanniques deviennent le cheval de Troie de l’industrie japonaise. Plus de 1.000 sociétés japonaises – dont le conglomérat industriel Hitachi et les big Three  des constructeurs automobiles nippons Toyota, Nissan et Honda – sont implantées au Royaume Uni, où elles emploient 140.000 personnes. Elles utilisent souvent le Royaume-Uni comme base pour fournir leurs clients européens ou superviser leurs activités dans l’UE. En 1991, l’industrie informatique suit le même processus avec l’entrée de Fujitsu à hauteur de 80% dans le capital du Nr. 1 Britannique de l’époque ICL dont les concurrents (Siemens, Philips, Bull, Olivetti) des pays partenaires européens pensaient récupérer les actifs d’un groupe voisin.

Lors d’une conférence de presse, un industriel français qualifiera « le Royaume-Uni comme un porte-avion japonais au large des côtes européennes. » Après la crise financière de 2008 qui a particulièrement affecté le secteur financier britannique, le Japon rattrapé par la concurrence chinoise, maintiendra sa présence au UK tout comme le UK comptera sur le Japon pour affermir ses intérêts économiques en Asie.   Cette entente historique ne s’arrête pas seulement aux questions économiques.  A l’été 2017, Theresa May avait été invitée par son homologue Shinzo Abe à un Conseil de Sécurité National, privilège rare pour un chef d’état étranger, pour renforcer leur coopération dans le domaine de la défense et mettre en place un plan pour contrer la menace Nord-coréenne. En échange, le Japon annonce déjà aux Anglais ce possible accord qui deviendra le CEPA en octobre 2020.   « Cela va donner aux entreprises britanniques une porte d’accès sur l’ensemble de l’Asie-Pacifique », a assuré Liz Truss avant d’évoquer une éventuelle accession de la Grande Bretagne au Partenariat transpacifique (TPP) dont le Japon est membre.

Le Japon face à L’UE

Le 17 juillet 2018, soit plus de 2 ans avant le CEPA entre le Japon et le Royaume-Uni, le Japon et l’UE signait un accord historique de libre-échange économique (le JEFTA). Jean-Claude Junker, président de la commission européenne entre 2014 et 2019 soulignait « C’est le plus important accord commercial bilatéral jamais conclu par l’Union européenne ». Pour Shinzo Abe, le Premier ministre japonais, « il crée la plus grande zone économique industrielle et libre au monde ». Sur la lecture des chiffres du commerce mondial, cet accord réunit la 2ème puissance commercial mondial (l’UE avec 2.060 Mrd d’€) et la 4ème (le Japon avec 626 milliards d’euros).

Pourtant, cet accord est passé relativement inaperçu, loin du tapage médiatique autour du CETA (accord économique et commercial global signé le 30 octobre 2016 entre le Canada et l’UE). Aidé par une balance commerciale très équilibrée entre les 2 parties, le JEFTA, surnommé « voiture contre fromage », conduit à la suppression progressive de 99% des taux de douane sur les importations de l’UE en provenance du Japon et à hauteur de 97% sur les marchandises de l’UE vers le Japon. Une aubaine pour le secteur agroalimentaire côté européen (et Français particulièrement) et le secteur automobile côté japonais.  Cet accord a surtout pour objectif de rapprocher les 2 puissances mondiales face à la Chine et aux États-Unis en trouvant de nouvelles coopérations dans la lutte contre le réchauffement climatique, l’énergie ou la cybersécurité. La communication discrète des pays membres de l’UE autour de cet accord préfigure les difficultés majeures de la conclusion de l’accord post- BREXIT entre l’UE et le Royaume -Uni aussi bien que la présence Japonaise dans les Iles Britanniques.

Le Japon face au BREXIT

En juillet 2017, un peu plus d’un an après la sortie du Royaume-Uni de l’UE, Boris Johnson, alors Ministre britannique des Affaires étrangères, se rend au Japon et multiplie des déclarations encourageantes pour rassurer les investisseurs japonais. « Nous quittons l’UE, mais nous ne sortons pas de l’Europe, ce qui va nous permettre de continuer à bâtir notre relation commerciale et économique avec le Japon ».

Relations bilatérales des 3 acteurs Japon / UK / UE en 2019

Le Japon est le 11ème partenaire commercial pour les Britanniques avec un volume d’échange (exportations + importations) de 35,2Mrd d’€, très loin derrière l’UE, premier partenaire des Britanniques avec un volume d’exportation de 328 milliards d’euros (43% du volume global des exportations britanniques) et un volume d’importation de 417Mrd d’€ (52% du volume global des importations britanniques). En 2019, le Japon représentait le 7ème partenaire commercial de l’UE avec un volume global d’échange de 124Mrd d´€. La réalité des chiffres, l’importance des accords existants combinés à l’incertitude du futur accord UE-Royaume-Uni amènent le Japon à la prudence. Meredith Crowley, une économiste de l’université de Cambridge analysait dans le Guardian en mars 2019 « Le risque est que l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Japon, ajouté à l’incertitude entourant les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, signifie que les Japonais acheminent des marchandises vers l’Europe et mettent la Grande-Bretagne hors de la boucle ».

Un accord de principe pour le Japon

Depuis les promesses faites à Theresa May en juillet 2017 à Tokyo, les déclarations rassurantes de Boris Johnson, le Japon reste uni à son allié, surtout dans un contexte de guerre économique de plus en plus tendu avec son voisin chinois. L’Angleterre se permettra même de gagner une bataille médiatique pendant la coupe du monde de Rugby organisée au Japon en 2019 en mettant en scène les stars du XV de la rose, vêtus des armures chevaleresques des guerriers japonais. Un hommage au Japon médiéval. Le spot fait le buzz au Japon.

Toujours pas d’accord entre Londres et Bruxelles

Alors que les Anglais se rassurent avec cet accord « stratégique » avec le Japon, Londres et Bruxelles ne trouvent toujours pas d’issues à leur future coopération. Pire, les relations restent tendues, engagées dans un bras de fer à la hauteur des enjeux.  « En plus de 30 ans de diplomatie, je n’ai jamais expérimenté une négociation se détériorant aussi rapidement, de manière intentionnelle et profonde », a commenté sur Twitter l’ambassadeur d’Allemagne au Royaume-Uni, Andreas Michaelis. Sur le fond, restent 3 points importants de blocage : les conditions d’une concurrence équitable, la gouvernance de de la future relation et la pêche. Sur la forme, les négociations ont repris après une dramatisation des rapports avec le départ de la table de négociation des Britanniques.

Le vrai sujet

Londres a donc encore une fois joué au coup de bluff en signant cet accord avec Tokyo, accord symbolique, facile à négocier pour Londres, bénéfique en apparence pour les 2 pays. Le ministre japonais des Affaires étrangères, Toshimitsu Motegi, a immédiatement rappelé que son pays restait obnubilé par l’état des négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne qui portent des enjeux bien plus considérables pour les entreprises nippones. Un mauvais accord entre Bruxelles et Londres doperait les taxes sur les produits des groupes japonais produisant au Royaume-Uni pour l’Europe et ruinerait toute leur stratégie d’implantation.

Paul Duteil

Sources

Chartham House, The UK and Japan Forging a global and Proactive Partnership, Report Edited by John Nilsson-Wright mai 2019.

Claude Moindrot Rapport Les investissements japonais au Royaume-Uni, décembre 1992.

 Department of international Trade, The United Kingsdom’s Future Trading Relationship with Japan, report octobre 2020.

 Eurostats Statistics, Japan-EU, international trade in good statistics, report March 2020.

UK Parliament, Statistics on UK-EU Trade, report November 2020.

 Sébastien Jean, Japan-Europe , The unnoticed megadeal, article du 26.10.2017 du blog CEPII.

 Richard Hiault – article du 18.01.2018 / Les Echos.

Ganyi Zang – article du 01.10.2019 / Upply

Damien Durand envoyé spécial ASPN au Japon – article du 13.07.2019 / ASPN.

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