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Tom Buron : « Un grand feu d’hapax »

Publié le 12 décembre 2020 par Les Lettres Françaises

Tom Buron : « Un grand feu d’hapax »J'avais déjà évoqué dans ces colonnes l'émotion que m'avait suscitée la découverte de la poésie de Tom Buron lors du dernier festival de la Biennale des poètes du Val-de-Marne - ultime baroud d'honneur de cette belle institution -, qui avait débouché sur la publication d'une anthologie au Temps des Cerises, Génération Poésie debout.

Cette anthologie, préfacée par Francis Combes, rassemblait les poèmes des jeunes auteurs invités, parmi lesquels, faute de pouvoir les citer tous : Katia-Sofia Hakim, Alexis Bernaut, Alexandre Bonnet-Terrile et, bien sûr, Tom Buron. Je m'étais aussitôt procuré Nostaljukebox. Mais aujourd'hui, Tom Buron nous donne à lire bien davantage. Toujours chez le même éditeur belge, maelstrÖm reEvolution, il publie Nadirs, un ouvrage rassemblant ses deux premiers livres, , Nostaljuxbox, et un long poème inédit Timbales téléphoniques, le tout enchâssé au sein d'une construction savante, comprenant un " Prologue " et une " Coda ".

Tom Buron : « Un grand feu d’hapax »
Avant d'en venir aux vers - donc au plaisir -, j'aimerais souligner l'originalité de cette construction comme à rebours. Dans Nadirs, Tom Buron termine par le commencement : Nostaljukebox et Le Blues du 21e siècle, ces premiers textes, achèvent l'ouvrage alors que Timbales téléphoniques l'ouvre en fanfare. L'œuvre emprunte alors deux directions différentes : d'un côté, elle part du présent pour parvenir au passé, à la façon d'une quête des origines pour retrouver la brutalité des versets du Blues du 21e siècle, comme si tout ce qu'il pouvait écrire de neuf serait le résultat d'une opération de retranchement par rapport à une langue originelle, comme un lapidaire taillant son diamant brut. Et tout est présenté de travers : la sculpture avant la matière initiale. L'origine dédoublée : vers le passé ou vers l'avenir ? Seul l'auteur pourrait répondre à cette question.

Taillant son propre chemin au milieu des influences (Marlowe pour le Faust, le Maïakovski du Nuage en pantalon, la Beat generation, le jazz et Jacques Vaché pour la syncope, Arthur Cravan - avec lequel il partage le goût de la boxe -, Villon et Genet pour la sainteté du gouape, Rimbaud et bien d'autres...), Tom Buron attaque la vie par sa part maudite : ce que dit bien le titre, Nadirs. Le " nadir " est un terme astronomique ; c'est l'inverse du zénith, " le point de la sphère céleste représentatif de la direction verticale descendante, en un lieu donné (par opposition au zénith). Par extension, peut désigner le "point le plus bas". C'est la position du soleil à minuit. "

Tom Buron : « Un grand feu d’hapax »
La poésie de Tom Buron est pleine de camés, de voyous, d'argots, de vagabonds bourlinguant à la Cendrars, de mots-valises, de la brutalité des anglicismes et de strophes ramassées à même le pavé. Le ton est donné dès la première strophe de Timbales téléphoniques qui s'est ancrée dans ma mémoire (que demande-t-on à un vers, en fin de compte, que de flotter inexplicablement, durablement dans une cervelle ?) : " À traînailler dans les boxons - / s'arsouiller en auberges pleines de l'armure des langues / Ces parts d'Eldorado, oh mes frères, que nous volons / le thème souverain des chérubins aux lauriers / La monnaie d'un instant-monument / Je vais te le dire pour le nier ensuite / Nous ramasserons les douilles de nos béguins / pour en faire des époques. "

Cette atmosphère, parfois si empathique, dégoupille ses vers à la mitraillette, en saccades violentes, qui n'est pas exempte de satire sociale : " Des météores hyperboréens de putains collent à la cravate, aussi aiment-elles comme des placebos quand le mauvais fils dégentrifie les césures ". Sans faire d'explication de texte, n'est-ce pas précisément ce que fait Buron, dégentrifier les césures du vers, autour de femmes qui s'encanaillent ?

Et pourtant dans cette débâcle de " suburbia " (banlieue), modelée dans la plus extrême violence du présent immédiat (cette antiphrase de Nostaljukebox : " Dieu ? c'est la synchronicité sur un trottoir "), Tom Buron semble hanté par la nostalgie du poète voleur de feu, qu'il ressuscite : " Horloge tzarine ! / Ne suis-je plus qu'un fac-similé du pirate que j'ai été ? ". Les dieux ne sont plus de ce monde, Tiouttchev, Leonardo Barbieri... Et Buron, " ce cœur qui n'a pas même l'âge d'un bourbon décent ", arrive après ; après lui-même aussi, pense-t-il, ce qui nous renvoie à la construction à rebours du recueil que nous évoquions plus haut. Nostalgie qui point aussi par la douceur miraculeuse de certains vers : " En tes yeux les madonnes, ma belle enfant ". " Si les arbres sont des anges sans paroles / inaptes à se faire la belle, // adonisons-nous du don des diadèmes ".

Ces passages semblent exprimer le désir d'une impossible rédemption, non religieuse mais morale. " Prenez mon cœur, qu'il soit sauvé ! ", disait Rimbaud. Nostalgie du langage poétique aussi, car pour qui sait écouter, la page est parfois traversée des grands mètres du vers français, ainsi de l'alexandrin dans " Jungle est la loge d'une interminable lutte / Jungle est l'Église de nos rédemptions déçues / [...] Jungle est l'orage que nous frôlons des paupières ".

Tom Buron : « Un grand feu d’hapax »
Si différente que soit ma poésie de la poésie de Tom Buron, je m'y reconnais, j'y reconnais quelque chose de mes vers, comme poussés à bout - je suis bien sage à côté. Cela tient peut-être de la démarche, au sens propre du terme, celle qui " traînaille dans les boxons ", dans l'argot qui " s'arsouille ". Lisant Buron, je pense : " Tandis qu'en mon larfeuille quelques-uns / de tes mots resquilleront une berceuse-canevas / des jours enfuis. " Dans la dimension vraiment narrative de cette poésie, aussi, ponctuée de mais et de tandis que : " Mais me voilà qui vulcanise & trinque seul contre tous / rêvant à la guêpe / qui s'en va / cuver des amours aux abords des pylônes " (Buron), que je rapprocherais de ces vers de Filigrane : " Mais me voici bonhomme / Lourdement sous le ciel de Pigalle / Où palourdent les étoiles / J'entre libre et joyeux / Dans ce bar où les murs ont la peau rouge / Le Rock'n'roll Circus ". C'est sans doute une illusion, un rêve - mon rêve - ; toujours est-il que la poésie de Tom Buron m'accompagne, par ce qu'elle a de mystérieux et d'envoûtant.

Je discutais avec l'un de ses lecteurs, qui appréciait le livre mais qu'avait refroidi son usage répété des mots rares ou techniques. Les poètes qui confondent la poésie avec le dictionnaire ne sont pas de mon goût. Mais ici, chacun de ces mots rares ou peu connus, outre qu'ils sont toujours choisis pour leurs qualités mélodiques ou percussives, ne sont pas différents des mots communs, des mots de tous les jours, connus de tous, que Tom Buron emploie aussi bien, " les mots de la tribu " (Mallarmé). Tous les mots de Nadirs semblent se prêter à un choix et à un agencement mystérieux. Une nécessité inexplicable, qui leur donne de toute façon un sens différent, propre, intérieur.

Comment plonger dans " le nadir des syllabes " ? Pour citer encore le poète, dans Nostaljukebox, sa poésie me fait l'effet d'un " grand feu d'hapax ". De ce mot hapax, que je n'avais guère entendu que lors de mes (courtes) études de grec, les dictionnaires donnent cette définition : " Mot, forme, emploi dont on ne peut relever qu'un exemple ". Alors le lecteur, tout enchanté qu'il est, avoue sa défaite (un lecteur de poésie ne cherche de toute façon pas autre chose). Il n'existe pas encore de critique pour cette poésie-là.

Victor Blanc
Tom Buron,NadirsmaelstrÖm reEvolution, 166 pages, 15 €

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