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Ma religion, c'est la culture

Publié le 11 décembre 2020 par Ep2c @jeanclp
Ma  religion, c'est la culture

Je comprends et je partage l'indignation, la colère, la révolte et la souffrance des artistes, créateurs, interprètes, cinéastes, écrivains, conservateurs de musées, libraires, personnels des institutions et équipements culturels, etc.

Je n'ai évidement pas compétence en matière de pandémie et de foyers d'infection, mais, comme tous le monde je constate que les transports en communs, les grands magasins et les supermarchés sont bondés.

L'exception culturelle se décline donc sur le ton du mépris ; les « arbitrages » gouvernementaux en défaveur de la vie artistique et culturelle sont insupportables tandis que le ministère de la culture poursuit son lent naufrage.

Reste qu'il est souhaitable de ne pas passer sous silence le fait que ce mépris s'inscrit dans un contexte général qui concerne la grande majorité de nos concitoyens (à l'exception des « élites technocratiques »).

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Une démocratie à tendance technocratique mâtinée d’un penchant liberticide.

Pierre Rosanvallon.

© propos recueillis par Simon Blin — 4 décembre 2020 LIBERATION

Pourquoi Emmanuel Macron rechigne tant à intégrer les propositions émanant de la société, particulièrement sur l’écologie et la démocratie, selon vous ?

Emmanuel Macron et le gouvernement considèrent que la démocratie est le régime de la légitimation par les urnes. C’est une conception minimaliste de la démocratie. Cette approche pose problème car elle peut aussi bien conduire à une oligarchie démocratique, à l’image de ce qu’est le régime américain avec un pouvoir suprême détenu par une minorité d’élus en poste au Sénat depuis des décennies, qu’aux populismes autoritaires des pays de l’Est. En France, on se rapproche d’une démocratie à tendance technocratique mâtinée d’un penchant liberticide. Le problème n’est pas seulement celui d’une loi en particulier, bien qu’il paraît évident que la loi sur la «sécurité globale» contient des aspects inacceptables, mais d’une incompréhension de la nature même de la démocratie par ceux qui nous gouvernent.

Comment sortir de cet essoufflement démocratique ?

La démocratie ne peut pas simplement fonctionner avec les trois pouvoirs traditionnels. Le régime doit aussi écouter l’ensemble des associations et des mouvements citoyens qui jouent un rôle essentiel. Il faut aussi développer les autorités indépendantes. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) est un exemple vertueux de ce qu’elles peuvent apporter à la «démocratisation de la démocratie». Car celle-ci ne peut s’opérer si les citoyens n’ont pas confiance dans les institutions. On voit bien par exemple qu’il est temps de confier à une autorité indépendante le contrôle de la police, comme il y a une cour des comptes pour le budget. L’Etat français a trop tendance à vouloir contrôler et se juger lui-même. C’est une constante historique. Un pouvoir est fort seulement s’il reconnaît ses limites. A partir du moment où il ne les reconnaît plus, il devient autoritaire.

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De quoi parle-t-on ? 

Toutefois, en cette période trouble sur les questions de laïcité et de libertés publiques, dans ce moment où la lutte contre la barbarie terroriste est instrumentalisée pour remettre en question un équilibre toujours fragile en matière de liberté de conscience et de séparation des églises (ou ce qui en tient lieu) et de l’État, la formule (rencontrée à quelques reprises sur les réseaux sociaux) : Ma religion, c'est la culture  me laisse particulièrement perplexe.

Une telle expression a-t-elle seulement un sens et faut-il se garder de juger par un « pardonnez leur car ils ne savent pas ce qu'ils disent ! » Fidèle à la vocation de ces pages, au doute méthodique et à l'acceptation de l'incertitude, je m'offre néanmoins à documenter cet énigmatique slogan.

La culture saisie par l’État

La culture c'est l'ensemble de telles paroles et l'ensemble de toutes les formes, fussent-elles les formes du rire, qui ont été plus fortes que la mort, parce que la seule puissance, égale aux puissances de la nuit, c'est la puissance inconnue et mystérieuse de l’immortalité.

André Malraux, Discours pour l’inauguration de Maison de la Culture de Bourges. 1964.

« … il ne serait pas tellement paradoxal de dire que la beauté, aujourd'hui , c'est ce qui a survécu.(...) Or nos statues romanes, celles de vos grottes sacrées, n’appartiennent pas seulement à la connaissance. Elles sont de leur temps, bien entendu: nous pouvons les dater ; mais elles sont survivantes. Comme le saint que l'on prie appartient à la fois à l'époque de sa biographie, et au présent de celui qui le prie. C'est pourquoi j'ai écrit que :« le domaine de la culture était la vie de ce qui devrait appartenir à la mort ».

André Malraux, Antimémoires, , Gallimard 1967.

Le temps des cathédrales.

Edmond Michelet inaugure La Maison de la Culture André Malraux à Reims 1969.

Archive INA

Ancien résistant, Michelet, déporté à Dachau, passé auparavant de l'Action française au catholicisme social a fait une arrière politique à droite. C'est à ma connaissance, le seul ministre de la culture pour lequel est instruit un procès en béatification. Attendons le ou la suivante !

Le développement culturel.

A l’heure actuelle, la culture se définit à la fois comme un savoir, un choix d’existence et la pratique de la communication. Une communication qui doit s’épanouir en communion

(..)

Le développement culturel implique donc aussi un effort en faveur de cette pointe avancée de la culture que représente l’art moderne, pour cette raison au moins que nous devons à l’artiste une vision plus claire de notre destin. Et, s’il nous surprend, c’est souvent qu’il est plus sensible aux « signes des temps » dont parle la Bible.

Jacques Duhamel. Première conférence des ministres européens de la Culture. (Helsinki - 9 juin 1972).

Le Palais des Papes.

Lettre du Pape Jean-Paul II aux artistes. (1999)

À tous ceux qui, avec un dévouement passionné,
cherchent de nouvelles «épiphanies» de la beauté
pour en faire don au monde
dans la création artistique.

«Dieu vit tout ce qu'il avait fait : cela était très bon» (Gn 1, 31).

L'artiste, image de Dieu Créateur

1. Personne mieux que vous artistes, géniaux constructeurs de beauté, ne peut avoir l'intuition de quelque chose du pathos avec lequel Dieu, à l'aube de la création, a regardé l'œuvre de ses mains. Un nombre infini de fois, une vibration de ce sentiment s'est réfléchie dans les regards avec lesquels, comme les artistes de tous les temps, fascinés et pleins d'admiration devant le pouvoir mystérieux des sons et des paroles, des couleurs et des formes, vous avez contemplé l'œuvre de votre inspiration, y percevant comme l'écho du mystère de la création, auquel Dieu, seul créateur de toutes choses, a voulu en quelque sorte vous associer.

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L' art nous conduit à Dieu, Benoît XVI (2011)

Chers frères et sœurs,

Ces derniers temps, j’ai rappelé à plusieurs reprises la nécessité pour chaque chrétien de trouver du temps pour Dieu, pour la prière, parmi les nombreuses préoccupations qui remplissent nos journées. Le Seigneur lui-même nous offre de nombreuses occasions pour que nous nous souvenions de Lui. Aujourd’hui, je voudrais m’arrêter brièvement sur l’une des voies qui peuvent nous conduire à Dieu et nous aider également à le rencontrer : c’est la voie des expressions artistiques, qui font partie de la via pulchritudinis — « voie de la beauté » — dont j’ai parlé à plusieurs reprises et dont l’homme d’aujourd’hui devrait retrouver la signification la plus profonde.

Il vous est sans doute parfois arrivé, devant une sculpture ou un tableau, des vers d’une poésie ou en écoutant un morceau de musique, d’éprouver une émotion intime, un sentiment de joie, c’est-à-dire de ressentir clairement qu’en face de vous, il n’y avait pas seulement une matière, un morceau de marbre ou de bronze, une toile peinte, un ensemble de lettres ou un ensemble de sons, mais quelque chose de plus grand, quelque chose qui «parle», capable de toucher le cœur, de communiquer un message, d’élever l’âme. Une œuvre d’art est le fruit de la capacité créative de l’être humain, qui s’interroge devant la réalité visible, s’efforce d’en découvrir le sens profond et de le communiquer à travers le langage des formes, des couleurs, des sons. L’art est capable d’exprimer et de rendre visible le besoin de l’homme d’aller au-delà de ce qui se voit, il manifeste la soif et la recherche de l’infini. Bien plus, il est comme une porte ouverte vers l’infini, vers une beauté et une vérité qui vont au-delà du quotidien. Et une œuvre d’art peut ouvrir les yeux de l’esprit et du cœur, en nous élevant vers le haut.

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Spécial spectacle vivant.

"Nous ressemblons à un père trop faible pour un enfant chétif, qui ne lui donnerait que des gâteaux , des friandises insignifiantes, mais rien de nourrissant. Aux reproches des médecins, il répondrait : Que voulez-vous? Je ne puis pas voir pleurer un enfant. Malheureux, insensé et traître, indigne du nom de père! Ne valait-il pas mieux le chagriner un instant pour lui rendre la santé, que de lui donner ce plaisir éphémère qui doit causer une douleur continuelle. Voilà ce que nous faisons, nous aussi quand nous travaillons à faire un discours élégant, bien disposé, harmonieux, afin de plaire au lieu d'être utiles; pour amuser, non pour toucher; pour recueillir des éloges et des applaudissements, mais non pour corriger les mœurs.
Croyez-moi, car je sais ce qu'il en est, quand on m'applaudit dans un discours, je sens que je suis homme (pourquoi n'avouerais-je pas la vérité?), je me réjouis, je m'exalte. Mais rentré chez moi, je songe que ceux qui m'ont applaudi n'ont rien gagné à m'entendre; du moins, le peu de profit qu'ils en ont tiré s'est perdu avec le bruit des applaudissements : alors je me tourmente, je gémis et je pleure; il me semble, dans mon découragement, que mes discours ne servent à rien, et je me dis à moi-même : à quoi bon toutes mes sueurs, si ceux qui m'écoutent ne veulent point profiter de mes paroles?
Souvent j'ai songé à établir comme règle de défendre les applaudissements, et à vous persuader d'écouter en silence et dans une attitude convenable. Laissez-moi dire, je vous en prie, et croyez-moi : si vous y consentez, établissons dès à présent cette règle qu'il ne soit permis à personne d'interrompre l'orateur par des applaudissements. Si quelqu'un veut admirer, qu'il admire en silence : personne ne l'en empêchera, et tout ce qu'il a de zèle et d'ardeur sera mieux employé à retenir le discours. Pourquoi applaudissez-vous? J'établis une règle là-dessus et vous ne pouvez pas l'observer, même en l'écoutant. Il en résultera une foule d'avantages, et notre sagesse en profitera beaucoup. Quand les philosophes païens parlaient, il n'y avait jamais d'applaudissements : pendant les prédications des Apôtres, jamais on n'a dit que l'auditoire les eut interrompus par des applaudissements. Cela sera un grand profit pour nous. Mais convenons bien de cela pour que les auditeurs restent tranquilles et l'orateur aussi. Quand même, après avoir applaudi, on retiendrait encore en s'en allant quelque chose de ce qu'on aurait entendu , cette manière d'approuver ferait toujours mauvais effet; mais je n'insiste pas là-dessus, de crainte de paraître trop sévère. Enfin, puisque cette coutume ne peut être que nuisible, détruisons cet obstacle, supprimons ces élans et coupons court à ces emportements de l'âme. Le Christ parla sur la montagne, et tout le monde garda le silence jusqu'à la fin de son discours. Je ne prive de rien ceux qui aiment à applaudir; au contraire, ils admireront davantage. Il vaut bien mieux écouter en silence, et pouvoir en tout temps, chez soi et ailleurs, applaudir par réflexion, que de rentrer sans rien rapporter et sans savoir pourquoi on a applaudi. Une pareille manière d'entendre n'est-elle pas ridicule? N'est-ce pas à la fois une flatterie et une dérision que de vanter l'éloquence d'un orateur sans pouvoir expliquer ce qu'il a dit? C'est là une flatterie, que l'on comprendrait seulement chez celui qui entendrait des musiciens et des tragédiens, car il sait bien qu'il n'en pourrait faire autant : ici, quand il ne s'agit plus de mélodies et de belles voix, mais de sagesse et de raisonnements, comment excuser celui qui ne pourrait rendre compte du plaisir que lui a causé l'orateur? Rien ne convient mieux dans une église que le silence et le bon ordre. Le tumulte est à sa place dans les théâtres, les bains, les fêtes et les marchés, mais l'endroit où l'on enseigne les dogmes divins doit être le refuge du calme, de la tranquillité et de la sagesse, ce doit être un port à l'abri des orages."
Saint Jean Chrysostome (344-407), Homélie sur les Actes des Apôtres

C'est tout pour aujourd'hui. Amen

P.S. En matière de slogan, on peut toujours trouver pire, comme ce magazine culturel qui semble s'inspirer de la pensée du Préfet Lallement.

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