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La littérature de chiottes

Par Caroline

On parle parfois de “littérature de gare” pour désigner de façon péjorative un roman, un peu facile, qui permet au voyageur d’oublier l’ennui d’un trajet en train. Il est acheté un peu à la va-vite chez le kiosquier (de nos jour appelé Relais H®). Il propose une intrigue simple dans une écriture au lance-pierre, avec souvent une histoires d’amour à l’eau de rose. Ce sont des livres qu’on oublie une fois le trajet en train terminé.

Moi, c’est plutôt la littérature de chiottes qui m’intéresse. Elle n’a rien à voir avec la littérature de gare , je dirais même qu’elle lui est très supérieure.
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Pour s’en convaincre, je propose un extrait d’une nouvelle trouvée sur le Blog de Martine Laval, une nouvelle de PAG faisant partie de son prochain livre C’est tous les jours comme ça (Les dernières notes d’Anthelme Bonnard), à paraître aux éditions de l’Arpenteur/Gallimard.

Il est vrai que depuis l’entrée en vigueur de cet imbécile décret interdisant de lire dans les lieux public tout écrit autre que la presse d’État ou les petits ouvrages à couverture bleu nuit du ministère de la Formation Civique, on assiste à une véritable chasse aux récalcitrants, à une traque sans trêve et sans merci des fraudeurs de tout acabit.
(…)
Déjà c’était à se tordre lorsqu’Ils ont imposé sur tous les ouvrages de fiction ces grotesques bandeaux rouges et blancs marqués d’inscriptions aussi absurdes que « Lire peut entraîner des lésions cérébrales graves », « Lire peut provoquer des troubles oculaires irrémédiables » ou « Lire peut nuire aux spermatozoïdes et réduit la fertilité » et autres âneries ignobles tout droit sorties de leur esprit tordu, mais quand la sous-secrétaire d’État en charge des Activités Culturelles et de Loisirs a déclaré dans un discours fameux par sa bêtise vouloir « aller buter les déviants jusque dans les chiottes » (sic), alors je ne vous dis pas le sentiment de malaise mêlé d’angoisse qui s’est emparé de tous ceux pour qui lire autre chose que les romans à l’eau de rose des éditeurs sous contrat représente l’ultime espoir d’évasion, le dernier espace de liberté.

Les chiottes, ultime refuge pour la littérature ?
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Dans Amuleto de Roberto Bolaño, celui-ci confirme la place que peut avoir la littérature dans les chiottes :

J’ai tout vu et en même temps je n’ai rien vu. Comprend-on ce que je veux dire ? Je suis la mère de tous les poètes et je n’ai pas permis (ou le destin n’a pas permis) que le cauchemar me désarme. Les larmes coulent maintenant sur mes joues ravagées. J’étais à la faculté ce fameux 18 septembre¹ quand l’armée viola l’autonomie de l’université et entra sur le campus pour arrêter ou tuer tout le monde. Non à l’université il n’y eu pas beaucoup de morts. Ce fut plutôt à Tlatelolco. Que ce nom reste dans notre mémoire pour toujours ! Mais moi, j’étais à la faculté quand l’armée et les granaderos² sont entrés et ont embarqué tout le monde. Une chose incroyable. Moi, j’étais dans les toilettes, dans les lavabos de l’un des étages de la faculté, le quatrième, je pense, je ne peux le préciser. Et j’étais assise sur la cuvette, les jupons relevés, comme dit le poème ou la chanson, en train de lire ces poésies si délicates de Pedro Garfias, qui était déjà mort depuis un an, don Pedro si malénacolique, si triste de l’Espagne et du monde en général, qui aurait pu s’imaginer que j’allais être en train de le lire aux W.-C. juste au moment où les salauds de granaderos entraient à l’université.

1- 1968

2-Corps policier d’intervention lié à la répression.
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Alors ? Amis écrivains, si un éditeur ou un critique vous dit que vous faites de la littérature de chiottes, bombez le torse ! Amis lecteurs, si on vous dit que vous ne lisez que de la littérature chiottes, enorgueillissez-vous ! D’ailleurs, je tiens à préciser qu’il est possible de lire ces livres, ailleurs aussi (pour encore un certain temps, l’époque décrite par PAG n’est pas encore tout à fait là, profitons-en !). Pour moi, ce sera dans un pré au Pays Doré…


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