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Tenet. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Par Balndorn

 Tenet. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Après avoir raté sa sortie en salles, j’ai enfin pu voir Tenet il y a quelques semaines. Entre temps, j’avais déjà lu bon nombre de critiques – la plupart négatives. J’approchais donc la nouvelle œuvre de Christopher Nolan avec circonspection. Et j’eus raison.

Simplicité n’est pas simplisme

Hasard des calendriers, il se trouve qu’au moment où je découvrais enfin Tenet, je revoyais la trilogie Retour vers le futur. Malgré leur tonalité différente, les deux films partagent un même thème : le voyage dans le temps. Et pourtant, là où ma trilogie de Zemeckis brille par sa clarté, le dernier morceau de Nolan se distingue par son opacité. En un mot, un principe oppose les deux réalisateurs : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? À la lueur de cette question, on peut comprendre les principales différences entre ces deux œuvres.

En très bon artisan hollywoodien, Robert Zemeckis sait raconter des histoires de manière claire, précise et rythmée. Aucun volet de la trilogie ne souffre de lenteurs ; et, malgré l’entrecroisement des lignes temporelles, on n’en perd jamais le fil, d’une part en raison du personnage de Doc (Christopher Lloyd), qui sert de véritable pédagogue aussi bien pour Marty McFly (Michael J. Fox) que pour le spectateur, et d’autre part car le scénario s’amuse à répéter des motifs burlesques au travers des époques visitées. On retrouve ainsi, à chaque épisode, le gag du fumier dans lequel tombent les Tannen ou de la planche – à roulettes ou volante – qu’utilise Marty pour sortir d’une mauvaise passe. Ce bon vieux principe de répétition/variation fait tout le sel de la trilogie.

À l’inverse, Christopher Nolan, en bon habitué du genre, considère qu’un récit trop simple est par définition simpliste, et donc mauvais. Les histoires les plus banales ou les thèmes les plus connus doivent donc nécessairement passer au prisme d’un « dispositif », censé apporter au film sa plus-value artistique. La stratégie se révèle aussi bien gagnante (les vertiges métaphysiques d’Interstellar, la cruauté de Memento) que perdante (les obscurs labyrinthes d’Inception). Avec Tenet, nous touchons clairement au pire de Nolan : prétentieux, cérébral, abscons.

Tenet. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
 

La mise en scène, talon d’Achille de Nolan

Film d’espionnage et voyage dans le temps auraient pourtant pu parfaitement s’unir. Mais Nolan estime que les mêler simplement n’était pas encore assez ; qu’il fallait non seulement brouiller les pistes de l’espionnage, jusqu’à ne plus savoir qui travaille avec ou contre qui, ni pour quoi, mais en outre recourir à « l’inversion de l’entropie » plutôt qu’un banal voyage dans le temps. Le tout, pour des enjeux somme toute minimes. Et c’est là que le bât blesse. Car autant l’auteur sait écrire les scénarios les plus complexes qui soient, autant, pour servir au mieux celui de Tenet, fallait-il une mise en scène aussi robuste.

Or, on le sait depuis ses débuts derrière la caméra, la mise en scène est précisément le point faible de Nolan. Et pour cause : il la considère secondaire par-rapport au scénario et au montage, qu’elle se contente d’illustrer le plus souvent. Notons toutefois la remarquable exception de Dunkerque: pour la seule fois de sa carrière, Nolan accepte de placer au même niveau mise en scène, montage et mixage sonore. En résulte son œuvre la plus sensorielle au milieu d’une filmographie des plus cérébrales. Mais après cette surprenante parenthèse, l’auteur renoue pour Tenet avec ses vieux démons. La mise en scène y est au mieux platement illustrative de ce que disent les personnages, au pire illisible et brouillonne. La dernière séquence – une bataille se jouant à la fois dans la temporalité normale et la temporalité inversée – en est un cas d’école : obscure dans ses parties souterraines, découpée à la hache à tel point qu’on ne sait pas ce qu’il se passe à l’écran, démultipliant les points de vue sans qu’on saisisse leurs relations. Comme dans Inception, les seuls moments clairs et lisibles sont les plus spectaculaires, lorsque l’inversion de l’entropie produit ses plus curieux effets ; mais, au milieu du désastre environnant, ils apparaissent alors pour ce qu’ils sont : des performances techniques, des coquilles vides d’émotions.

Revenons encore une fois à Retour vers le futur. Sans faire de Zemeckis un metteur en scène révolutionnaire, on appréciera chez lui le souci constant d’utiliser la mise en scène pour apporter des informations supplémentaires et caractériser des personnages sans recourir au verbiage. Ainsi, toute la passion – et la folie – de Doc pour le temps se comprend dans le génial premier plan de la saga : un plan-séquence en travelling à travers son laboratoire chaotique, encombré d’horloges diverses et variées, toujours au centre du cadre, sonnant toutes un terrible brouhaha à la nouvelle heure. Ici, pas besoin de mots : l’image suffit.

Et pourtant, lorsqu’il fait parler ses héros, Zemeckis sait le faire sans paraître verbeux. Très spontanés, ses dialogues s’enchaînent parfaitement et dosent habilement les saillies comiques, à l’instar de la célèbre réplique qui clôt le premier volet de la trilogie : « Roads ? Where we’re going we don’t need roads ». Au contraire de Tenet, dont les lignes de dialogues ne se répondent pas les unes les autres. Typiques sont les échanges entre le Protagoniste (John David Washington) et son ami Neil (Robert Pattinson) : aux questions du premier, le second répond de manière courte et lapidaire, entraînant un nouveau lot de questions et de réponses qui n’en sont pas… au grand désarroi du spectateur.

En définitive, Tenet n’est pas la catastrophe industrielle qu’on pouvait croire. Dans les mains d’un·e tout·e autre réalisateur·ice, un tel scénario aurait même été passable. Mais le problème tient au fait que c’est Nolan aux commandes ; et que, si l’on considère la réussite comme l’adéquation entre les ambitions et les moyens, alors il faut bien estimer Tenet raté. Un ratage arrive même aux meilleurs. L’essentiel, cependant, est d’en tirer des leçons pour éviter d’en reproduire les erreurs.

Tenet. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Tenet, Christopher Nolan, 2020, 2h30

Maxime

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