Laisse folie courir, de Gerda Cadostin (éd. Mémoire d'encrier)

« Temps allé. Temps n’est pas retourné. » C’est vers ce temps passé qu’elle se tourne pourtant, celle qu’on nomme Gerda à Paris, celle qui est Gertrude, Grann Gette pour les siens. Et ce livre raconte l’histoire de la famille. L’histoire des enfants haïtiens qui naissent sans père ou de pères invisibles. Mis au monde, élevés par des femmes, enfants de femmes et de femmes. C’est Sang Cochon qui raconte la terre de Guérot, un secteur de Petite-Rivière-de-l’Artibonite. Et la terre et les gens. Sang Cochon l’ancêtre qui dit avoir vu les Polonais se lier aux esclaves contre Napoléon et qui raconte les jumelles Joséphine et Aline qui ne voulaient qu’un homme pour elles deux et dormir sans lui dans le même lit. Et « au devant-jour » se donner le plaisir avec l’homme, Raphaël Cadostin. Ce sont des gens qui vivent loin de la ville, de Saint-Marc, mais les enfants des jumelles, Vierge et Viergira, vont quitter Guérot, ce sont des haïtiennes : « elles gardent espoir, même si c’est perdu d’avance. Peut-être. Qui sait. » C’est tout un pays, c’est plus de deux siècles, les Esprits, la diaspora, le monde oui. Et des plats à manger, à partager en toutes occasions. Et de la pauvreté et de l’espoir encore. « Signe de croix. Les-Saints-les-Anges-les-Invisibles ». Et « peur de chaque vie qui devra mourir ». De la terre où on marche pieds nus jusqu’à Port-au-Prince où un professeur, nommé Franck Etienne, pousse Gette à passer le baccalauréat… Et puis c’est ce livre, une écriture qui vous emporte, faite de noms, de prénoms, de sobriquets, où les vieux sont « os-font-mal », où les articles ne sont que là où ils sont nécessaires, où les « légimes » ont toutes sortes de noms qui donnent faim. Où la vie est rude et où les femmes de cette famille tiennent bon.