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Terminal à conteneurs : Quand le Pad fabrique des milliards virtuels

Publié le 18 février 2021 par Tonton @supprimez

Alors que la place de Douala se meurt, son Dg brandit des résultats d’exploitation astronomiques et totalement faux. Cyrus Ngo’o, empêtré dans un faramineux marché de clôture d’enceinte, plus que jamais dans l’étau des prestataires mécontents, dont beaucoup préfèrent désormais se diriger vers Kribi.

Comment ont-ils fait ? Dans des écrits amplement diffusés depuis le début de la semaine sur les réseaux sociaux, des spécialistes de la manipulation ont entrepris de magnifier les «performances économiques et financières» du Port autonome de Douala (Pad), à travers la Régie de son terminal à conteneurs (Rtc). L’on y apprend qu’en un an de mise en service, malgré un contexte économique morose dû à la pandémie du Covid-19 et la fermeture des frontières terrestres et maritimes du Cameroun, ladite Régie a terminé l’année 2020 avec «49 milliards 885 millions de FCfa de recettes, contre 48 milliards 458 milliards enregistrés par Bolloré/Apmt avec Dit en 2019».
«Avec l’ouverture de l’exercice budgétaire 2021, insiste la note de propagande, qui comme on peut l’imaginer a été rédigée par des sherpas de la maison, la période de reprise post-Covid et l’attractivité de notre pays qui attire des investisseurs, les prévisions annoncées et vérifiées sont affolantes tant les chiffres sont en hausse ; avant la fin du premier trimestre 2021, les recettes dépassent de 25% celles de l’année dernière dans la même période, le nombre d’usagers a tellement explosé que le Pad construit, déjà dans ses projections, une extension du Pad du côté de Mouanko et de Manoka.»
Et d’évoquer une aubaine, pour le désenclavement de ces zones à travers la création d’emplois directs et indirects, les recettes fiscales et douanières qui vont augmenter et la fiscalité locale de ces deux arrondissements qui va fleurir. Le clou de la duperie, comme de bien entendu, présente le directeur général du Pad et président du conseil de gestion de la Rtc, Cyrus Ngo’o, comme faisant partie de ces «hommes amoureux de leur pays qui servent et non qui se servent».

Sinistre économique

Sauf que cette ronflante publicité cache un vrai drame, sur cette place portuaire. Le 9 février, par exemple, l’armateur Maerks a adressé un communiqué sans équivoque à l’intention de ses clients. Informant de la congestion du terminal à conteneurs de Douala, il invite ceux-ci à «prendre toutes les dispositions nécessaires avec les transporteurs affrétés pour l’enlèvement de [leur]s conteneurs pleins à Kribi, pour assurer le retour de ces derniers au terminal de Kribi». Et ce déroutage des transporteurs vers le nouveau port en eau profonde est effectif depuis lors.
Dans la panique, Cyrus Ngo’o et sa bande ont tôt fait de qualifier le document de «fake». Toute chose qui fait sourire les usagers interrogés qui parlent de «feymania» et de «grosse escroquerie», s’agissant de la réalité de l’exploitation de la principale porte d’entrée des marchandises au Cameroun, par ailleurs grand ravitailleur de la République centrafricaine et du Tchad. Et ça se passe ainsi depuis que le Pad, au forceps et croyant s’arroger la vache à lait, a décidé de prendre en main l’exploitation du terminal.
Ce que la bande à Cyrus Ngo’o ne dit pas, c’est que la situation sur place est tout simplement catastrophique et ce sont les clients qui en parlent le mieux. Ainsi que chacun peut le vérifier pourvu qu’il ait les possibilités d’y accéder, le terminal du Pad est actuellement dans un état d’engorgement chronique.
Depuis janvier 2020 et la grossière éviction du consortium franco-danois Bolloré-Maerks (Apmt), qui y exerçait depuis juin 2004 à travers sa filiale Douala International Terminal (Dit), les trois-quarts du matériel réquisitionné dans la brutalité est tombé en panne. Il est sans pièces de rechange et laissé à l’abandon. Il en est de même des portiques de levage, dont un seul sur les trois installés reste en activité. Il est également loisible, pour ceux ayant leurs habitudes sur place, de constater que seulement quatre des dix-huit ReachStacker, ces énormes chariots de manutention de conteneurs sur roues, sont encore un tant soit peu mobilisables. Comment, dans ces conditions, la Régie du Pad a-t-elle pu parvenir aux «performances » qu’on lui prête ?

Til met la pression

Tentant constamment de bluffer l’opinion nationale, Cyrus Ngo’o n’en est pas moins sous la forte pression de deux opérateurs internationaux, furieux de voir leurs affaires prendre de l’eau. En début décembre 2020, c’est le directeur général de l’italo-suisse Terminal Investment Limited (Til), Ammar Kanaan, s’est plaint par écrit du retard accusé pour la validité de son offre, dans le cadre de la concession pour l’exploitation du terminal à conteneurs. La justice camerounaise, rappelle-t-on, pour cause d’«irrégularités», avait annulé ladite concession que lui avait illégalement octroyée le Pad au détriment Dit. La Rtc, à laquelle l’exploitation avait été concédée pour un an, continue aujourd’hui – bien qu’au rabais – de s’activer autour des quais du Wouri.
Selon les termes du courrier d’Ammar Kanaan, des tractations entre Til et le Pad s’étaient poursuivies en coulisses, le premier cité ayant par ailleurs repoussé la validité de son offre d’exploitation du terminal au 31 décembre 2010. Toujours est-il que le processus d’attribution de ladite prestation dépend de la décision de la Cour suprême du Cameroun, saisie par Dit pour avoir été écarté «illégalement» du processus de réattribution de la concession, mais dont le pourvoi introduit par le Pad n’a pas encore été vidé à ce jour. Bon prince, Til a décidé, dans leurs arrangements de couloirs, de proroger de nouveau son offre jusqu’en fin décembre prochain. Sur le ton du chantage, il dit également son souhait de signer la convention y relative «dans les plus brefs délais», afin de débuter l’exploitation du terminal.
La conclusion de la correspondance d’Ammar Kanaan à Cyrus Ngo’o est aigre-douce : «Cette situation qui perdure n’est pas sans porter un préjudice financier à notre groupe et bloque l’opportunité pour le Cameroun de développer un grand projet structurant et de modernisation nécessaire à son économie.» ON dirait une odeur de deal secret qui tourne mal…

Chantage dénoncé

Dans le même ordre d’idées, en novembre 2020, Boluda France, filiale du conglomérat espagnol Boluda Corporation Maritima, a adressé un courrier pimenté au Dg du Pad. Désigné «adjudicataire provisoire» du contrat pour les services de remorquage au Pad, cet autre opérateur s’interroge au sujet d’une proposition de Cyrus Ngo’o portant «réajustement du modèle financier de l’adjudicataire provisoire, pour atteindre une rentabilité de la concession satisfaisante pour tous les actionnaires».

Boluda France affirme être sous le coup d’un chantage, Cyrus Ngo’o menaçant de lui retirer le contrat parce que disposant d’une offre concurrente à moindres coûts pour l’achat des mêmes remorqueurs dans un même chantier naval que ceux du 2ème opérateur mondial en matière de remorquage, etc. Et le prestataire de souligner, pour le déplorer, «la remise en cause constante de son intégrité tout au long du processus de négociations, et notamment les références faites au sujet des chiffres et des comptes de ces 15 dernières années».

Constamment harcelé, Boluda France qualifie d’«inacceptables et même injurieuses», toutes les accusations sur son compte n’ayant cessé de transparaître tout au long des négociations, «semant le doute sur son intégrité». Il rappelle avoir déposé, en septembre 2020, un modèle financier conforme au règlement de la consultation, accepté par la commission de dépouillement et que Cyrus Ngo’o veut lui faire modifier artificiellement. Face à la menace de résiliation abusive de son contrat, l’opérateur «se réserve de ce fait, tous les droits». Comme avec Apmt, le Pad voit lui pendre au nez un autre gros scandale que pourraient avoir à connaître les cours et tribunaux internationaux en matière commerciale.

Cédric Mbida, INFO MATIN


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