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Les bons alexandrins de Santé Publique France

Publié le 24 mars 2021 par Sylvainrakotoarison

" L'épidémie s'emballe, les chiffres explosent. (...) Si on ne freine pas l'épidémie tout de suite, c'est l'hôpital qui risque de craquer. (...) D'ici quinze jours à trois semaines, les hôpitaux vont se prendre une vague d'une violence inouïe. " (Frédéric Valletoux, le 23 mars 2021 sur LCI).
Les bons alexandrins de Santé Publique France
Frédéric Valletoux sait de quoi il parlait. Il est le maire de Fontainebleau depuis le 16 octobre 2005 et le président de la Fédération hospitalière de France depuis septembre 2011. En déplacement à Valenciennes, le Président de la République Emmanuel Macron a dit la même chose ce mardi 23 mars 2021 : " Les prochaines semaines seront dures sur le plan du virus et sur le plan hospitalier. ".
Il était temps (ce 22 mars 2021) que le gouvernement lâchât la fièvre technocratique et proposât un slogan simple pour faire respecter les "bons" comportements sociaux en temps de pandémie de covid-19. Certes, on ne dira jamais assez que le bon sens devrait suffire à savoir quels gestes sont pertinents ou pas pour éviter de propager le virus, un peu comme pour le code de la route (mettre sa ceinture, rouler à allure modérée, ne pas boire d'alcool, ne pas utiliser son smartphone au volant, etc.), mais malheureusement, le "bon sens" n'est peut-être pas ce qui est le mieux partagé dans notre société, surtout en matière de pandémie.
Au bout d'un an, il paraît donc judicieux de rappeler quelques fondamentaux, et aussi de les mettre à jour (notamment avec les variants) ou de rajouter ce qui avait été oublié (par exemple, on a dit très tardivement, seulement en décembre 2020, qu'il fallait aérer souvent les logements, cela allait sans dire, mais c'était quand mieux en le disant).
Alors, au-delà des différents gestes à faire ou à ne pas faire (il y a eu du progrès par rapport à février 2020, plus personne ne serre les mains, n'embrasse ses interlocutrices, etc., ce qui est désolant d'un point de vue social et affectif, mais plus que salutaire d'un point de vue sanitaire), il était pertinent de faire des piqûres de rappel en temps de covid, et surtout, de trouver un slogan qui se mémorise facilement et qui puisse se répéter sans arrêt, être repris par les enfants, par les adultes, etc. On a déjà eu des slogans du même genre, qui ne sont pas forcément très précis mais qui permettent d'insister là où il faut, comme "Mangez cinq fruits et légumes !" ou encore la lutte contre l'alcoolisme (une campagne en cours à la télévision) avec, dans le passé, des slogans comme "Un verre ça va, trois verres, bonjour les dégâts !" et "Boire ou conduire, il faut choisir !".
Ce slogan est un joli alexandrin : " Dedans avec les miens, dehors en citoyen". Cela dit à peu près tout sur les comportements chez soi et à l'extérieur. Chez soi, aérer souvent, y rester après 19 heures (pour le couvre-feu), et même dans la journée avec le télétravail, et le plus important : ne pas inviter des amis chez soi, ni se rendre chez les autres.
Je m'arrête sur le télétravail que le gouvernement ne peut pas rendre obligatoire. Au-delà de l'aspect juridique et constitutionnel (sur la liberté d'entreprendre), il y a une double impossibilité : l'État ne peut pas savoir précisément les activités qui peuvent être en télétravail et celles qui ne peuvent pas, et même s'il le savait, il ne pourrait jamais faire appliquer une telle obligation par manque de bataillons d'inspecteurs du travail.
C'est donc typiquement une recommandation aux chefs d'entreprise avec une forte pression pour leur responsabilisation (rappelons que le chef d'entreprise est responsable de mettre tout en œuvre pour protéger ses employés dans l'exercice de leurs fonctions). En France, depuis une vingtaine d'années, il y a un double frein au télétravail. Du côté de l'employeur, on craint que, hors du lieu de travail, l'employé ne travaille pas (mais le bilan du premier confinement a montré qu'au contraire, la productivité avait augmenté en télétravail). Du côté des employés, des syndicats freinent également car demandent des garanties, des indemnités supplémentaires (pour l'occupation du bureau dans le logement, l'éventuelle mise aux normes électriques, l'abonnement téléphonique ou Internet, etc.).
À l'extérieur, contrairement aux deux précédents confinements, ce " confinement-sans-le-dire" encourage plutôt la sortie dehors, car il y a moins de risque de contamination en plein air qu'en endroit clos, si bien qu'il n'y a plus de limite de durée pour les promenades, sports, sorties du chien, etc., seulement une limite de distance (10 kilomètres en principe, et pour des cas exceptionnels, à justifier, 30 kilomètres avec attestation).
Les bons alexandrins de Santé Publique France
Mais cela n'empêche pas les gestes barrières à l'extérieur, en particulier conserver la distanciation physique, se laver les mains très souvent, porter le masque (porter le masque partout est peut-être sans intérêt lorsqu'on est seul en forêt, mais la recommandation a le mérite d'être simple, car par exemple, aux entrées et sorties des écoles, dans des rues très fréquentées, le port du masque à l'extérieur est indispensable), aussi ne pas manger, boire, fumer quand on est avec d'autres que des personnes de son foyer. Enfin, ne pas franchir les limites de son département, sauf aux frontières (30 kilomètres du domicile). Pour la région parisienne, cela signifie que plusieurs départements peuvent être en principe parcourus le cas échéant.
La mesure principale dans l'établissement d'un confinement, c'est l'attestation. Remplir une attestation à chaque déplacement, bien qu'autovalidée, oblige à une prise de conscience qu'à chaque sortie de chez soi, on peut être un facteur de propagation du virus d'une manière ou d'une autre. C'est amusant que le slogan soit un alexandrin car l'appellation même de l'attestation en est aussi un (beaucoup moins joli) : " attestation de déplacement dérogatoire".
Une autre recommandation est d'utiliser les outils numériques, c'est-à-dire de télécharger l'application TousAntiCovid. L'idée est assez simple et connue : grâce à la géolocalisation, votre smartphone est capable de repérer qui a été à côté de vous à l'extérieur, et si l'une de ces personnes a été testée positive au covid-19 par la suite (et qu'elle l'a déclaré dans l'application), alors un message vous est envoyé pour dire que vous êtes un cas contact. Notez bien que si l'information peut être consultable par les opérateurs (et probablement par la justice en cas de mandat), vous-même qui recevez ce genre de message êtes incapable de savoir où, quand (exactement) ni évidemment qui a été proche de vous.
Être cas contact oblige : se faire tester tout de suite et dans cinq à sept jours (les tests peuvent être rapides, cela ne pose plus beaucoup de problème maintenant), mais aussi, s'isoler pendant maintenant dix jours (au moins une semaine) jusqu'à se savoir covid négatif lors du second test. L'idée est intéressante mais la pratique technique est tout autre : l'application ne distingue pas s'il y a ou pas des cloisons entre la personne testée positive et vous, que ce soient des murs ou des planchers/plafonds. Si bien qu'imposer un isolement long qui peut désorganiser une vie professionnelle (et affective), n'a pas de sens si on ne sait pas où s'est produit le croisement (dans un immeuble de bureaux à dizaines d'étages, la géolocalisation ne sait pas faire la différence avec les étages).
Mais le slogan alexandrin sera-t-il longtemps d'actualité ? Ce n'est pas certain car à part, justement, une responsabilisation accrue de nous tous, ce troisième confinement n'apporte pas beaucoup de mesures réellement efficaces pour réduire la circulation du virus. Malheureusement, on comprend que les radars automatiques ont toujours été plus efficaces que les slogans en matière de sécurité routière (le bâton du policier est plus efficace que la carotte de la santé préservée). Rien n'exclut donc qu'à court terme, un confinement beaucoup plus strict, de type premier confinement, soit finalement décidé pour enrayer une bonne fois pour toute cette épidémie, j'écris "une bonne fois pour toute" car la perspective d'une vaccination massive de toute la population peut rendre optimiste.
Actuellement, le rythme, hélas, s'accélère dans les hôpitaux. La semaine dernière, il y a eu entre 30 000 et 38 000 nouveaux cas détectés chaque jour. Si, ce mardi 23 mars 2021, il n'y a eu "que" 14 678 nouveaux cas de covid-19 détectés (chiffre anormalement bas pour un mardi), il faut déplorer 2 286 nouvelles hospitalisations et 488 nouvelles admissions en réanimation (soit 26 756 personnes actuellement hospitalisées pour cause de covid-10, dont 4 634 en réanimation). Cela fait une personne admise en réanimation toutes les 3 minutes ! Hélas, comme l'ont déclaré Frédéric Valletoux et Emmanuel Macron (voir le début de l'article), dans deux à trois semaines, la situation dans les hôpitaux sera encore plus tendue, puisqu'il faut un temps de développement de la maladie (le pic de novembre 2020 en réanimation sera hélas probablement atteint).
Et c'est là que l'intervention du Ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran, lors de la conférence de presse du 18 mars 2021 à Matignon, prenait du sens : sur recommandation des personnels soignants rencontrés à l'hôpital de Poissy, Olivier Véran a rappelé les différents stades de la maladie. Je recommande donc d'écouter attentivement la présentation d'Olivier Véran sur la vidéo suivante, à partir de 28 e minute. Non seulement il a parlé des gestes barrières, de tester, tracer, isoler, mais il a parlé aussi des traitements des malades à l'hôpital.


J'ai eu l'occasion de faire l'expérience, moi-même, et certains de mes proches, que ces informations de base, pourtant sans cesse répétées dans les médias depuis plus d'un an, ne sont, pour certaines personnes, pas encore bien assimilées, même dans des professions dites intellectuelles et CSP++. Car elles ne sont pas "intuitives".
On le voit même parmi les journalistes. Par exemple, la Ministre de la Culture Roselyne Bachelot a annoncé qu'elle a été testée positive le 20 mars 2021. Je lui souhaite un prompt rétablissement. Or la Ministre de l'Industrie vient de dire le 23 mars 2021 (probablement pour répondre à une question) : elle va bien. C'est rassurant mais cela ne signifie rien : la réalité, c'est qu'il existe une période charnière, cruciale, dans l'avancement de cette saloperie, qui est vers sept à dix jours du début de la maladie (début qui peut avoir lieu avant le test positif).
En effet, la forme sévère se déclenche avec ce retard, ce qui explique pourquoi il y a un décalage entre les courbes des nouveaux cas et des nouvelles hospitalisations. La réanimation peut venir par la suite (encore une ou deux semaines de décalage, mais cela peut intervenir dès le début de l'hospitalisation), et le décès, le cas échéant, peut intervenir beaucoup plus tard, après quatre semaines d'hospitalisation. La poisse de la situation actuelle, à cause d'un double effet à préciser ou à confirmer (variant anglais et vaccination des personnes âgées), c'est que l'âge moyen des personnes admises en réanimation est plus faible, et heureusement, ces personnes sont plus solides, résistent mieux, mais par voie de conséquence, la durée moyenne d'un séjour en réanimation s'est allongée (environ de quatre à six semaines), ce qui renforce la tension hospitalière.
L'autre point important, au-delà du fait qu'on peut être covid-19 positif et asymptomatique, c'est qu'il faut cinq à sept jours (voire dix pour le variant anglais ?) entre le moment où l'on attrape le virus et le moment où l'on devient positif. Cela signifie que lorsque le patron du Tour de France a été positif le 8 septembre 2020, après une rencontre avec Jean Castex le 5 septembre 2020 pendant deux heures dans une voiture, c'était inutile, pour Jean Castex, de se faire tester le jour même ou le lendemain, il faut attendre au moins cinq à sept jours après la rencontre (et s'isoler entre-temps).
Cet aspect très surprenant de la cinétique du virus peut expliquer l'explosion du mois de mars 2020. C'est étrange qu'aujourd'hui encore, des personnes testées positives, en regardant leur emploi du temps passé, pensent avoir été contaminées un ou deux jours avant d'être malades, l'origine de la contamination remonte forcément à plus loin.
Comme la radioactivité, un virus est difficile à cerner avec le "bon sens", il peut inquiéter parce qu'on ne le voit pas, sujet à toutes les peurs imaginaires, mais il ne faut pas le négliger pour autant parce qu'il a déjà tué près de 2,75 millions de personnes dans le monde malgré les nombreuses mesures de restriction sanitaire partout sur la planète. Personne, en quelques heures, ne peut s'improviser en virologue, épidémiologiste ni infectiologue, mais tout le monde peut prendre connaissance des gestes qu'il convient de faire ou pas faire pour en finir avec ce cauchemar qui a duré déjà une quinzaine de mois. C'est cela, être citoyen. Citoyen responsable et solidaire.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 mars 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les bons alexandrins de Santé Publique France.
Dedans avec les miens, dehors en citoyen (comportements en temps de covid-19).
Mesures renforcées, confinement et confusion.
Les nouvelles attestations de déplacement à partir du 20 mars 2021 (à télécharger).
Conférence de presse du Premier Ministre Jean Castex le 18 mars 2021 à Paris (texte intégral).
Alors, confinement ou pas confinement ?
Gilbert Deray.
Covid-19 : un an après, toujours le cauchemar ?
Covid-19 : le mot interdit.
Les jeunes, génération sacrifiée ?

Les bons alexandrins de Santé Publique France

https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20210322-covid-cx.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2021/03/23/38881248.html


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