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La culture du doute

Par Editioncompagnie

Très largement inspiré par une relecture sur l’Ethique IV de Spinoza, et de Frédéric Lordon, La société des affects : pour un structuralisme des passions, Paris, Seuil, 2013

Affect, définition

  • Affect : est un état de l’esprit tel qu’une sensation, une émotion, un sentiment, une humeur (au sens technique d’état moral : déprimeoptimismeanxiété…). Tout état de ce type a un aspect bon ou mauvais (jugement) et ainsi nous influence ou nous motive. Il varie également en force, c’est-à-dire son incidence sur notre motivation à agir ou réagir, et donc sur la conation (effort, volonté). Ces états sont regroupés dans le domaine de l’affectivité, par opposition aux idées abstraites par exemple qui ne sont ressenties ni comme bonnes ni comme mauvaises. 
  • Un affect se manifeste soit comme un changement d’état parfois fort mais temporaire (crise), soit au contraire comme un état stable mais de longue durée (stase). Apparu en 1942 dans la langue française, le mot affect n’a longtemps pas été un mot courant mais devient commun de nos jours dans les médias, par américanisme. 
  • L’affectivité est un ensemble de phénomènes psychiques qui influencent à la fois l’état propre de l’esprit, l’attitude, la vision du monde, la pensée, et le comportement dans le monde. 

Source : Wikipédia.

Un créateur est une personne qui doute, qui remet en cause et se crée au fur et à mesure de son travail des « certitudes ». Un créateur n’accepte pas le monde tel qu’il est, ce qui le pousse à inventer, proposer.

De la définition « d’Affect à Valeur ».

La valeur s’opère par les affects. Il n’y a pas de valeur à n’importe quelle chose ou produit s’il n’y a pas de désir.

L’affect c’est le désir, c’est à dire la valeur.

Il ne faut pas chercher la valeur dans les caractéristiques intrinsèque de l’objet, ni dans ses propriétés substantielles. La chose n’a aucune valeur en soi. 

La valeur advient toujours du dehors nous dit Spinoza et le processus de valorisation s’opère par les affects.

L’affect commun est le produit d’une certaine composition d’affects individuels. Une composition qui les homogénéise, qui les intensifie, leur donnant une portée affective macroscopique.

A l’échelle sociale comme à l’échelle individuelle, l’effet de valeur est donc inobjective, elle est le résultat d’une adhésion collective, de l’action de la multitude. L’investissement de certains objets par des affects communs les valorise en bien ou en mal, en beau en laid, en juste ou en injuste…etc.

Alors comment s’opèrent ces processus de valorisation ?

Par les affects, car l’affect est l’opérateur de la valorisation nous suggère Spinoza et Frédéric Lordon.

Il n’y est pas question de psychologisme personnel, mais d’affect collectif. On passe de l’individu au collectif. Il s’agit de valorisation sociale, c’est à dire de la valeur socialement établie, reconnue.

Les Hommes valorisent collectivement des phénomènes qui font signe, favorable ou adverse, comme en politique.

Dans un affect commun, c’est la puissance de la multitude qui se manifeste. C’est donc un rapport d’échelle pour que la portée de la multitude permette de pouvoir produire un affect commun.

Il n’y a jamais d’affect commun au singulier. La multitude est fractionnée en affects communs partiels ou régionaux, parfois antagonistes, avec des conflits d’adhésion, de valorisation.

Comment se forment les affects communs partiels, éventuellement antagonistes qui produisent des valorisations différentes, et qu’est ce qui détermine l’issue de ces confrontations et de ces conflits de valorisations ?

« Une des réponses est de considérer que ce sont les gros bataillons qui l’emportent sur les petits, ou les bataillons les mieux armés qui l’emportent sur les autres » Frédéric Lordon.

Spinoza écrit dans l’Ethique IV: « un affect ne peut être ni réprimé ni supprimé si ce n’est par un affect contraire et plus fort que l’affect à réprimer».

La puissance de cette affirmation nous conduit à la synthétiser en 5 points :

1 –  la valeur n’a rien d’intrinsèque aux choses,

2 –  la valeur advient toujours du dehors,

3 –  d’un dehors social dont la nature est affective,

4 –  autour de chaque chose, il y a des affrontements de valorisation, par affrontements d’affects communs partiels interposés,

5 –  ces affrontements sont médiatisés par des structures, par des milieux institutionnels, c’est à dire par des formations d’affects communs pré-constitués.

Sur le point 5, exemple dans le milieu de l’art.

Les musées et les galeries d’art sont des formes institutionnelles cristallisant des affects communs stabilisés, préformés.

Telle est la nature même du capital symbolique. Le capital symbolique c’est le fait d’avoir concentré sur soi un affect commun qui par là rend constitutif « la puissance ».

Le détenteur de capital symbolique a été valorisé et par transitivité il devient valorisant, il peut opérer des valorisations. C’est par ce qu’il a été antérieurement reconnu qu’il peut ultérieurement produire des opérations de reconnaissance.

Pour illustration du « capital symbolique », le galeriste Gagossian.

Si Gagossian peut par son seul jugement valoriser une œuvre, c’est parce que sa parole a été préalablement valorisée, et c’est d’avoir été valorisé qui la rend valorisatrice.  La légende dit que s’il s’arrête une seconde devant une œuvre à la Fiac, un zéro de plus s’affiche instantanément sur le prix d’une œuvre.

Deux secondes…  probablement deux zéros.

Un ‘agent’ est socialement puissant que parce qu’il a déjà hérité d’une puissance sociale. En d’autres termes, il a été le réceptacle d’un affect commun, et il a capacité par la suite de pouvoir produire d’autres affects communs. C’est la définition de la puissance sociale chez Spinoza.

« Les gros bataillons » sont donc ceux qui ont réussi à mettre l’affect commun de leur côté, autrement dit le pouvoir.

Signez un billet de 1 $, et demandez à Damien Hirst de faire la même chose, pour les plus anciens, on aurait pu mentionner Andy Warhol.

Les phénomènes sociaux : religion, morale, droit, économie, esthétique ne sont autre chose que des systèmes de valeur.

Il y a des luttes de valeur. Donc des luttes d’influences, des réseaux de valorisations, des arrières plans sociaux fabricant des cotes, l’art étant un exemple patent.

Ce sont des mécanismes sociaux de production de la valeur, certains sont très visibles (achats des artistes peintres chinois par les musées chinois fabricants des cotes très fortes  en 2 ans), d’autres moins, ou moins visibles. Mais le résultat est le même, la valeur n’est liée qu’à l’affect commun produit par des mécanismes sociaux de production de la valeur.

Comme il n’y a rien derrière la valeur d’un affect commun si la structure sociale de l’affect commun s’effondre, alors la valeur s’effondre du même coup. Si le support tombe, la chose supportée tombe avec ! 

L’erreur ou la naïveté, c’est de croire que la chose peut tenir en l’air d’elle même, effet hélium, par ses propres moyens, beaucoup oublient la gravité.

De l’art à l’économie.

La valeur esthétique, chose bien admise, c’est affaire de goût, d’opinion, c’est le domaine de l’intersubjectivité, de l’instabilité, des fluctuations incompréhensibles, là où la valeur économique, elle, est créditée d’être substantiellement fondée et objective. 

Or l’économisation de la valeur artistique procède de l’idée que la valeur esthétique va s’exprimer sous la forme de la valeur économique. 

L’art contemporain (l’art comptant pour rien s’amuse à dire Franck Lepage) montre tout le contraire. La valeur esthétique est question d’affect : valeur croyance, opinion, effet valorisateur. Les valeurs monétaires ne sont pas distinctes du phénomène de la valeur esthétique. Et la valeur de l’économie n’échappe pas à l’ordre commun de la valeur.

Ce que l’on croit objectivement fondé, parce que numéraire notamment, ou forme quantitative monétaire, n’est que l’expression nombrée d’une composition de jugements d’opinions et de croyances, c’est à dire d’une composition d’affects collectifs.

L’économie n’a pas le statut d’une science galiléenne, elle n’échappe pas aux autres phénomènes sociaux. Les rapports économiques n’échappent en rien à l’empire de l’opinion et de la croyance. La croyance est à définir comme un affect. Il n’y a pas en économie de valeur fondamentale! 

De l’exemple de l’art à l’économie autour des affects.

Qu’est qu’une bulle ?

Une bulle économique est soutenue par une croyance collective.

A l’inverse, qu’est ce qu’un krack (boursier) ?

C’est le renversement brutal dans la croyance collective.

Ces phénomènes montrent qu’il n’existe pas une valeur fondamentale (un prix), au moins une valeur numéraire minimale permettant d’au moins fixer un seuil. Les agents économiques sont bien incapables de donner ce chiffre, si bien que la panique générant la panique, l’approche du zéro les fait tomber, c’est historique et fâcheusement actuel.

Les banques qui détiennent des actifs dits pourris liées à la titrisation des crédits hypothécaires appelés subprimes ou autres sont incapables de présenter un chiffre dans leur bilan (je pourrais ajouter les crédits étudiants). Certaines banques qui détiennent dans leurs capitaux 15% (et souvent plus)  de ces titres sont donc certainement en grand danger (Deutsh Bank). Et nous avec !

Bale III n’a de règles que pour ceux qui dansent quand le paquebot croise un iceberg. Rien n’a changé depuis 2007.

Conclusion

Combien ça vaut ? Pas de réponse.

Alors qu’en on ne sait pas ça – que l’on fait passer l’économie d’un état de science sociale à une revendication de science dite ‘dure’ – on va se coucher ou on fait autre chose.

Quand une science sociale (combat d’universités notamment – luttant avec si peu de défenses et des crédits rabotés) se prend pour une science galiléenne, et que des médias mainstream les auréolent d’un statut d’expert, on peut plus que douter de leur qualité d’expert. 

La parole de ces « experts »  est à prendre à mon sens avec autant de sérieux qu’une lecture d’horoscope, c’est à dire avec un degré zéro de confiance sur les capacités analytiques et de prévisions. Les exemples récents sont nombreux : sécheresses sur les cultures en Biélorussie, conflits armés, coups d’état, Covid… Si peu de prospective. je m’arrête.

A Madame Soleil, on ne manquerait pas de lui dire qu’elle s’est trompée, à tous les éditocrates experts économiques sous titrés prof à l’université truc machin mais surtout membre de la banque bidule ou conseil d’administration truc muche (non sous-titrée dans les médias en France), nous serions en droit de leur demander des comptes sur leur permanente cécité, et surtout qu’ils puissent revendiquer la culture du doute, il n’y a pas pourtant de honte à dire « je ne sais pas ».

Leurs ronds de serviettes sont toujours sur les tables des plateaux médiatiques.

Des tartes à la crème se perdent.

Ce que l’on appelle économie est bien une science sociale, et revendiquons-le, et n’ayons pas peur du doute, comme le quotidien des créateurs !

29 mars 2021


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