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Psychogeographie indoor (107)

Publié le 03 avril 2021 par Novland
Psychogeographie indoor (107)









« Indiquer les désastres produits par le changement des mœurs est la seule mission des livres » (Honoré de Balzac)

1.

14 décembre 2020.- Hausse des températures extérieures (12°C).John Le Carré est mort... et il n' est pas mort tout seul, son monde est mort avec lui, Georges Smiley aussi peut-être, certainement allez savoir ! Comme à chaque fois tout cela est bien triste.

Vous allez me regarder de biais, mais aujourd'hui, j'ai entamé une chose plus ou moins biographique de Régis Debray (D'un siècle l'autre). Étonnement le bonhomme m’intéresse, je suis intrigué par son côté blouse/moustache, pour moi c'est une sorte de paraphilie littéraire.

15 décembre 2020.- Humidité un peu douce, mais on s'en fiche (13°C). Lu la plaidoirie de Richard Malka dans le procès que vous savez. Rien à ajouter, elle est parfaite. Sinon et pour le reste, je m'ennuie un peu chez Dantzig et Debray.

16 décembre 2020.- Ciel un peu nuageux (11.3°C). Maussaderie immarcescible, la forme n’est pas optimale. Cependant en picorant dans le Trézeaux d’Henri Thomas (c’est un spicilège poétique) je suis tombé sur ces deux lignes qui auront fait ma journée :

Je suis de ceux qui n’auront trouvé que des tas de bois
Le long de leur route avant l’aube sur le bas-côté.

17 décembre 2020.- Averses éparses (9°C). Entre le sourire d'Edwy Plenel et le sourire de Richard Malka, j'ai choisi mon sourire.

18 décembre 2020.- Nuages (13°C). L’île Saint Louis, le 9 décembre 1927, la nuit vient de tomber trop tôt et Charles Du Bos éprouve un sentiment curieux et insistant d’absence, il sait qu’il lui sera impossible de ne rien faire de façon autre que mécanique. C’est pourquoi il cesse toute activité sur le champ afin de clarifier tout cela, et comme à l’ordinaire, à l’aide de son Journal, cette « météorologie intime » qu’il dicte quotidiennement à sa secrétaire, Mademoiselle Vaison. (Pour ce qui me concerne, je n’habite pas l’ île Saint Louis, je n’ai pas de secrétaire à portée d’épanchement diaristique, mais sachez tout de même que ce soir j’éprouve, moi aussi, un sentiment curieux et insistant d’absence) :

« Je commençai à la main la rédaction du Journal et dès que je voulus aborder le récit des faits et l'analyse détaillée des états du sentiment, je constatai — à un degré que je n'avais jamais connu — que ma main maintenant ne peut plus suivre ma pensée. Dans la dictée j'ai l'impression dont je ne nie pas qu'elle comporte une part d'illusion, mais souverainement bienfaisante, que l'élément polyphonique s'inscrit avec aisance, avec luxe, que tout moi-même dans la dictée passe et s'exprime. Ceci provient surtout de ce que l'émission sonore tout ensemble m'oriente et me soutient, tout ensemble, porte, féconde et multiplie ce jaillissement tout spontané qui est l'âme même de mon Journal »

19 décembre 2020.- Ciel gris bleu (14°C). En voulant faire un peu le malin je pourrais affirmer sans crainte que François Augiéras était un Gide en pire, c’est à dire en mieux. Primitif, maréchaliste rural, méhariste, mystique, panthéiste, qui finira loin du monde dans une grotte périgourdine, mais aussi vaguement zoophile, vraiment pédophile et chérissant la nature jusqu’au point de faire l’amour avec quelques arpents de terre ou quelques arbres qui ne lui avaient rien demandé. Bref, un outsider total. De nos jours on traiterait Augiéras au lithium, on l’enfermerait, dans un asile ou une prison, il ne passerait plus la rampe. Ce serait dommage et du gâchis sur du gâchis . Aujourd’hui j’ai lu L’Apprenti Sorcier l’un des courts récits qui aura participé à échafauder son « mythe littéraire » . C’est un livre au style faussement sage qui raconte des choses qui ne sont pas du tout sages (ou alors d’une autre sagesse). Un adolescent est recueilli par un prêtre un peu tordu qui l’initie aux pratiques sadomasochistes. Par ailleurs, il tombe amoureux d’un garçon de douze ans (et pas que platoniquement), baguenaude dans la nature et éprouve des ivresses pastorales très peu courues. Le tout est très perturbant, peut-être un peu malsain, car visant trop la pureté (évidemment, chacun sait que la pureté est malsaine) et même s' il y a des pages dont on ne sait pas si elles sont sublimes ou ridicules, c’est un livre qui vous titille et ne vous lâche pas.

Autre chose : dans le livre de Régis Debray Louis Althusser est un vu comme un affectueux goguenard, un tendre désabusé, esthète assez je-m’en-foutiste qui « pyschiatriquement » mal soigné aurait étranglé l’une de ses compagnes dans un demi-sommeil. Nous voilà loin du théoricien pur et dur sombrant dans la folie, et je pense que c’est mieux ainsi (et certainement plus juste).

20 décembre 2020.- Pluie, brume et soleil dans la même journée, ce qui ne l’aura pas empêché d’être bien monotone. Il y a parfois un ennui vespéral dans la variation (11°C). Somnolé entre les pérégrinations boliviennes de Debray et le « dicogotiste » de Dantzig. Cependant chez ce dernier, entre deux plongées narcoleptiques, une phrase m’aura fait sourire, c’est déjà ça : « Les correcteurs d’orthographe sont rapide comme Lucky Luke et bêtes comme Averell Dalton ».

21 décembre 2020.- Météo un peu covideuse et tout à fait pluvieuse, solstice d’hiver (10°C). Aimablement tournicoté autour de la robe de chambre du vieux Diderot (Regrets sur ma vieille robe de chambre, formidable petite chose qui ne paie pas de mine). Les inconvénients de la nouveauté, les ravages du luxe : « Pourquoi ne l’avoir pas gardée ? Elle était faite à moi ; j’étais fait à elle. Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner. J’étais pittoresque et beau. L’autre, raide, empesée, me mannequine. Il n’y avait aucun besoin auquel sa complaisance ne se prêtât, car l’indigence est presque toujours officieuse. Un livre était-il couvert de poussière, un de ses pans s’offrait à l’essuyer. L’encre épaissie refusait-elle de couler de ma plume ? Elle présentait le flanc. On y voyait tracés en longues raies noires les fréquents services qu’elle m’avait rendus. Ces longues raies annonçaient le littérateur, l’écrivain, l’homme qui travaille. À présent, j’ai l’air d’un riche fainéant. On ne sait qui je suis. Sous son abri, je ne redoutais ni la maladresse d’un valet, ni la mienne ; ni les éclats du feu ; ni la chute de l’eau. J’étais le maître absolu de ma vieille robe de chambre ; je suis devenu l’esclave de la nouvelle. (…) Ma vieille robe de chambre était une avec les autres guenilles qui m’environnaient. Une chaise de paille ; une table de bois ; une tapisserie de Bergame ; une planche de sapin qui soutenait quelques livres ; quelques estampes enfumées, sans bordure, clouées par les angles sur cette tapisserie ; entre ces estampes, trois ou quatre plâtres suspendus formaient avec ma vieille robe de chambre l’indigence la plus harmonieuse.Tout est désaccordé. Plus d’ensemble, plus d’unité, plus de beauté».

23 décembre 2020.- Le vent se lève (15°C). L’humeur est morose, je ne sautille pas vraiment. Malgré tout petit tour dans les Cahiersde Cioran, un autre type qui ne sautillait pas tout le temps : « Il ne faudrait jamais écrire pour faire un livre, c’est-à-dire qu’il ne faut pas écrire avec l’idée de s’adresser aux autres. Il faut écrire pour soi-même, un point c’est tout. Les autres ne comptent pas. Une pensée ne doit s’adresser qu’à celui qui la conçoit. C’est là la condition indispensable pour que les autres puissent avec fruit se l’assimiler, se la faire leur vraiment. »

26 décembre 2020.- Temps frisquet et plutôt nuageux (4°C). Patrick Leigh Fermor et les retraites monastiques c’est tout de même quelque chose. Dans un temps pour se taire, un livre de voyage pourtant assez bavard, il en raconte plus ou moins trois. L’une chez les bénédictins de l'abbaye de Saint-Wandrille, dans le Pays de Caux, une autre chez les cisterciens de la Grande Trappe, dans l'Orne et enfin la dernière dans un monastère rupestre de Cappadoce où il recherche les origines du monachisme oriental. Comme je n’ai pas tout à fait fini la lecture de l’ensemble, il me reste une petite trentaine de pages à lire, je parlerais surtout de Saint-Wandrille et garderais le reste pour demain (ou jamais). À Saint-Wandrille nous sommes loin de la Grèce de Roumeli et Mani (voir mes livraisons précédentes), de ses popes volubiles, de ses types barbus aux cheveux longs coiffés de tubes noirs qui cassent des noisettes et qui remontent et démontent leurs pistolets tout en chantant des mélopées montagnardes. Non à Saint-Wandrille le moine est tonsuré et sa vie est cadrée par le rythme des offices religieux. Il n’est pas là pour dansotter, il est là pour prier silencieusement, pour rendre service à la communauté, pour aimer le jeun et fuir les délices, pour renoncer entièrement à lui-même et suivre Jésus-Christ. On comprendra aisément que face à tout cela le nouveau cloîtré volontaire Fermor soit un peu tourneboulé. Le voilà plongé dans un univers où la mort semble omniprésente et omnisciente où la solitude est à son comble. Pourtant, la morosité et la déréliction ne durent qu’un temps et Fermor à la longue finit par se faire à cette vie rustique assez éloignée de ses excès citadins habituels. Tout semble différent et d’un autre monde, les pensées, les bruits et lumières, mais aussi le temps lui-même, et lorsqu’il lui faut quitter cet autre monde le choc, en retour, est assez violent : « Si mes premiers jours à l’abbaye avaient été une période de dépression, le processus de désaccoutumance, après mon départ, fut dix fois pire. L’ abbaye avait d’abord été un cimetière ; le monde extérieur sembla ensuite, par contraste, un enfer de bruit et de vulgarité entièrement peuplé de goujats, de catins et de forbans. Cet état d’esprit, je m’en rendais compte, était peut-être aussi excessif que mes premières réactions à la vie monastique ; mais le reconnaître ne contribua aucunement à en atténuer le désagrément. Depuis le train qui me ramenait à Paris, même les publicités pour Byrrh et Cinzano, vues de la fenêtre, emblèmes d’ordinaire si radieux de liberté et de fuite, avaient la portée d’insultes personnelles. Le processus d’adaptation inverse devait recommencer, dans la douleur. »

2.

27 décembre 2020.- Bourrasques tempétueuses (7°C). Voisin guitariste déchaîné et marmaille limitrophe en furie aujourd’hui les conditions lectorales auront été déplorables. Néamoins fini la petite chose monastique de Fermor entamée hier. Elle est très bien, je recommande cette lecture. Court retour dans les Papiers collésde Perros. Portraits émouvants de Jean Grenier, Michel Butor et Raymond Queneau. Sinon toujours un peu dans le pavé de Dantzig qui, au détour d’une longue notule soporifique consacrée à Eschyle, trouve Giraudoux balourd. En l'occurrence, c’est le butane qui se fiche de l’hélium.

28 décembre 2020.- Restes tempétueux (10°C). J'ai beau beaucoup aimer Georges Perros, il n'est pas vraiment là pour me remonter le moral. C'est pourquoi je l'ai un peu laissé de côté ses Papiers colléspour plonger allégrement dans le Bravo, oncle Fred ! de P. G. Wodehouse. Question remontage de moral il n'y a pas mieux que les histoires croquignolettes inventées par l'ami Pelham Grenville. Je pourrais presque aimer vivre dedans, c'est dire.

Rien (ou presque) : En faisant basculer la singularité dans la norme, on la dissout. Or chacun sait qu'un monde sans singularité n'est pas vivable. En somme, nous voilà bien avancés.

29 décembre 2020.- Mostly cloudy sky (7°C). Entre oncles piqués, tantes ravagnardes, neveux bobets et truies replètes, l'élan est assez capricant chez le primesautier Wodehouse. C'est déjà ça.

30 décembre 2020.- Tout est gris (3°C). L’emballement pandémique n’est que vaguement empêché, disons que l’on ne sautille pas trop. Heureusement, reste Valéry (Paul) et le charme des expériences : « C’est l’imprévu, le discontinu, la forme de réel et d’être à laquelle on n’aurait jamais pensé, – qui font le charme et la force de l’observation et des expériences. On croyait contempler ou pressentir les solutions possibles, et il y en a une autre ».

2 janvier 2021.- Bise aigrelette, pluie glacée (3°C). Après les cervicalgies, les lombalgies et les gonalgies, voilà une dorsalgie qui manquait à ma collection de petites douleurs au débotté. C'est une distraction comme une autre, mais je ressemble tout de même assez à un Éric Von Stroheim d’opérette. Le monocle frétille encore, mais la forme est paralympique. Pour compléter ce début d’année en fanfare mon voisin guitariste, celui du dessus, s’est escrimé une grande partie de la journée sur les Fourmis rougesde Michel Jonasz. J’espère simplement que par la suite mon Cipollina tragique ne prendra l’idée de s’attaquer à la Boite de jazz du même Michel Jonasz. Auquel cas je serais contraint d’envoyer de solides contre-mesures. Sinon, du côté de mes lectures, je n’aurais pas du laissé la petite chose de Wodehouse entamée la semaine dernière de côté. La reprenant aujourd’hui je suis totalement perdu, ne sachant plus qui est qui et qui fait quoi ? Un peu comme si un esprit retors avait secoué Labiche et Feydeau dans une grande boîte (mais en anglais traduit). Voilà j’en suis là.

3 janvier 2021.- Trois flocons (1°C). Repéré dans le Club des longues moustaches de Michel Bulteau Francis de Miomandre à tout pour éveiller l’intérêt du lecteur un tant soit peu féru de choses légères et crapicantes. Voilà un type qui était capable d'écrire sur son caméléon domestique, une bulle de champagne ou une petite touffe de chiendent et je dois bien avouer que tout cela est diablement sympathique. Aujourd’hui j’ai un peu entamé, mais pas trop, son Écrit sur de l’eau (Prix Goncourt 1908), c’est très joli, un peu excentrique assez soulevé par l’hélium. J’ai aussi picoré dans Caprices (posthume 1960), un recueil de nouvelles où Miomandre ressemble à un Ponge un peu pompette, c’est très bien.

4 janvier 2020.- Froideur (0°C). Butiné dans les Caprices de sautillant Miomandre. On peut y lire des choses comme celle-ci : « Ah ! non ! non ! ne ramassons pas les rabats ni les soutanes ! les chats galeux, les tickets perforés, les fuites de gaz, les lettres d’amour qu’on n’a pas lues, les pleurs qui ont séché dans la poussière, loin de ceux pour qui on les avait versés !... La Vie est là, comme une tempête de délivrance ! » Pandémie pangolinesque, vaccinodromes, et joies kafkaïennes de l’état centralisé français. Comme dirait l’autre : « Le réel ne peut s’exprimer que par l’absurde »

7 janvier 2021.- Fraicheur boréale (-1°C). Virus, jacqueries trumpiennes, néanmoins on s'ennuie assez. Rouvert les Cahiersde Cioran, suis tombé sur ces lignes très concordantes avec mon moi profond : « S’astreindre au minimum, j’en ai fait ma devise. En mourant, j’aimerais dire : " Je n’ai pas fait tout ce que j’aurais pu. " »

8 janvier 2021.- Temps froid et nuageux (4°C). Rien ne bouge autour de moi, je ne bouge pas non plus, seul le temps semble avancer et avec lui les années qui s'additionnent un peu tristement. Tout cela n'est pas très réjouissant et pour tout dire je frôle la psychasthénie. Tenez même le vieux Morand est plus vif et moins morose que moi. Dans son journal inutile, il n'est même pas encore agrégé par les années empilées et entre deux trois saloperies sur les juifs et les tantes il sautille même un peu. Oh ! c'est souvent un sautillement plus déplaisant que vraiment guilleret, mais c'est toujours ça et c'est toujours mieux que l'asthénie : « Ce qu'il y a de terrible, avec les amis fidèles, c'est qu'ils viennent vous voir », « Rien d'aussi laid que cette traversée de la France : de la petite industrie, du petit socialisme, du tondu, des HLM dans les bois. Beauté de l'Espagne, de la Suisse, à côté. Quel que soit le régime, c'est voué à la médiocrité ».

9 janvier 2021.- Froideur semi-nuageuse (1°C). Je relis les Stèlesde Segalen. Plus encore que celles du jeune Claudel ou de Saint-John Perse (qu’il aura influencé), les chinoiseries de Segalen sont plus une idée de l’extrême-orient, un moule dans lequel il peut laisser couler le flux de son inspiration poétique. Bon il est tout de même expert en choses asiates, presque sinologue avant l’heure légale, mais, comme il peut l’avouer lui-même, tout se joue ailleurs : « Un pas de plus et la "Stèle" se dépouillerait, entièrement pour moi de son origine chinoise pour représenter strictement : un genre littéraire nouveau, - comme le roman jadis, issu ou non d’une certaine Princesse de Clèves, ou de plus haut, en est venu à Salammbô , puis à tout, puis à rien du tout. Il est possible que plus tard, dans très longtemps, je donne un nouveau recueil de "stèles" et qu’elles n’aient de la Chine, même pas le papier » (Lettre à Jean Bouillier, 3 février 1913).

Autrement, chez Dantzig, beau portrait de F. Scott Fitzgerald et puis ça : « Les surréalistes, eux étaient des des fils qui rêvaient de devenir pères. Ils cassaient des assiettes et donnaient des ordres ».Pas mal.

11 janvier 2021.- Éclaircies glacées (-1°C). Le 27 novembre 1916 Jacques Vaché est réaffecté à l’Australian New Zelanders Army Corps. Il erre vaguement sous la pluie, le froid est de phoque. Le lendemain il reçoit une lettre d’André Breton qui lui conseille de lire le Poète assassiné d’Apollinaire. Le 10 décembre 1916, il est à Armentières, ville morte arrosée de ferraille. Un orchestre australien passe dans la rue, c’est une réserve d’hommes concourant à celui qui fera le plus de bruit possible. Au loin on peut entendre le fracas de la canonnade germanique, elle n’est presque pas pire. Quelques décennies plus tard, le vieux, le 25 novembre 1968, le vieux Paul Morand, toujours acrimonieux, rappelle que sous l’occupation Cocteau ne quittait pas les allemands : Jünger, Breker… Quant à Raymond Guérin, le 7 janvier 1943 il écrit une lettre pleine d’amitié à Henri Calet. Il est encore prisonnier du Stalag qui le tuera par la bande, le ton n’est pas badin, mais il y a de l’émotion qui rôde : « En somme, nous nous sommes assez peu connus et cependant ces quelques rencontres ont suffi à m’attacher à vous d’une façon si profonde, si abrupte et si tendre à la fois, que je sais que je pourrais rester dix ans, sans avoir de vous un seul signe, sans que mes sentiments tiédissent. Vos admirables livres y sont pour beaucoup, vous n’en doutez pas. Mais il y a aussi le secret de votre personne si hautaine et en même temps si fraternelle. Je peux dire que j’ai rarement rencontré, dans ma vie, un être qui m’ait paru si près que vous d’une aristocratie naturelle et inentamée. Et ce, malgré tous les gouffres, tous les troubles que je sentais en vous. Depuis un an, je me dis donc toujours, que fait-il ? Que devient-il ? Où est-il ? Avec quelles difficultés se débat-il ? Écrit-il ? Et s’il écrit, quel livre ? Quel est son cheminement actuel ? Quel nouveau désert amer et désolé et grimaçant va-t-il explorer maintenant pour nous ? Surtout, pourvu qu’il ne s’arrête pas en chemin, qu’il ne se croie pas oublié. Il n’en a pas le droit ! ».

Voilà pour mes lectures du jour (où l’allemand est très présent en sous-main).

3.

12 janvier 2021.-Trois flocons (1°C). Labeur et fatigue oblige aujourd’hui il m’a été impossible de me concentrer sur plus de trois pages de lecture consécutive, ce qui est peu, on en conviendra. Comme j’ai besoin de ma dose quotidienne - un besoin qui n’est pas vital… mais presque –, j’ai tout de même trouvé une solution - pas loin d'une méthode- que j’espère provisoire, qui m’aura permis de lire plus de trois pages, sans narcolepsie et perte momentanée du cogito. Cette solution est très simple : je me suis contenté d’une approche fragmentaire, picoreuse et sautillante dirai-je, passant d’une Stèle de Segalen à une lettre de Calet à Guérin, d’une autre lettre de Gide à Artaud (un peu perfide et faussement émouvante) à une lettre de Jean Patrick Manchette à sa mère (et là, émotion personnelle et pas forcement partageable, il se trouve que la mère de Manchette se prénommait comme la mienne : Paulette), de trois lignes dans les Carnets de Louis Guilloux à une chronique d'un autre Louis : Skorecki… Voilà c’est à peu près tout et ça doit faire plus de trois pages.

14 janvier 2021.- Hausse des températures extérieures (8°C). Le caca chez Artaud c'est tout de même quelque chose. Il y a le caca de Pour en finir avec le jugement de dieu, son bien fameux « Là où ça sent la merde, ça sent l'être », ses mots étrons éructés sous les cieux de la fécalité. Viscères et pets, poésie des sels biliaires, musicalité du rectum. Il y a aussi le caca, plus tardif, presque terminal de Suppôts et Suppliciations. Ici tout est plus sage, c'est la vierge qui fait caca, il y a même de la merde sans caca et à l'orée des doubles vé cé : « Ce qui importe ce n’est pas de savoir comment être, mais comment bien faire caca. ». . Pour rester dans le caca lu le Transgendre papier disponible sur le site internet de l’immonde Nabe. Il est question de « l’affaire Jonathann Daval » et c’est pour ainsi dire hilarant. Nabe est trop antisémite pour que l’on n’ éprouve pas l’ impérieux besoin de lui fracasser quelques chaises et tabourets sur la tête, mais force est de constater qu’il écrit diablement bien.

15 janvier 2021.- Neige ratée (1°C). Virus, couvre-feu, nous n'en sortons pas. Humeur corrélative, sinistre, rien lu, ou presque.

16 janvier 2021.- Temps froid et nuageux (1°C) Toujours dans une phase « picorante ». Fini ma relecture des Stèles de Segalen (qui ce sont révélées bien plus austères que dans mes souvenirs) puis oscillé à l’alternat entre Charles Dantzig et Philippe Muray (le Dictionnaire mondial de l’un et les Essais de l’autre. Deux replets pavés plus de trois mille pages). Si Dantzig est souvent problématique quand il lui prend l’idée de dézinguer il est parfois presque bon dans l’éloge (belle notule sur le Gatsby de vous savez) ce qui lui fait un point commun avec Muray qui contre toute attente est lui-aussi presque toujours bon dans l’éloge (ici Philip Roth et Tom Sharpe). Pour le reste, le dézingage, il n’y a pas photo, là où Dantzig taquine et picote avec des airs un peu pelucheux Muray est impitoyable, mordant, impayable… Constat : la méchanceté est un art qui n’est pas donné à tout le monde (hilarant massacre d’Andreï Makine et de son Goncourt providence).

17 janvier 2021.- Il a neigé cette nuit, ce matin tout était blanc, et puis... il y a eu des pas, des traces de roues de voitures dans l’immaculé, de mauvaises flaques, le soleil a tout fait fondre. C’est toujours très triste de voir ce blanc-là disparaître (4°C). Pour Dantzig « dans les pays machos, les bébés naissent avec une moustache et les bras croisés. Ils deviennent parfois, comme García Márquez, de grands écrivains ». C’est drôle et bien vu et je n’ai rien à ajouter ( si ce n’est que García Márquez est bien trop grand écrivain pour être vraiment honnête). Par contre lorsque Dantzig trouve que Gombrowicz est une folle un peu brutasse qui n’ose pas sortir du placard, que Claudel est un épais à simagrées et que Ramón (Gómez de la Serna) est un auteur de « pensées Carambar », je suis un peu plus dubitatif et pour tout dire je ne sautille pas vraiment. Ce sont des considérations faussement courageuses et j’ai l’impression de voir une belette frileuse s’attaquer à des cadavres bien trop gros pour elle.

Autrement et pour finir cette citation de Balzac chez Muray :« Indiquer les désastres produits par le changement des mœurs est la seule mission des livres ». Voilà peut-être un court bréviaire capable de nous faire mieux saisir l’époque que nous vivons, tout y est dit.

19 janvier 2021.- Beau temps frais (8°C). Vingt et un, c’est le nombre d’appartements que Nietzsche aura occupé lors de ses sept villégiatures hivernales passées sous le soleil de Gènes et de Nice. En 1886, à Nice, il visite un peu plus de quarante meublés avant de trouver logis à son pied au premier étage du 29 rue des Ponchettes. L’exposition face au soleil semble parfaite, le confort acceptable, pour un peu on oublierai presque la trop fameuse « saleté du sud »… Quatorze ans plus tard, le 14 décembre 1900, Anton Tchekhov débarque dans la même ville de Nice. Il ne cherche pas trop longtemps logis à son pied et trouve refuge dans une pension russe de la rue Gounod. Par la fenêtre de sa chambre, il voit tomber une petite pluie, l’air est presque chaud, les rosiers sont encore en fleurs et les jeunes gens qui se promènent dans la rue sont en manteaux d’été et sans bonnet de fourrure.

To be continued.


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