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Regards croisés : neutralité ou engagement. ( Genevoix, Barbusse, Sándor Márai )

Par Jmlire

Regards croisés : neutralité ou engagement. ( Genevoix, Barbusse, Sándor Márai )

" Le 21 septembre 1914, Genevoix est envoyé sur le front de la Meuse, au nord de Verdun, à deux pas du bois de Saint-Rémy, où, le lendemain, Alain Fournier disparaît au combat. Barbusse, lui, est dirigé sur Soissons, puis en Artois et en Champagne. Les deux hommes partent armés de carnets, bien décidés à puiser dans la guerre matière à littérature. La fatigue et la lassitude leur font cependant perdre la régularité sinon l'envie d'écrire... Pour l'un comme pour l'autre, la guerre tourne court : Genevoix est blessé sur le front des Éparges, le 25 avril 1915, avec deux balles dans le bras gauche, et une à l'épaule...Quant à Barbusse, il repousse à quatre reprises la proposition de passer caporal - par hostilité aux grades - et refuse son transfert dans la territoriale, qui regroupe les soldats les plus âgés. Il doit écrire à l'état-major pour obtenir de rester soldat parmi les troupes du front. Titulaire de la croix de guerre, deux fois cité, il tombe malade en juin 1915. Bien que placé parmi les brancardiers, un poste moins exposé, il multiplie les séjours à l'hôpital jusqu'à sa réforme définitive le 1 er juin 1917. À cette date, ce grand échalas efflanqué est devenu une célébrité, et Genevoix a été remarqué... Publiés en 1916, Sous Verdun de Genevoix et Le Feu de Barbusse bouleversent. Voilà pour la première fois des récits qui ne cachent ni la misère des poilus ni l'horreur de la guerre. L'héroïsme guerrier en prend un coup fatal... Sous Verdun, premier volume des souvenirs de guerre du Ligérien, est salué par la critique. " C'est du Maupassant de derrière les tranchées", s'enthousiasme le Journal des débats". On voit la guerre, dans son horreur et sa vérité, toute frémissante." On lui promet le prix Goncourt 1916, mais Le Feu, publié d'abord en feuilleton dans L'Oeuvre puis chez Flammarion, lui vole la vedette. Succès d'estime pour Genevoix, qui voit son premier ouvrage flirter avec les 10 000 exemplaires, mais succès stratosphérique pour Barbusse : en quelques mois, Le Feu dépasse 200 000 exemplaires, et atteint aujourd'hui le million. Lauréat du Goncourt 1916, ce n'est plus un livre, c'est un phénomène ! Les poilus écrivent à l'auteur pour le féliciter et le considèrent comme leur porte-parole.

Pourtant, aujourd'hui, c'est Genevoix, et non pas Barbusse, qui entre au Panthéon comme le représentant

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des écrivains de 14-18. Quelle est donc la raison de ce retournement de fortune ? La polémique, tout d'abord. À la différence de Genevoix, qui entend rester neutre, Barbusse n'a jamais dissimulé ses convictions. Attaqué par la presse conservatrice en 1917, il est accusé de pacifisme - et donc de démoraliser les poilus avec un récit terrifiant et faux. Barbusse se défend en rappelant qu'il n'a rapporté que le vrai, mais tout change dans l'après-guerre quand il embrasse le communisme. Dès lors, il endosse le titre d'écrivain révolutionnaire, donnant au Feu une coloration qu'il n'avait pas à l'origine. Cet intellectuel engagé n'est plus consensuel. En entrant en politique, il est sorti de la littérature..."

Jean-Yves Le Naour, extrait d'un article pour le magazine Historia, Novembre 2020, à propos de son livre" La gloire et l'oubli, M.Genevoix et H.Barbusse, témoins de la Grande Guerre" Éditions Michalon, 2020.

Regards croisés : neutralité ou engagement. ( Genevoix, Barbusse, Sándor Márai )

"Une matinée chez Barbusse. Il habitait un appartement dans un immeuble bourgeois de la fin du siècle dernier, près du Champ-de -Mars. Un homme grand et maigre, une sorte de Don-Quichotte, triste, sympathique et anodin. il envisageait d'écrire un livre sur Zola. longue conversation, sur la guerre et la paix. Conversation dont le seul sens et l'unique conclusion furent que, au moment de nous quitter, nous sûmes que nous n'avions rien, rigoureusement rien à nous dire.

Il fait partie de ces hommes dont on apprécie toujours la compagnie parce qu'on sent à leurs paroles qu'ils ne savent pas mentir et sont incapables de dissimulation. Il fait partie de ces hommes que l'on quitte avec un soupir de soulagement, comme si on venait d'échapper au danger d'être taxé d'immoralité... "

Sándor Márai : extrait de "Journal, les années hongroises, 1943-1948." Éditions Albin Michel, 2019

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