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Famille je vous hais... vraiment ?

Publié le 24 avril 2021 par Artemisia72

Famille je vous hais... vraiment ?

Trois livres récents, qui tous ont un point commun : répéter ad nauseam à quel point les familles en général, et les mères en particulier, peuvent être toxiques, et obérer gravement la capacité de leurs rejetons à aimer, à mener ne serait-ce qu'une vie normale...

Le premier en date, Ni toi ni moi, de Camille Laurens (2006), est une histoire d'amour et de désamour : la narratrice s'adresse à un réalisateur pour qu'il tire un film de son histoire, et nous lisons ce qu'elle lui a adressé, et même quelques mails partis à la corbeille ; lui, de son côté, est muet. Ce qu'elle raconte, c'est un coup de foudre dont on voit immédiatement qu'il n'est pas réciproque : Arnaud se laisse aimer plus qu'il n'aime, jusqu'au moment où, sans crier gare, il se met à dénigrer, mépriser, rejeter la narratrice... qui devrait partir en courant, le planter là, mais il ne suffit pas d'appuyer sur un bouton pour cesser d'aimer... Jusqu'au jour où elle comprend d'où lui vient sa faiblesse, ce qui la tétanise quand elle se sent repoussée : sa mère autrefois a perdu une petite fille, quand elle-même était encore un bébé ; écrasée par le deuil, elle s'est éloignée de l'enfant, qui a senti son univers s'écrouler sans en comprendre la raison... C'est un très beau livre, avec en arrière-plan l' Adolphe de Benjamin Constant, un autre infirme du sentiment...

Le second date de 2017 : c'est Toutes les familles heureuses, d'Hervé Le Tellier ; lui aussi est arrimé au réel, lui aussi raconte une famille dysfonctionnelle, un père absent, un grand-père apparemment sympathique mais assez peu recommandable, un beau-père inexistant, une mère folle... Le livre est sauvé par un humour grinçant, une auto-dérision qui rend le propos supportable.

Le troisième, enfin, le plus récent a été publié en 2020 : Sale Bourge, de Nicolas Rodier. Des trois, c'est le seul purement fictionnel ; mais le schéma se répète, en pire : aîné d'une fratrie de six enfants, dans une famille catholique et conservatrice où l'on ne sait, de la mère ou du père, lequel se montre le plus odieux et le plus tortionnaire, le narrateur oscille constamment entre révolte et soumission, refusant d'abord l'injonction de la grande école commerciale pour se vouer à la philosophie, puis renonçant à ses choix pour rentrer dans le rang ; s'évadant tour à tour dans la drogue, puis surtout l'alcool, et finissant, piteusement, par frapper sa jeune épouse... Outre l'écriture plate, "blanche", sans le moindre relief, l'ensemble laisse une impression de malaise : est-on réellement conditionné par sa famille, si toxique soit-elle ? N'y a-t-il pas un espace de liberté, pour peu qu'on le veuille vraiment ?

Ces trois livres me semblent caractéristiques d'une tendance de la littérature française (métropolitaine) contemporaine : l'introspection jusqu'à l'infini, le regard posé sur soi-même, ses origines, son milieu, sa famille, ses traumatismes... Comme on est loin de la "Littérature-Monde" que Michel Le Bris appelait de ses vœux ! Serait-ce un lointain souvenir du Romantisme ? Le signe d'un repli sur soi ? En tous cas, cette littérature, si belle soit-elle parfois - l'écriture de Camille Laurens me séduit -, laisse le cœur chagrin et l'esprit frustré...


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