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Essai pour un paradis, suivi de Pour un moissonneur, de Gustave Roud

Publié le 11 mai 2021 par Francisrichard @francisrichard
Essai pour un paradis, suivi de Pour un moissonneur, de Gustave Roud

Un homme a fait éclore en moi ce paradis humain qui gît épars dans notre corps, dans notre coeur, - par sa seule présence.

Cet homme s'appelle Aimé dans Essai pour un paradis (1933). Dans la vraie vie, c'est un paysan, Olivier Cherpillod, à qui il dédie cette prose poétique.

Aimé est le grand frère qu'il aime: les causeries, les calmes promenades, le pays autour de nous, jaune et sec sous un ciel épais et violâtre à l'horizon...

Ce paradis ne l'est que parce qu'il est près d'Aimé, de son plus jeune fils, avec tout ce bonheur d'une présence, etauprès de la nature qui est celle du Jardin:

Le marronnier vert tendre, toutes ses lampes ouvertes. Les feuilles des poiriers sont de la peluche verte et grise, douce aux yeux...

La nature, c'est celle maîtrisée par l'homme:

L'herbe est si haute que l'on entend des bruits de faux sans voir personne. Derrière le beau mur bruissant et soyeux des épis, Aimé fauche.

La présence, c'est celle du corps d'Aimé au bain:

Voici la tête où veille la pensée, ces bras durcis par la gerbe, par la faux, la large poitrine couleur de pain, le ventre où le soleil allume un crin doré, ces genoux qui fendaient sans fin ces fleurs pressées, la double colonne des jambes qui t'assurent de ton royaume...

Et celle des mains d'Aimé quand il mange et qu'il boit:

Mains très dures, mains brunes et brûlées, pleines du pain vivant, pleines de ce vin rose dans son verre comme une braise.

Mais toute saison a une fin...

Pour un moissonneur (1941) est dédié à Fernand Cherpillod, neveu du précédent. Il n'ose redire son nom qu'une fois, au tout début, à voix basse.

Après, il se permet de le tutoyer, parce qu'il a été pris sous son charme dès qu'il le vit, dans la sombre salle, alors même qu'il ne savait pas encore son nom:

J'ai vu ta main vivante près des miennes et ses plaies de bûcheron mal guéries; j'ai vu vivre ta poitrine sous le drap sombre, taché d'une seule perce-neige, battre à ton cou la longue veine du sang nouveau.

C'est lui le moissonneur, qu'il est prêt à suivre, sans rien dire:

Quelque chose d'immense par-delà les murs nous appelle, quelque chose pour nous seuls commence où nous entrerons comme dans la mer.

Ils sont donc partis ensemble ce jour-là, côte à côte. Ils se sont arrêtés pendant une heure, dont il garde un souvenir impérissable:

Pour toute une heure, le temps de notre halte sous le toit de tuiles ruisselantes, les pieds dans la poussière pleine de brins de paille, de fragiles empreintes d'oiseaux, il m'a paru que je pouvais vivre encore.

Mais, aujourd'hui, il se demande où est passé ce faucheur de froments, et non pas d'herbes, nuance:

Cent fois j'ai repris la même route, sachant bien pourtant que ce ne serait plus la même, qu'elle n'irait jamais plus vers toi.

Cette fois, contrairement à l'Essai pour un paradis, lequel n'existe que par la seule présence, c'est l'absence qui se fait cruellement sentir:

Est-ce que tu ne peux me dire si tu respires encore, si ton coeur bat, si cette épaule où poser ma main, une seule fois encore m'est refusée?

Francis Richard

Essai pour un paradis, suivi de Pour un moissonneur, Gustave Roud, 128 pages, Zoé


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