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Canoës, de Maylis de Kerangal

Publié le 30 mai 2021 par Francisrichard @francisrichard
Canoës, de Maylis de Kerangal

Les nouvelles de ce recueil ont un point commun: elles mettent en scène des femmes, qui occupent tout l'espace et qui sont aux prises avec la voix humaine, dans des circonstances qui parfois la modulent ou la leur rendent méconnaissable.

Il y a huit nouvelles en tout. Mais l'une d'elles se distingue des autres par la dimension et l'importance. Mustang est en effet la pièce maîtresse - près de la moitié du livre -, autour de laquelle les autres font la ronde et la mettent en valeur.

Dans Bivouac, la narratrice est en patience chez sa dentiste. Laquelle lui fait part, photo à l'appui, de la découverte, en 2008, dans le quinzième arrondissement de Paris, d'une mandibule humaine du mésolithique et lui explique son utilité:

C'est le seul os mobile de la face, et parler, manger, bien voir ou même se tenir debout, en équilibre, tout cela la concerne: notre organisme est suspendu à cette balançoire.

Dans Ruisseau et limaille de fer, l'amie de la narratrice ne parle plus pareil, plus grave, pour que sa voix soit radiophonique, alors que, ruisseau de montagne, elle était limpide, que le silence entre chaque son était d'une densité de platine.

Dans nevermore, la narratrice lit, dans un studio, Le corbeau d'Edgar Poe, traduit par Baudelaire. Sa voix a été retenue mais elle doit refaire l'enregistrement plusieurs fois avant que le sonogramme ne révèle la solution du problème.

Dans un oiseau léger, au grand dam de sa fille, aimante et réfléchie, le narrateur n'arrive pas à effacer du répondeur le message radieux que sa femme morte il y a plus de cinq ans, a enregistré la veille de partir en vacances: sa voix lui survivait.

Dans after, après avoir passé le bac et l'avoir obtenu pour la plupart, la narratrice (dont le jeune frère a eu du mal à articuler une déclaration) et ses camarades font la fête et, pour exprimer leur joie, se mettent à pousser des cris de primates.

Dans Ontario, lors de la cérémonie d'ouverture d'un festival à Toronto, la narratrice ne reconnaît pas la voix de celle qu'elle a connue à Arles lors de la clôture d'un festival d'été. Pourquoi? Cette fois, c'est différent, c'est ici le Jour des morts.

Dans Ariane espace, la narratrice s'intéresse aux Ovni et rencontre une vieille femme témoin de l'atterrissage de l'un d'entre eux. Elle est surprise du changement de son interlocutrice une fois la cigarette au bec, et qui sait ce qu'elle a vu.

Dans Mustang, la narratrice et son fils Kid sont depuis deux mois à Golden, aux États-Unis où l'on ne se déplace qu'en automobile. Ils y ont rejoint Sam venu pour étudier à la vénérable Colorado School of Mines et dont la voix a changé:

Sam parle sensiblement plus fort et plus lentement qu'en France.

Elle se fait une raison. Il faut qu'elle change: Ici tout le monde change. Alors elle apprend à conduire, puis fait des virées quotidiennes avec la Ford Mustang, que Sam a achetée, qui a son âge, qu'ils revendront quand ils repartiront pour la France.

Les Canoës sont un des liants de ces nouvelles. Ce sont un pendentif, une métaphore, un souvenir ou une trace, hormis dans Ontario où la narratrice de Maylis de Kerangal lui réserve une place plus concrète, en l'associant à une photo sépia:

L'Indien est seul sur l'eau calme, il pêche, redressé, et le sillage du canoë trace son microsillon sur l'eau étincelante...

Francis Richard

Canoës, Maylis de Kerangal, 176 pages, Verticales

Livres précédents:

Un monde à portée de main (2018)

A ce stade de la nuit (2015)

Réparer les vivants (2014)

Naissance d'un pont (2010)


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