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La vie de châteaux de Mark Cavendish

Publié le 01 juillet 2021 par Jean-Emmanuel Ducoin

La vie de châteaux de Mark CavendishDans la sixième étape, entre Tours et Châteauroux (160,6 km), victoire du Britannique, sa deuxième après celle de Fougères, la trente-deuxième de sa carrière. Le peloton est passé devant dix-huit châteaux, pour un scénario écrit à l’avance.

Châteauroux (Indre),envoyé spécial.

Et soudain, les âmes célestes autorisèrent le Dieu-soleil à illuminer – enfin – les routes de notre périple en Juillet, donnant au parcours un parfum de joyeuseté en réenclenchant, l’espace d’un instant, la fabrique de nos Tours d’enfance. Fenêtre ouverte, humant l’air champêtre de ce tout début de sixième étape – disputée entre Tours et Châteauroux (160,6 km) –, le chronicoeur retrouva d’un coup l’espiègle trait de plume d’Antoine Blondin: «Le Tour, c’est la fête et les jambes, une épreuve de surface qui plonge ses racines dans les grandes profondeurs. Il arpente la géographie mais sa propre histoire le porte.» Cet Etat dans l’Etat, qui confine parfois à l’état de grâce, adule la visitation topographique de notre grande généalogie nationale. En ce jour béni, nous étions servis et les coureurs durent, malgré l’effort consenti, bien ouvrir leurs yeux tôt bordés de gratitude. Excusez du peu. Après avoir quitté Tours, sa cathédrale Saint-Gatien et ses myriades de maisons à pans de bois qui découpent le ciel de ces hachures d’artiste, les merveilles s’additionnèrent en si peu de kilomètres qu’il convient de retenir son souffle.

La vie de châteaux. Dix-huit en tout au fil de cette traversée vers le sud-est. Celui d’Amboise (km 27), forteresse médiévale devenu palais de la Renaissance de style gothique, antre de François Ier, qui délogea d’Italie le grand Léonard de Vinci. Celui du Clos Lucé, et ses façades en brique roses et pierre blanche. Celui de Chenonceau, avec son architecture appuyée au Cher, entouré sur 3 côtés de fossés d’eaux vives et aux angles 4 tours rondes, les bases baignant dans les douves. Celui de Chissay, de Montrichard, du Gué-Péan, etc. Nous ne pûmes tous les voir, encore moins les citer, mais la France qui se retrouvait ici dessinait la carte éclatante et chamarrée d’un territoire dans ses limites et sa grandeur, ses gouffres et ses aspérités, mais toujours rehaussé par son patrimoine ancestral – le vertige des peuples étrangers. Comme un écho à cette charnelle aventure de l’extrême à vélo. Roland Barthes expliquait: «Il y a dans le Tour des vestiges nombreux d’inféodation, ce statut qui liait pour ainsi dire charnellement l’homme à l’homme.» Et il ajoutait: «La géographie du Tour est, elle aussi, entièrement soumise à la nécessité épique de l’épreuve.»

Nos forçats – singulièrement les Français – éprouvèrent-ils cette mélancolie d’une francité insolente qui condescend une fois l’an, forte de l’exemplarité de ses traditions, à s’en aller honorer ses anciennes provinces, tandis que la radieuse cohorte retrouvée du Peuple du Tour continue de narrer, comme à Valmy, la chronique d’une France plurielle et unifiée? Ne rêvons pas. Peu le goût des Illustres, pas le temps. Qu’importe les raisons. D’autant que, ce jeudi, sur un profil d’une étrange brièveté, ils n’eurent aucune autre tâche que de pédaler le nez dans le guidon. Cette étape dite «de transition», promise à un sprinteur, ne laissa aucun répit aux braves, ni aux autres d’ailleurs. Huit coureurs, pas moins, partirent en éclaireurs: Asgreen, Andersen, Skujins, Van Avermaet, Rickaert, De Gendt, Politt et Zimmermann. Puisque la présence dans l’échappée du Danois Kasper Asgreen, trop bien classé au général (onzième), posait problème, l’immuable stratégie de la course se mit dès lors en place. Action, réaction, mésentente. Le peloton sonna la charge, le groupe se disloqua faute de complicité, et seuls Greg Van Avermaet, rejoint par l’arrière de Roger Kluge, disposèrent d’un peu de liberté – quoique très éphémère.

Quand l’avant-garde du peloton passa devant le Zooparc de Beauval (km 74), avec ses oiseaux, ses fauves, ses primates et ses pandas venus de Chine – pour le moins interloqués par le passage de la caravane –, nous nous demandions encore qui du Tour ou des coureurs créaient de vraies mythologies. A la manière de l’écrivain Philippe Delerm, nous concevions alors que le Tour, qui «fait seulement semblant de dépendre de ses champions»,restait «sans doute la seule épreuve sportive à dominer ceux qui l'incarnent». Comme la suite le prouva. Durant près de 90 bornes jusqu’à la ligne d’arrivée, dévalant des routes si rectilignes qu’elles nous donnèrent le tournis, les armadas de rouleurs avalèrent les fuyards d’abord, puis lancèrent le prévisible sprint massif duquel émergea le Britannique Mark Cavendish, sa deuxième victoire après celle de Fougères, la trente-deuxième de sa carrière. Et sinon? Aucun changement. Pas de grandes batailles. Si peu d’audace. De la mécanique froide – hors la mémoire des pierres.

Depuis la salle de presse, plantée dans l’antre du stade Gaston-Petit, le chronicoeur songea à la mini gloire footballistique des Berrichons, au couvent des Cordeliers tout en tranquillité, à l’abbaye Notre-Dame de Déols en majesté, à l’ancienne caserne d’un autre âge où s’édifièrent ses classes (militaires). Il pensa aussi à Gérard Depardieu, qui vécut sa jeunesse à Châteauroux l’ex-loubarde, lui toujours sur la brèche. L’acteur confessa un jour: «Il vaut mieux faire des conneries que s'économiser.» Le contraire de la vie de châteaux. 

[ARTICLE publié dans l'Humanité du 2 juillet 2021.]


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