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Münchner Opernfestspiele — 7 deaths of Maria Callas, un Gesamtkunstwerk de Marina Abramović

Publié le 29 juillet 2021 par Luc-Henri Roger @munichandco

Münchner Opernfestspiele — 7 deaths of Maria Callas, un Gesamtkunstwerk de Marina Abramović

Marina Abramović revisite la mort de Desdémone

 

Marina Abramović

L'artiste d'origine serbe Marina Abramović (Марина Абрамовић) est une des figures les plus marquantes du courant de l'art corporel, un art qu'elle pratique en mettant son propre corps à l'épreuve au cours de performances poignantes et souvent déstabilisantes pour les spectateurs. Son oeuvre, toujours autobiographique, porte essentiellement sur l'image du corps de la femme et sur le rapport à la blessure et à la mort, une réflexion par l'action qui repousse souvent les limites du soutenable et exprime une démarche philosophique existentielle. Le travail de Marina Abramović s'inspire d'une existence marquée par nombre de drames amoureux et du désenchantement qu'ont pu entraîner ses passions.
Les 7 morts de Maria Callas 
La relation entre le parcours sentimental de Marina Abramović et la vie privée et artistique de Maria Callas est patent, sauf que Maria Callas a abandonné la scène pour "vivre sa vie de femme", ce qui n'est heureusement pas le cas de Marina Abramović qui dans un extraordinaire Gesamtkunstwerk a réussi le pari difficile d'offrir au public un spectacle qui met en scène les passions de la prima donna assolutissima, ces passions que Callas a elle-même vécues et qu'elle a magnifiquement interprétées par son chant sublime. Les sept morts de Maria Callas mettent en scène le défilé de 7 héroïnes d'opéras que leur passion amoureuse a conduites à la mort, autant de rôles qui avaient contribué à sa légende. 
Marina Abramović est pendant la plus grande partie de son spectacle le témoin muet du Gesamtkunstwerk (1)  qu'elle a créé : son corps immobile est couché dans le lit funèbre parisien de Maria Callas, enseveli dans le linceul de ses draps. La cantatrice s'était retirée du monde dans son appartement parisien au troisième étage du 36 avenue Georges-Mandel avec pour seules occupations d'écouter ses vieux enregistrements et de promener ses chiens selon un itinéraire toujours semblable. C'est exactement ce que fait sur scène Marina Abramović : elle fait un voyage mental et mystique dans l'oeuvre de Callas à laquelle elle s'identifie, son lit est un vaisseau fantôme qui parcourt les cieux infinis figurés par un film qui est projeté sur une immense toile d'avant-scène, un ciel changeant au gré d' impressionnantes formations nuageuses d'une beauté confondante. Sept jeunes chanteuses aux voix exceptionnelles viennent interpréter sept grands arias qui expriment la trahison amoureuse et la mort. Pendant le chant, le film projette les expériences de mort prochaine de la performatrice qui flirte constamment avec le danger.
Le déroulement de l'action
Pour chacune des sept morts, on entend la voix enregistrée de Marina Abramović qui psalmodie avec lenteur un texte composé par Petter Skavlan (2) tandis qu'elle apparaît immense, en plans très rapprochés, sur l'écran géant dans des vidéos en ralenti, — réalisées par Nabil Elderkin qui a produit des séquences d'une force d'évocation poignante, —  dans lesquelles elle incarne en sa chair propre la mort des 7 héroïnes interprétées par les jeunes chanteuses. Le comédien Willem Dafoe intervient à plusieurs reprises dans les courts-métrages, notamment dans une scène saisissante où il passe un énorme serpent à la beauté inquiétant autour du cou de sa partenaire, une scène faisant pendant à la mort de Desdémone.
1. Violetta se meurt de la tuberculose.
Je suis une flamme vacillante d'une bougie solitaire. Exposée aux éléments : le vent et la pluie, l'amour et la haine - la maladie et la santé. La flamme peut me réchauffer, mais aussi me brûler. Elle peut éclairer mon chemin et me servir de guide. Mais lorsqu'elle est consumée, elle expire. Elle est alors éteinte, pour l'éternité.
Emily Pogorelc, qui vient d'intégrer cette saison la troupe du Bayerische Staatsoper, interprète « Addio, del passato », l'aria de Violetta du troisième acte de la Traviata  .
2. Tosca se jette dans le vide.
Il n'est pas dangereux de sauter. Il n'est pas dangereux de tomber. Le souffle de l'air, le flux sanguin dans les veines. Suspendue, mais en pleine chute. Tu as le temps de ressentir, le temps d'aimer. Pour toujours. Non, il n'est pas dangereux de tomber. Ce n'est que lorsque tu touches le sol que cela devient dangereux.
Selene Zanetti, qui avait été très applaudie  au XII. Festival Maria Callas à Sirmione, chante le fameux "Vissi d'arte"  du  2ème acte de Tosca. 
3. Desdemona se fait étrangler par Otello.
Intuition, pressentiment, ressenti, suspicion, crainte et avertissement. Desdémone le savait. Elle a revêtu sa robe de mariée et s'est plongée dans la prière. Quand Othello est arrivé, elle était préparée.
L' « Ave Maria » de Desdemona au 4ème acte d'Otello est interprété par l'américaine Leah Hawkins.
4. Cio-Cio-San se donne la mort.
Pour la science, l'effet papillon désigne un mécanisme par lequel de petites causes génèrent des conséquences imprévisibles. Pour les superstitieux, le papillon est l'amant qui vient te rendre visite. Dans la mythologie, le papillon est l'âme d'un être humain ; qu'il soit vivant, mourant ou déjà mort …
L'aria de Cio-Cio-San  « Un bel di, vedremo » du 2ème actte de Madame Butterfly est interprété par la chanteuse australienne Kiandra Howarth.
5. Carmen est poignardée par Don José.
Sa hardiesse me fascine. Son amour de la liberté reflète le mien. Sa sexualité exacerbée la rend forte. Elle sait ce qu'elle veut, et se l'octroie. Son coeur est guidé par l'amour, sa beauté et son corps n'appartiennent qu'à elle.
La Habanera du 1er acte de  Carmen « L'amour est un oiseau rebelle » est chanté par Samantha Hankey, qui est entrée dans la troupe du BSO en 2019/2020.
6. Lucia meurt folle.
Lorsque l'univers conspire contre toi, piétine ton cœur, broie ton âme et envahit ton cerveau, tu deviens folle. Et quand tu deviens folle, tu n'es plus responsable de toi-même. Ni de ceux qui t'entourent. L'amour se mue en haine, la haine en amour, et la mort devient la libération ultime.
Rosa Feola chante le grand aria de Lucia dans Lucia di Lammermoor, « Il dolce suono »
7. Norma entre dans le feu.
Tu marches vers le bûcher. Les premiers pas sont chauds, puis la chaleur se fait de plus en plus ardente. Ta peau te démange, tes yeux larmoient, tes cheveux roussissent. Avancer. Ta peau devient rouge puis des ampoules se forment. Mais tu continues de marcher. L'odeur de la chair brûlée. Ta peau devient noire. Perte de la vue. Les cheveux en flammes. Les poumons consumés. Mais tu vas plus loin - chaque pas demande un effort inimaginable. Juste avant que le feu ne te dévore, tu réalises que tu n'es pas seule. Puis le dernier pas dans les flammes — réunis.
« Casta Diva » est interprété par Lauren Fagan.

Münchner Opernfestspiele — 7 deaths of Maria Callas, un Gesamtkunstwerk de Marina Abramović

Marina Abramović en Callas dans la chambre parisienne de la chanteuse 


8. Marina Abramović se réveille de sa torpeur létale et sort lentement de son lit pour se rendre dans la chambre, reconstituée sur la scène du Théâtre national,  dans lequel Maria Callas est morte le 16 septembre 1977 à l'âge de 53 ans.  Marina Abramović s'immerge dans la vie passée de la Callas. Elle regarde des photos sur le lit, s'observe dans le miroir, jette au sol un vase de cristal qui se brise en mille morceaux, ouvre la fenêtre avant que, encore une fois, ne retentisse un enregistrement de la voix de Maria Callas. Les chanteuses qui ont interprété les 7 arias, transformées en servantes, rangent la chambre et recouvrent tous les meubles et le grand miroir de larges voiles de crêpe noir, tandis que Maria Callas, ou plutôt son double Marina Abramović, s'avance lentement vers la coulisse.
Le jeune chef Yoel Gamzou, qui fait ses débuts au Bayeriche Staatsoper, réussit une joyeuse entrée très acclamée. Il fusionne tout en souplesse les musiques aériennes et éthérées ou parfois plus menaçantes  que Marko Nikodijević a composées pour l'oeuvre opératique de Marina Abramović avec les accompagnements originaux des grands arias.
On passe une soirée fascinante, qui ne manque pas de laisser des marques profondes, tant les transgressions et la violence de la réflexion de Marina Abramović interpellent et font voler en éclat les attitudes convenues. 
(1) La création mondiale du Gesamtkunstwerk a eu lieu à Munich. L'oeuvre est coproduite avec le Deutsche Oper Berlin, le Maggio Musicale Fiorentino, le Greek National Opera et l'Opéra national de Paris.(2) La traduction des textes en italique  écrits par Petter Skavlan est reprise du programme du BSO.
Crédit photographique : © Wilfried Hössl / Bayerische Staatsoper

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