Magazine

Remarques à propos de De la lutte des classes à la lutte des places de Michel Lussault.

Publié le 04 août 2021 par Antropologia
Remarques à propos de De la lutte des classes à la lutte des places de Michel Lussault.

Paris, Bernard Grasset, 2009.

Tout texte s’écrit d’un point de vue. Michel Lussault le choisit extérieur, sans aucune implication. Il pourrait s’appuyer sur ses propres expériences (et pas seulement sur l’observation d’un mendiant en Inde), ses propres pratiques ou même son activité de chercheur (le récit de l’enquête). Il préfère une posture qui l’autorise à porter sur toute chose un regard omniscient, le fameux « point de vue divin » que dénonçait Hilary Putnam il y a bien longtemps qui « remplace « la coupure entre le système et l’observateur. » »

Cette posture permet à l’auteur d’utiliser sans inquiétude particulière des sources de deuxième main telle que l’affaire de Jana en Louisiane. Comme un journaliste, il picore des informations de ci de là dont il n’a aucun moyen d’apprécier la qualité et d’en mesurer la portée. En outre, jamais il ne se préoccupe de justifier ses affirmations autrement que par la présentation d’exemples. Nous sommes dans les « vérités narratives » qui trouvent leur justification dans leur place dans le récit, non par des preuves. Cela résulte d’un régime de vérité bien précis, celui des idées imaginées qui s’appuient sur n’importe quel exemple choisi pour rendre vraisemblable le propos initial.

De là découle une certaine écriture, que j’appellerais la « poétique du plan » qui convoque chaque information dans une démonstration scripturale, en temps et heure. Elle utilise aussi une certaine syntaxe, le « style indirect » qui sert aussi à occulter le processus d’élaboration des informations.

Ce type de travail réclame également certains sujets qui soient à la fois familiers et naturels afin que leur présentation soit acceptée avec évidence par le lecteur, sans avoir à la prouver. L’attraction terrestre, la politique ou le pouvoir et quelques autres auraient tout autant fait l’affaire que l’espace. Ce livre relève de ce que Roger Chartier appelait l’« essayisme à la française » où l’ampleur du sujet n’a d’égal que la faiblesse des sources.

Il faut donc se demander maintenant à qui sert ce type de livre même s’il n’est malheureusement pas le seul. Il contribue à substituer à la parole d’en bas – les « savoirs assujetties » (Foucault), les « savoirs non sus » (De Certeau), les seuls discours « autorisés », ceux du pouvoir. Surtout, il sert à faire oublier la médiation essentielle à toute réflexion (recherche), le langage et ses usages, et par là-même, la parole des acteurs et des témoins. Il s’agit de mettre en œuvre un discours de communicants, sans contenu, mais qui cherche à s’imposer par son évidence afin de justifier n’importe quelle mesure.

Le « Grand oral » qui consiste à parler de ce que l’on ne connaît pas, devient en cette année 2021, une épreuve du bac.

Bernard Traimond

2 mai 2021

CHARTIER, Roger, Les jeux de la règle. Lecture, Pessac, Presses Universitaires de Borderaux, Etudes culturelles, 2000.

PUTNAM, Hilary, Le réalisme à visage humain, Paris, Le Seuil, L’ordre philosophique, 1994.

SPERBER, Dan, Le savoir des anthropologues, Paris, Hermann, Savoir, 1982.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Antropologia 111 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte