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Tokyo 2020 : Frissons et réflexions olympiques

Publié le 09 août 2021 par Pascal Boutreau

0eff5a9ed1d970373af3b99bd63678a0Au début des Jeux, je m’étais dit que j’allais prendre des notes au fur et à mesure de la quinzaine pour être sûr de ne rien oublier. Mais c’est un peu tricher. Alors voilà ce que je garde en tête une fois la flamme éteinte. A chaud. 

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Des cris, des larmes, de joie, de tristesse, de frustration. Des yeux qui brillent, des sourires qui transpercent les masques. Des émotions, des frissons, de la passion. Les Jeux olympiques c’est le paroxysme de ce que le sport peut nous offrir. Deux semaines folles, intenses, exaltantes, ahurissantes, enivrantes. Une orgie d’images aussi. Les Jeux olympiques, c’est se retrouver à 6 heures du matin quasi debout sur son canapé à regarder Jean Quiquampois aller chercher une médaille d’or en tir. C’est s’arrêter au bord de la route pour regarder une finale d’escrime sur son téléphone. C’est faire sonner son réveil quatre fois dans la nuit pour ne pas manquer le titre de Hugo Boucheron et Matthieu Androdias en aviron, les courses de VTT, la finale du 100 m et du 50m en natation ou les premiers combats de Teddy Riner. Les Jeux olympiques, c’est vibrer, c’est VIVRE !

Parmi tous ces moments, certains nous marquent davantage que d’autres. Le temps fera sa sélection et classera ces instants dans notre mémoire. Il en gravera certains pour toujours, en effacera d’autres. A l’image de la vie.

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Aujourd’hui, quelques heures à peine après la cérémonie de clôture, il y a bien sûr l’émotion encore brûlante offerte par les sports collectifs tricolores. Le doublé hommes femmes du hand, l’équipe de France masculine de volley, les basketteurs et basketteuses argenté(e)s – le contre de Batum en demi-finale, à la sirène, restera dans l’histoire de son sport - sans oublier l’argent des filles du rugby à 7 (au passage merci aux duos F-X Rallet-Amélie Goudjo et Nodjialem Myaro en hand ; Géraldine Weber-Laurent Chambertin en volley et Thomas Morel-Frédéric Weis en basket pour leurs commentaires et leur folie sur Eurosport). Une belle façon de finir ces Jeux olympiques. Même si le raccourci franchouillard « la France meilleure nation au monde en sport co », qui certes flatte notre ego, est complètement faux puisque c’est oublier le hockey sur gazon, le foot, le 3x3, le water-polo, le baseball, le softball, tous au programme des JO.  

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Evidemment, à titre perso, le triathlon tient une place à part. La médaille de bronze du relais mixte grâce à Léonie Périaut (excellente 5e dans la course féminine soit le meilleur résultat d’une Française depuis l’arrivée du triathlon aux JO en 2000), Cassandre Beaugrand, Vincent Luis et Dorian Coninx, vient enfin récompenser un sport qui brille tout au long de l’année sur le circuit mais qui n’avait jamais réussi à répondre présent aux Jeux. Attention toutefois à ne pas s’enflammer. Il est clair que nous pouvions en espérer davantage avec la course masculine (Vincent Luis seulement 13e) et ce relais qui avait tout raflé les précédentes saisons. Mais à Tokyo, les meilleurs ont gagné. Et ils n’étaient pas français (le Norvégien Blummenfeld, la Bermudienne Flora Duffy – première médaille d’or de l’histoire pour ce pays - et les Britanniques en relais).

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Je ne vais pas parler de tout ce qui m’a marqué ou touché pendant ces deux semaines car cela nécessiterait un livre, mais parmi toutes les images, juste une petite pensée pour quelques athlètes qui ont mis un terme à leur carrière à l’issue de leur compétition. Je pense à Yohann Diniz (ok, il est rémois et je ne suis donc pas objectif). Tout au long de sa carrière, dans le monde des émotions, il nous a transportés tout en haut et parfois aussi… tout en bas. Comme il l’a reconnu, ce 50 km marche était sans doute la course de trop. Mais ne surtout pas oublier ses nombreux titres et son record du monde. Je pense aussi au basketteur argentin Luis Scola, légende de son sport, salué par une longue ovation des quelques personnes dans la salle, ses équipiers bien sûr mais aussi l’équipe adverse. Je pense encore à la gymnaste ouzbèke Oksana Chusovitina, 46 ans, et 8 jeux olympiques derrière elle. Une constance et une passion pour son sport également saluées par une standing ovation.

Je pense aussi aux filles de l’équipe indienne de hockey sur gazon. J’ai eu le plaisir de commenter leur quart de finale contre l’Australie. Ces filles jouaient clairement plus qu’un quart de finale. Dans un pays où le statut de la femme est compliqué, leur victoire face aux Australiennes, nation majeure du hockey, a forcément participé à leur reconnaissance. Car si les hommes ont longtemps dominé ce sport (8 titres olympiques) avant de rentrer dans le rang puis de réapparaitre depuis quelques années (médaille de bronze à Tokyo derrière la Belgique, médaillée d’or, et l’Australie en argent), les femmes, elles n’étaient jamais parvenues à un tel niveau. Leur enthousiasme et leur énergie sur le terrain avaient quelque chose de très touchant.

Et l’équitation alors ?

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Tout d'abord, hommage à nos complétistes Nicolas Touzaint, Christopher Six et Karim Laghouag, médaillés de bronze. Cinq ans après l'or de Rio, le concours complet a confirmé qu'il faisait bien partie de l'élite mondiale. Derrière un sorcier sélectionneur Thierry Touzaint et au-delà d'une évidente expertise et d'un incontestable savoir-faire, le concours complet français c'est avant tout un esprit. Un esprit qui permet d'aller contre le sort qui avait mis à pied trois des six couples présélectionnés, un esprit qui anime tout un milieu avec une humilité et une abnégation qui permettent de réaliser de grandes choses. Bravo et merci messieurs. 

Ah cette nouvelle formule des sports équestres aux Jeux olympiques… Elle aura fait causer. Les contre, les pour… Ceux qui un jour sont pour et le lendemain sont contre en fonction du sens du vent… Très vite, j’ai compris que pour ma santé mentale mieux valait m’épargner la lecture des réseaux sociaux. S’il y a un domaine où les « gens » du monde équestre réussissent à rivaliser avec ceux du foot, c’est bien sur le niveau des commentaires sur les réseaux…

Partagé entre le monde des sports équestres que je côtoie de très près depuis maintenant plus de 15 ans et « l’autre monde » des sports qui me fait vibrer depuis plusieurs décennies, j’ai un peu de mal à savoir si c’est bien ou pas bien. Si je me place du côté équestre, je comprends toutes les protestations et certains (pas tous) arguments contre cette formule avec seulement trois chevaux au lieu des quatre habituels et sur la disparition de l’esprit championnat des éditions précédentes (pour les non-initiés dada de passage sur ce blog, autrefois, les cavaliers conservaient les scores acquis dans les épreuves précédentes des Jeux alors que cette année, les scores étaient systématiquement remis à zéro au départ de chaque nouvelle épreuve avec plutôt une approche : une épreuve de qualification et ensuite une finale).

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Mais si je me place côté grand-public, celui qui une fois tous les quatre ans s’intéresse à tous les sports, et surtout celui que le Comité olympique cherche à toucher, je me dis qu’au moins il n’y avait pas besoin d’avoir Bac Equitation +12 pour comprendre quelque chose (oui mesdames et messieurs de l’équitation, je vous promets que ce qui est évident pour vous qui baignez dans ce milieu depuis toujours est complètement obscure pour pratiquement tous les autres). Dans le par équipe, on additionne les points des trois couples et basta. Un seul barème et pas de « un coup c’est le chrono qui compte, un coup c’est les barres un coup c’est les deux. » Et en plus, on peut avoir des rebondissements jusqu’au bout. La mésaventure de Pénélope Leprévost en est une illustration. Évidemment une illustration difficile pour nous en tant que supporters des Bleus. Mais pour le moins « spectaculaire » pour celles et ceux qui ne suivent pas l’équitation de près. Injuste diront les équitants (surtout les Français), « c’est le sport » diront les autres. La formule du saut d’obstacles : une qualif avec l’obligation d’entrer dans les 30 (ou les 10 par équipe) et une finale. Hyper simple. Comme ce qui est fait en natation, en athlé et dans quasi tous les autres sports. Et en plus les meilleurs ont gagné (le Britannique Ben Maher en individuel sur Explosion et les Suédois par équipe). 
Ah oui… là est peut-être le problème. En équitation, on ne veut pas être comme tous les sports… et la philosophie du « on a toujours fait comme ça » reste encore largement majoritaire. Oui je sais, l’équitation est « le seul sport avec un animal ». Mais tous les sports ont leur particularité. Et à force d’entendre « on n’est pas un sport comme les autres », les gens finissent par ne retenir que la première partie « on n’est pas un sport ».

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Certaines disciplines ont compris depuis longtemps que cette philosophie conservatrice était dangereuse et ont su faire leur révolution. Regardez le pentathlon moderne. Ok, ce sport a un problème avec sa partie équitation. Tous les 4 ans les images des pentathlètes en galère alimentent les banques d’images choc. Cette année, le pentathlon a aussi dû faire avec cette image de l’athlète allemande et surtout de sa coach en train de donner un coup au cheval qui n’avait pas du tout envie de sauter des barres. Intolérable on est d’accord. Mais au passage, les gens des sports équestres qui distillent des leçons de morale feraient bien aussi de regarder dans leurs écuries… y compris et même surtout quand les caméras ne sont pas là. D’ailleurs, la fédération de pentathlon a aussitôt pris des mesures… bien plus vite qu’en équitation quand de tels cas se produisent. Bref. Revenons à la révolution du pentathlon. Longtemps, l’épreuve s’est disputée sur 5 jours. Une épreuve par jour. Puis, sous la menace d’une disparition du programme olympique, on est passé aux 5 épreuves le même jour. On attaquait tôt le matin par du tir puis on enchainait avec l’escrime, la natation, l’équitation et enfin la course à pied, tard le soir. Là encore, cela faisait trop long. Alors on a associé le tir et la course à pied sous la forme d’un laser-run avec un format proche du biathlon (3200 m de course à pied avec 4 arrêts au stand de tir où l’on doit allumer 5 cibles avant de pouvoir repartir). Puis on a regroupé toutes les épreuves sur le même site (voir photo ci-contre). Un spectateur peut du coup s’asseoir tranquillement dans la tribune et assister à toutes les épreuves (sauf la première partie de l’escrime qui à Tokyo avait lieu la veille). Et comme dirait la pub… c’est pas fini. A Paris, dans trois ans, les cinq épreuves du pentathlon se dérouleront en 90’ ! La formule a été validée. Un format ultra rapide et de quoi séduire les TV... ou en tout cas qui ne les découragera pas. Vous serez d’accord que d’une formule en 5 jours à une autre en 90’, on peut parler de révolution.  
D’autres sports ont su évoluer. Le tennis de table a abandonné ses matches en cinq sets de 21 points pour passer en 7 sets de 11 points (depuis 2001). Ma génération a grandi avec du volley où on ne marquait un point que lorsqu’on avait le service. Fini tout ça. Depuis plus de vingt ans, chaque point fait évoluer le tableau d’affichage. Moins de temps mort, plus de rythme, plus de « money time ». L’obligation pour passer à la TV, générer de la visibilité, amener des partenaires etc. Aujourd’hui le Comité olympique ne veut plus d’épreuves interminables. Il faut qu’il se passe quelque chose et le plus souvent possible.

L’arrivée de nouvelles disciplines comme le skate, l’escalade (très télégénique) ou encore le surf (même si très mal filmé) a donné un coup de jeune aux Jeux. Certains sports vieillissent et pire encore, prennent un coup de vieux… Paris 2024 accueillera la breakdance (pas convaincu personnellement – j’aurais préféré voir à nouveau le karaté - mais attendons de voir…). Il n’y aura pas de place pour tout le monde… Le monde des sports équestres peut continuer à vivre replié sur lui-même, à ne pas prendre en considération l’évolution de la société, à ne pas regarder ce qui se fait autour de lui, à garder ses œillères. Mais il sera le seul à pleurer quand un jour plus ou moins proche, l’équitation, qui par ailleurs coûte très cher à organiser et en plus suscite de nombreuses réactions des animalistes, sera supprimée du programme olympique. Et il n’y aura pas grand-monde pour pleurer à ses côtés. Et à peine plus pour lui tendre un mouchoir.
Peut-être après tout que ce n'est pas grave. Des sports existent sans être aux JO. Mais en France, une fédération qui n'est plus olympique perd une très grosse partie de ses subventions... Le haut niveau s'en fout. Il y aura toujours les circuits "de prestige" avec leurs loges VIP et les beaux hôtels pour héberger les cavaliers et leurs "suiveurs"... Mais pour la base, les conséquences seront terribles... 

Le travail c’est la santé !

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Cérémonie d’ouverture, triathlon, hockey sur gazon, pentathlon, j’ai eu la grande chance de commenter de nombreux moments de ces Jeux sur l’antenne d’Eurosport. Se lever au cœur de la nuit pour partir commenter une rencontre de hockey à 3h30 du matin avait quelque chose d’un peu étrange. Mais surtout d’exaltant. Une fois arrivé à Issy-les-Moulineaux (là où est basé Eurosport), monter dans les étages, y croiser d’autres commentateurs et consultants, toute une équipe tv, web etc., avec des techniciens, des chefs d’édition, etc. tous mobilisés pour offrir le meilleur. Tous passionnés. Quand tu aimes le sport ou plutôt les sports depuis si longtemps et que tu côtoies chaque jour, chaque nuit, des consultants qui affichent des CV dingues à l’image des Laurent Chambertin en volley, Fred Weis en basket etc., et qu’avec tous, tu papotes, tu échanges, tu partages, comme tu le ferais avec des collègues à la machine à café de ton entreprise, tu as l’impression d’être un peu dans un Disneyland du sport. Fantastique. J’ai adoré. Alors un immense merci à Eurosport de m’avoir accordé cette confiance et de m’avoir permis de vivre une sacrée belle expérience.

Merci aussi à la rédaction de L’Eperon. Chaque jour de médaille dans les sports équestres, le même rendez-vous dans Paris pour aller enregistrer le « Boutreau Tokyo Show », petit module pour revenir sur l’épreuve du jour. Merci donc à Frédéric, Sylvia, Adèle, Carole, Émilie et Julia. Ce fut un vrai plaisir de partager avec vous ces moments équestres avec leurs joies (concours complet) et leurs désillusions (saut d’obstacles).

Merci aussi à Rivenzi pour l'invitation sur sa chaine twitch pour parler sport dans ses émissions Trotokyo avec également Aymeric. Un super moment . 

Et maintenant ? 

Paris 2024, c'est demain. La France va accueillir le plus grand événement sportif et les plus grands champions. Une chance (même s'il va falloir se taper le discours des anti-tout pendant trois ans...). Ces trois années vont passer très vite. Forcément. Sportivement, je crains que le temps soit trop court pour permettre de faire de la France une nation sportive. Avec seulement 33 médailles alors que l'on en espérait au moins 40 (42 à Rio lors des précédents Jeux), la vendange de ces Jeux de Tokyo fut particulièrement maigre et décevante. L'euphorie des sports co ne peut cacher le bilan famélique de sports comme l'athlétisme ou la natation. Des décisions radicales vont probablement être prises pour tenter de bien figurer dans trois ans. Comme les Anglais avaient su le faire en 2012 à Londres, comme les Japonais ont su le faire à Tokyo. D'un point de vue organisation, aucune crainte. La France sait organiser de grands événements. Et ces Jeux seront beaux. Hâte d'y être ! 


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