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20 ans d’expérience (1) : les soft skills

Publié le 10 août 2021 par Abouchard

Eh oui, cette année marque les 20 ans de mon diplôme d’école d’ingénieur en informatique. Il y a 20 ans très exactement, je venais de finir mon stage de fin d’études, dans l’entreprise où j’occuperai par la suite mon premier poste.

Ces 20 années sont passées très vite, quand je regarde en arrière. Je vais essayer de me souvenir de quelques anecdotes intéressantes. Pour commencer, je vais me pencher sur les « soft skills », les compétences comportementales qui sont si importantes en entreprise.

On peut tuer un business facilement

J’ai travaillé dans une entreprise qui était florissante. Le trafic augmentait de manière extrêmement rapide (parmi les meilleures progressions françaises plusieurs années de suite), le chiffre d’affaires grossissait d’année en année (plusieurs millions d’euros), le nombre d’employés augmentait de manière raisonnable (dépassant les 40 personnes)…

Jusqu’à ce que deux personnes mettent leurs talents en commun pour prendre le pouvoir dans l’entreprise.

Le premier a déployé son emprise sur les personnes, utilisant copinage, humour/foutage de gueule, terreur et effet de groupe pour diviser afin de régner. Il a créé une telle mauvaise ambiance que les gens de qualité ont littéralement fui la boîte (60% de turn-over en un an et demi, plus de 70% en 2 ans). Une grande source d’inspiration pour mon article sur les valeurs et celui sur le harcèlement.
Si vous avez regardé ou lu Game of Thrones, pensez à « Littlefinger » : « il mettrait le pays à feu et à sang si ça lui permettait de régner sur les cendres ». (*)

Le second a réussi à prendre en charge le produit, après être passé par la direction marketing puis la direction commerciale (on nage en plein principe de Dilbert). En prenant de mauvaises décisions de manière unilatérale, il a fini par rendre le produit méconnaissable et mauvais : quand vous avez des dizaines de milliers de pages de contenu, c’est un tour de force de faire croire aux internautes que vous n’en avez plus que quelques dizaines tout court, en rendant les autres pages impossibles à trouver sauf en les cherchant spécifiquement dans Google.

Le résultat, c’est une entreprise qui n’est plus qu’une coquille vide, et qui n’a même pas pu être revendue à vil prix.

(*) : Pour la petite histoire, lorsque ce gars a appris par un ancien collègue que j’arrêtais ma startup Skriv, il m’a envoyé un email « Comment vas-tu depuis tout ce temps ? Ça se passe bien Skriv ?

🙂
». La vraie classe, c’est quand on ne se cache même plus pour se foutre de la gueule des autres ; c’est beau.

Donner un avis est facile, donner un mauvais avis encore plus

C’est une petite anecdote, mais qui est assez représentative. Certaines personnes pensent tout savoir mieux que les autres, mais il est toujours plus facile de critiquer que des créer des choses soi-même.

Il y a quelques années, quand j’ai créé Skriv, une connaissance qui grenouillait un peu dans l’univers des startups m’a fait une remarque après avoir vu le logo.

20 ans d’expérience (1) : les soft skills
Logo de Skriv

Il lui avait fait penser à celui de la startup Shine.

20 ans d’expérience (1) : les soft skills
Logo de Shine

Partant de là, elle m’a carrément dit que je n’avais pas le choix, je devais changer le nom de ma startup

😳

Euh… effectivement, la première lettre des deux logos a un point commun (les points, justement). Mais c’était juste un design dans l’air du temps. La même année, on m’a servi mon gâteau d’anniversaire dans ces assiettes en carton :

20 ans d’expérience (1) : les soft skills
(oui, c’était pour rire, cette année-là on avait même sorti des chapeaux pointus, des cotillons et des langues de belle-mère)

On est d’accord, on peut mettre le dessin du logo de côté.

Donc je devrais changer de nom parce qu’il y a seulement deux lettres identiques ? Alors que j’utilisais ce nom depuis 5 ans (Shine a été créé la même année que Skriv), que je l’avais déposé comme marque à l’INPI, et qu’on n’était pas du tout sur le même business ? Soyons sérieux, voyons.

Il faut savoir écouter les conseils. Mais il faut aussi savoir les trier : certains sont pertinents et applicables immédiatement ; certains sont utiles et à prioriser pour plus tard ; d’autres enfin sont juste des conneries et il faut savoir les oublier aussi vite qu’on les a entendues.

Le racisme et le sexisme sont une réalité

Il est facile de ne pas s’en rendre compte quand on est un homme blanc vivant en France. Et même en étant sensibilisé pour des raisons personnelles à ce qui touche au racisme, j’ai quand même pu avoir des comportements inappropriés par bêtise, par habitude ou par lâcheté.

J’ai l’impression que le milieu des startups est un peu moins impacté que les grosses entreprises, mais il faut reconnaître que ça reste un milieu avec peu de mixité de manière générale. J’ai eu des échos laissant penser que ça dépend beaucoup des gens sur qui on tombe.

Je veux croire que les choses ont tendance à s’améliorer. Mais j’ai quand même vu des choses qui montrent que rien n’est gagné.

Il y a quelques années, il y avait dans mon équipe une développeuse congolaise, ainsi qu’une cheffe de projets blonde aux yeux bleus. On parlait de sexisme en milieu professionnel, et la développeuse a dit qu’elle avait eu plus de problèmes dans le milieu professionnel en France à cause de sa couleur de peau qu’à cause du fait qu’elle soit une femme. La cheffe de projets a osé répondre « Je ne suis pas d’accord ». Pardon ? Elle te livre son expérience, commence par l’écouter.

J’ai aussi vu une collaboratrice, active féministe, se comporter avec un nouveau salarié (charmant jeune homme ayant fait de l’athlétisme à un niveau national) d’une manière qui était à la limite du harcèlement, et qui mettait plusieurs personnes mal à l’aise.

J’ai vu deux stagiaires être embauchés à la fin de leur stage, dans une équipe éditoriale, à des salaires différents alors que leurs stages s’étaient déroulés de manière similaire. Bizarrement, l’un était un homme (avec le salaire le plus élevé), l’autre était une femme. Quand j’ai posé la question au directeur qui les avait recrutés, il a invoqué la différence de diplôme (école de commerce pour lui, université pour elle) comme explication ; je trouvais ça plutôt étonnant, dans la mesure où des études de lettres et de gestion de l’information me semblaient au contraire plus utiles pour ce poste que des études de commerce.

J’ai une dernière anecdote sur le sujet. Dans l’une des entreprises où j’ai travaillé, notre « maison mère » avait organisé une journée réunissant les top managers du groupe (je ne me souviens plus combien de personnes étaient présentes, peut-être une centaine). Il était possible d’envoyer des SMS, qui se retrouvaient projetés sur l’écran du fond. Sur le côté de la scène, les membres du directoire étaient assis derrière une table.
À un moment, quelqu’un a envoyé un SMS faisant remarquer qu’il y avait peu de femmes sur scène (une seule). Ça a marqué le début d’une avalanche de SMS sur le sujet, au point que le DRH groupe est venu en parler sur scène (se prenant les pieds dans le tapis en disant qu’il ne fallait pas oublier que les femmes sont aussi des mères, il s’est fait huer).
J’ai attendu que ça se tasse pour envoyer un SMS dans lequel je faisais remarquer qu’il n’y avait pas que les femmes ; il n’y avait aucune personne de couleur sur scène. Et là, absolument personne n’a rebondi dessus. Mon SMS est resté lettre morte. Ça m’a choqué.

Les gens pensent que rien n’existait avant qu’ils ne soient là pour le voir

En 2012, un business developer avec qui je travaillais me parlait de son expérience professionnelle précédente, une startup dans laquelle il avait travaillé en 2008-2009. Il m’a décrit l’entreprise comme ayant été créée en 2007, “au tout début du web”.

Ça m’a fait rire : si le web a commencé en 2007, comment expliquer l’explosion de la bulle internet en 2000-2001 ?

C’est amusant de voir que, pour beaucoup de personnes, les choses n’ont commencé à exister que le jour où elles étaient là pour le voir.

Ça me fait penser à l’argument principal des participants de la Ligue du LOL ; ils disent que tout était nouveau, qu’internet était un far-west où personne ne savait que les trolls et le harcèlement en ligne pouvaient causer des dommages. Alors que tout ce qu’ils se sont permis sur Twitter avait existé sur les newsgroups puis les forums depuis longtemps. D’ailleurs, les premières nétiquettes formelles ont commencé à être diffusées au milieu des années 90…
Mais c’est sûr que c’est toujours plus facile de croire qu’on a participé à la « première vague », qu’on est à la pointe de l’innovation, que ce qui existait avant ne vaut rien.


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